Intervention de Sylvie Vermeillet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 20 juillet 2022 à 9h00
Contrôle budgétaire — Régimes d'assurance vieillesse des agents de la régie autonome des transports parisiens et des marins - communication

Photo de Sylvie VermeilletSylvie Vermeillet, rapporteure spéciale :

La mission « Régimes sociaux et de retraite » pour laquelle j'ai l'honneur d'être rapporteure spéciale comporte trois programmes :

Le 195 qui regroupe les mines, la SEITA, l'ORTF et les régimes ferroviaires d'outre-mer.

Le 197 qui concerne les marins civils.

Et le 198 relatif aux transports terrestres : SNCF et RATP principalement.

Ces trois programmes représentent 6,108 milliards d'euros en crédits de paiement en 2021.

Si nous devions nous préparer à une réforme des retraites, chacun se posera la question du devenir de ces régimes spéciaux déficitaires, voire des conséquences de leur éventuelle suppression. Comme à chaque tentative de réforme, l'objectif est récurrent. J'ai donc souhaité évaluer l'impact pour les finances publiques et cerner les enjeux d'une suppression pour deux régimes encore ouverts : ceux des personnels de la RATP et des gens de mer.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, je tiens à vous dire que je me pose toujours la question de la pertinence d'une réforme des retraites sans réforme des salaires. En effet, seules les branches professionnelles qui ont historiquement préféré garantir des avantages retraites vont devoir remettre en question leurs acquis alors que celles qui ont choisi les avantages salariaux ne sont pas inquiétées.

Par ailleurs, s'il faut réformer les régimes spéciaux de retraites, il serait opportun voire indispensable d'obtenir un peu de lisibilité dans la maquette budgétaire, car ma mission ne couvre pas l'ensemble des régimes pour lesquels l'État verse une subvention d'équilibre. Il manque tous les régimes équilibrés au moyen de taxes affectées : les Industries électriques et gazières ; les non-salariés agricoles ; les clercs et employés de notaires ; les avocats. Manquent également l'Opéra de Paris et la Comédie-Française dont les subventions d'équilibre font partie de la mission Culture. Ainsi 5,052 milliards échappent à notre lecture.

Mais ce n'est pas tout !

La solidarité nationale à l'égard des régimes spéciaux s'exprime également par les compensations démographiques versées par les autres régimes obligatoires d'assurance vieillesse, CNAV, CNRACL, professions libérales, barreaux de France, IEG et RATP, qui devraient atteindre au total 5,616 milliards d'euros en 2022. Sur cette somme, 331 millions d'euros sont reversés aux régimes spéciaux visés par la mission.

Au total et toutes choses égales par ailleurs, en additionnant dotations budgétaires, dépenses fiscales dédiées et compensations démographiques, les régimes spéciaux de retraites (hors régimes de la fonction publique) sont donc financés à hauteur de 16,67 milliards d'euros par la solidarité nationale en 2022, montant à mettre en perspective avec les crédits couverts par la mission : 6,1 milliards d'euros.

Ma première recommandation sera donc de recenser au sein de la mission « Régimes sociaux et de retraite », l'ensemble des concours de l'État dédiés aux régimes spéciaux afin d'obtenir davantage de lisibilité.

Abordons maintenant le régime des retraites de la RATP.

Ce régime est aujourd'hui financé à 60,1% par la subvention d'équilibre versée par l'État, soit 737 millions d'euros en 2021 (contre 489 millions de cotisations salariales et patronales). J'observe que cette subvention d'équilibre a progressé de 28 % entre 2012 et 2021 alors que les dépenses totales n'ont progressé que de 22 %, ce qui confirme que plus l'on a réformé le régime, plus cela a coûté cher à l'État.

L'alignement sur le droit commun des réformes de 2003, 2010 et 2014 a été, pour partie, différé. L'âge de départ en retraite moyen à la RATP de 57,3 ans, comme la durée de versement moyenne ou les montants perçus viennent souligner une relative imperméabilité au durcissement des conditions d'accès à la retraite et conduisent donc à des versements substantiels de l'État qui continue de compenser des avantages spécifiques.

Ce n'est pas terminé puisque dans les années à venir, le nombre de pensionnés augmentera beaucoup plus que le nombre de cotisants et le poids des pensions versées pourrait progresser de 51 % d'ici 2050. Une raison majeure à cela : l'ouverture à la concurrence ! En 2025, l'ouverture à la concurrence concernera les lignes de bus, en 2030 les lignes de tramway, puis en 2040 les lignes de métro et RER.

Les négociations ont abouti à la mise en place du « sac à dos social » qui prévoit qu'en cas de transfert d'un salarié RATP dans une autre entreprise ayant remporté un marché, celui-ci conservera le bénéfice du régime de retraite. Les salariés qui refuseront le transfert seront licenciés par le repreneur et les nouveaux entrants seront, quant à eux, couverts par la convention collective des réseaux de transports publics urbains de voyageurs ou la convention collective des transports routiers. Il s'agit d'un premier pas effectif vers la fermeture du régime. Sur 46 000 salariés, 19 000 sont concernés par l'ouverture à la concurrence.

Cependant, à ce jour, il n'existe pas d'évaluation de l'impact financier pour le régime de cette ouverture à la concurrence pas plus que d'isolement du coût spécifique du régime, matérialisé par le fameux taux de cotisation spécifique T2, qui existe pourtant à la SNCF et que la Cour des comptes et nous-mêmes appelons régulièrement de nos voeux. Reste que le contexte de l'ouverture à la concurrence ne devrait pas faciliter la mise en place d'un T2, son financement reviendrait, en effet, in fine aux autorités organisatrices des mobilités (Île-de-France Mobilités).

Concernant la pénibilité et les contraintes spécifiques, elles sont réelles : la densité de population et le rôle central de Paris dans la vie économique et sociale (60 % des événements publics) obligent à un fonctionnement continu du réseau mais il faut également noter que la fréquentation des bus est trois fois supérieure à la moyenne des autres agglomérations, quand le temps moyen passé par un conducteur dans les embouteillages est deux fois plus élevé qu'ailleurs. Deux tiers des vols et agressions ont lieu en Île-de-France, dont 3 600 agressions avec arme par an. L'on peut comprendre que la RATP ait des difficultés de recrutement. Mais, par ailleurs, bien d'autres chauffeurs de transport de personnes travaillent dans des conditions difficiles, en particulier les chauffeurs de transports scolaires dans les territoires.

Concernant l'impact de la fermeture du régime, il conduirait à un double mouvement : la baisse du nombre de cotisants, donc la baisse des cotisations perçues par la caisse de retraite qui entraînerait mécaniquement la hausse de la subvention d'équilibre de l'État. Ce scénario coûteux pour les finances publiques doit être contourné par la mise en place d'une compensation financière versée par le régime général et l'Agirc-Arrco puisque ces derniers encaisseront alors les cotisations sans débourser les pensions.

Venons-en désormais au régime des retraites des marins.

Il est issu du Fonds des invalides de la marine institué par Colbert en 1673. Il prévoyait alors le prélèvement d'un faible pourcentage sur la faible solde des marins aux fins de financement des hospices maritimes destinés à héberger et soigner les marins estropiés. Depuis 1898, le régime est réservé aux marins civils dont la spécificité est reconnue dans l'ordonnance du 4 avril 1945. Je ne vous surprendrai pas en énonçant que les marins cochent tous les critères de pénibilité auxquels l'on peut ajouter l'éloignement ou l'isolement : 14 fois plus de morts qu'à terre, 5 fois plus que dans le BTP.

59 % des marins sont pêcheurs, 23 % font de la culture marine, 10 % de la plaisance professionnelle et 9 % du commerce. 29 189 cotisants pour 106 327 pensionnés, le ratio démographique est extrêmement défavorable. La contribution de l'État s'élève à 810 millions en 2021. En y ajoutant les prises en charge de cotisations (net wage), le financement de l'État représente 81 % des ressources du régime des marins. Mais la baisse régulière du nombre de cotisants, ajoutée à l'extraordinaire concurrence internationale, rendent cette participation indispensable.

Lorsque l'on se penche sur l'organisation du travail des gens de mer, un constat est frappant : ce nombre réduit de marins est tout de même réparti en 20 catégories et chaque catégorie en 28 fonctions.... 75 d'entre elles ne concernent que dix marins.

Les cotisations retraites des marins sont basées sur un salaire forfaitaire et non sur le salaire réel. De plus, tous les marins ne cotisent pas à l'ENIM, les règles sociales dépendent à la fois du pavillon d'immatriculation du navire et de la résidence du marin : c'est tout l'enjeu !

La France dispose de trois registres : le premier registre pour les 23 800 navires battant pavillon français, le Registre international français (RIF) pour 2 400 navires de commerce au long court, les yachts de plus de 24 mètres et le cabotage et un registre spécial Wallis-et-Futuna.

En application du code de la sécurité sociale, les marins résidents en France sont, par principe, affiliés au régime de sécurité sociale des marins quel que soit le pavillon tiers sur lequel ils sont embarqués mais personne ne sait combien ils sont...

Le nombre de cotisants français ne cesse de diminuer et il semble que le contexte de concurrence internationale soit insoutenable : c'est ce qui constitue la clé de voûte de toute réflexion sur l'avenir du régime des marins. Car ce secteur est un théâtre mondial de dumping social, il l'est même à l'intérieur des frontières européennes.

Pour une journée d'embarquement, le coût d'un navire français atteint 37 206 euros, celui d'un navire chypriote 10 102 euros. L'effet du salaire net, l'absence de cotisations salariales et patronales sous pavillon chypriote expliquent en grande partie la différence. Le net wage italien diminue de 24 % la masse salariale, dont 14 % au titre des charges salariales et 10 % au titre de l'impôt sur le revenu. Que penser des conditions sociales des marins philippins ? Dès lors, même si, par exemple, le taux d'accident du travail est très élevé, comment demander plus aux armateurs français qui estiment la concurrence déloyale ? Chaque État prend en charge un taux conséquent de charges sociales ou fiscales afin de maintenir sa marine civile à flot si je puis dire. Il en va de sa souveraineté nationale.

Dans ces conditions, remettre en question le régime spécial des marins est impossible sauf à faire disparaître le peu d'effectifs qu'il reste et abandonner toute souveraineté dans le domaine.

Cependant, a minima, afin de remettre un peu de lisibilité dans le régime, en accord avec les partenaires sociaux, les différentes fonctions pourraient être mises à jour, le nombre de catégories réduit et la fluidité entre elles facilitée. Il conviendrait également d'améliorer la correspondance entre salaire forfaitaire et salaire réel.

Il serait également opportun d'intégrer la notion de temps de mer dans le mode de calcul des droits à pension pour mieux tenir compte de la pénibilité qui, sous ses différents aspects, constitue autant de droits à compensation.

Enfin, compte tenu du nombre élevé de polypensionnés, il est important de limiter l'affiliation au régime des marins aux carrières longues dans le secteur et de prévoir le reversement au régime général des cotisations versées par les affiliés au régime spécial lorsque la majeure partie de leur carrière est effectuée en dehors du secteur maritime.

En conclusion, nous faisons face à deux régimes spéciaux très différents qu'il ne sera pas possible de traiter de la même manière en cas de réforme des retraites. Je ne peux donc que recommander au Gouvernement beaucoup de prudence, de réflexion et de consultations avant de s'engager dans une éventuelle réforme des retraites.

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