Les Balkans occidentaux ont été l'un des points importants des dernières rencontres européennes, mais aussi de l'OTAN, puisqu'un dîner leur a été consacré au sommet de Madrid. Ce n'est pas sans recouper l'agenda onusien, puisque certains de nos partenaires et nous-mêmes sommes aussi présents dans la Force pour le Kosovo (KFOR). Il y a bien un agenda Balkans, avec le suivi des demandes bosniaque, croate et serbe. L'invasion de l'Ukraine par la Russie a créé une focale sur la Suède et la Finlande et ouvert la question de l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne, mais des réassurances ont été données aux pays des Balkans occidentaux.
Vous avez raison, madame Dumas, de mentionner le suivi des armes livrées à l'Ukraine. Nous prenons évidemment d'infinies précautions, dans les limites de ce que les conditions du champ de bataille nous permettent de savoir. Il y a, au fond, une question de confiance avec nos partenaires ukrainiens : s'ils rencontrent des difficultés, ils nous en font part. Pour le moment, aucune ne nous a été signalée sur ce sujet.
Les câbles sous-marins sont un enjeu majeur, sans oublier les territoires outre-mer, traversés par des infrastructures numériques d'un gabarit très important. Les grands projets qui traverseront la Polynésie française et notre zone économique exclusive seront une part importante de la prochaine LPM. Le tournant est-il confirmé ? Oui. Continuerons-nous à donner des moyens financiers pour ce faire à la Marine nationale ? Oui. Elle est déjà équipée des instruments de surveillance nécessaires avec la nouvelle gamme de frégates multi-missions (Fremm). Tout ne se fera pas seulement avec les armées : nous devrons nouer des partenariats efficaces avec d'autres acteurs.
Il faut un investissement majeur dans le service de santé des armées. En tant qu'ancien ministre des outre-mer, j'ai une dette envers ce service, sans lequel une part importante de nos capacités sanitaires dans ces territoires se serait effondrée - y compris en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, où la compétence sanitaire a été transférée aux collectivités sui generis.
Cela pose aussi la question des relations entre le service de santé des armées et la médecine de ville ou l'hôpital public civil. À l'époque du service militaire, un interne pouvait se voir accorder les galons de médecin capitaine, médecin commandant, voire, pour les spécialistes, médecin lieutenant-colonel, et s'engageait, pour le reste de sa vie, à servir dans la réserve. La suspension du service national a professionnalisé le service de santé des armées, mais elle l'a aussi recentré sur certaines missions.
Beaucoup d'unités sont fatiguées, après avoir été très sollicitées par les opérations et la crise covid. Nous ne pourrons continuer indéfiniment ainsi. Nulle armée ne peut se projeter sans l'assurance que le sanitaire suivra, nulle famille ne laissera partir un soldat sans assurance que nous donnerons tout pour accompagner blessés et malades. Il faut également mettre des moyens supplémentaires dans certaines spécialités : les blessures psychiques sont tout aussi violentes que certaines blessures physiques. La question de la psychiatrie en France dépasse le cadre des armées. Les armées israélienne et américaine ont, dans leurs services de santé respectifs, fait beaucoup de choses. Nous n'avons pas à rougir de ce que nous faisons, mais nous pouvons faire mieux sur le terrain de la recherche.
J'ai demandé au médecin général des armées qui dirige le service de santé des armées de nous faire des propositions. Nous avons une stratégie à l'horizon 2030, mais le covid doit nous inciter à accélérer les choses. Il faut resserrer le calendrier sur certains aspects, et le détendre sur d'autres.
Vous avez évoqué le service interarmées des munitions ; j'ajouterai le service de l'énergie opérationnelle - l'ancien « service des essences » - et les différents commissariats, des unités dont on parle peu. Nous avons pu également découvrir, au défilé du 14 juillet, les greffiers des armées. Il convient que l'on s'intéresse à ces services peu connus, sans lesquels nos armées ne pourraient pas fonctionner.
Le Ségur de la santé n'a pas oublié les soignants militaires, avec des conséquences sur leurs carrières et les passerelles. Je serai très heureux d'associer les sénateurs qui le souhaitent à la réflexion sur le service de santé des armées.
En matière de renseignement, nous avons réalisé des progrès tout à fait significatifs au cours des dernières années. Je comprends néanmoins vos interrogations sur les moyens, après Aukus et les événements au Mali. Le directeur général de la sécurité extérieure a pu vous apporter certaines réponses, dans le format idoine. Nous continuerons à accorder des moyens supplémentaires au renseignement. Cela inclut la DGSE, mais aussi la direction du renseignement militaire et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). Moins connu du grand public, ce troisième service de renseignement du ministère est tout aussi important, puisque c'est la direction qui s'assure de l'intégrité et de la sûreté de nos armées face à l'espionnage, aux ingérences et à la radicalisation. Car « là où il y a de l'homme, il y a de l'hommerie »...
La trajectoire croissante des moyens s'applique à ces trois services, d'abord parce que les technologies sont gourmandes sur le plan budgétaire. La DGSE d'il y a vingt ou trente ans n'avait, de toute évidence, pas la même direction technique. Ensuite parce que nous avons besoin de combattants cyber, que nous devons détecter, former mais aussi fidéliser dans un milieu où les très bons peuvent être rapidement recrutés par un GAFA - Google, Apple, Facebook, Amazon - ou une grande entreprise du secteur, pour des salaires bien supérieurs à ce que la défense peut proposer.
Concernant Aukus et le Mali, il faut dire la vérité à nos concitoyens : le renseignement n'est pas une science exacte. Même les États-Unis, qui consacrent beaucoup de moyens à leurs services de renseignement, ont connu quelques déconvenues. L'art de la guerre, ce sont aussi des aléas, or notre société les tolère de moins en moins.
J'ai effectivement signé un arrêté portant organisation de la DGSE, qui a été publié au Journal officiel. Ce travail important a été mené par M. Bernard Émié, son directeur général. Cette réorganisation était souhaitée par le service, qui n'avait pas beaucoup évolué ces dernières années. On ne peut pas demander à ce service de se tourner vers l'indopacifique, de s'intéresser aux menaces conventionnelles et de « rouvrir le jeu » sans en tirer des conclusions quant à son organisation. Les risques étant multiples, le service doit s'adapter.
Cette réforme est une manière d'organiser les savoirs et de décloisonner une partie de la DGSE. Si je devais la résumer en une phrase, je dirais que, d'une organisation par métiers, comme les aspects techniques, les opérations, le soutien, l'administratif, nous allons passer à une organisation par zones géographiques. Il ne s'agit pas d'une grande révolution : de nombreux services de pays amis de même gabarit ont déjà procédé à ce genre d'ajustements. Je pourrai éventuellement répondre à vos questions dans un format plus discret.
Le porte-avions de nouvelle génération fait partie des grandes stratégies que nous déployons ; vous aurez raison de percuter cette stratégie de vos questions lors de la prochaine LPM. Nous continuons de préparer les choix, mais il sera logique de se demander collectivement à quoi ressemblera l'aéronavale dans trente ou quarante ans, ce qui concerne également la question de M. Perrin sur les drones.
Des intrants nous permettent d'avancer quelques réponses : certains pays qui n'ont pas vraiment d'aviation de chasse vont vers un « tout-drone », mais, contrairement à ce que j'ai lu dans la presse, nous ne pouvons pas faire de même, car l'une des composantes de la dissuasion est aéroportée.
Il faut procéder rationnellement. Nous travaillons au groupe aéronaval du futur, dont les sous-marins de classe Suffren, issus du programme Barracuda, constituent une part. Il faut se poser des questions de calendrier, de benchmark, regarder ce que font nos alliés, car le système des porte-avions s'inscrit dans un tout, et pas seulement dans une souveraineté individuelle. Où voulons-nous intervenir demain ? Que prévoit-on pour l'indopacifique ? Le Parlement, y compris par ses fonctions de contrôle, doit indiquer des directions à l'exécutif. Je ne veux pas mener dès cet après-midi la réflexion stratégique sur la LPM, mais son coeur est là.
L'opinion publique finit par l'oublier, mais je rappelle que ces technologies nous sont parfois propres. Seuls les États-Unis et la France disposent de la propulsion nucléaire sur leurs porte-avions, ce qui pose des questions d'autonomie. Il faut réinterroger cela de manière globale.
Vous êtes nombreux à avoir évoqué la question des munitions. Avant d'en parler, il faut d'abord parler de ce qui peut les envoyer. Le renouvellement de notre arsenal de canons Caesar représente une enveloppe de 85 millions d'euros. Nous devons recompléter notre arsenal, notamment pour ne pas abîmer les plans de formation de nos artilleurs. Fort heureusement, nous ne sommes pas engagés sur un théâtre d'opérations, et l'enjeu est alors de ne pas perdre en compétence, de ne pas laisser nos artilleurs sans plan de formation. Nos soldats, une fois formés, sont déjà devenus les formateurs d'autres...
L'argent est disponible, dans la gestion de la LPM actuelle, sans bousculer un programme existant. Compte tenu de l'enveloppe du budget du ministère des armées, il n'y a pas besoin d'annuler un programme déjà engagé. Je reviendrai plus précisément sur ce sujet lors de l'examen de la loi de finances pour 2023.
L'enjeu est alors que la base industrielle et technologique de défense (BITD) suive - il s'agit de l'une des grandes discussions que nous avons avec Nexter comme avec l'ensemble des sous-traitants -, ce qui me permet de répondre aux questions concernant l'économie de guerre.
Un enjeu de simplification normative se pose. Il y a la norme civile et la norme militaire. C'est l'honneur de l'armée française et de la DGA que de fournir aux armées du matériel fiable. Mais de la fiabilité du standard de sécurité, il ne faut pas tomber dans un travers trop pointilleux sur le plan administratif.
C'est l'une des commandes que j'ai passées auprès de la DGA : il faut assumer le niveau de risque et classifier nos règles internes pour distinguer ce qui relève d'un socle de contrôle des armements en deçà duquel il serait inconcevable de se trouver, ce qui relève des contrôles faits par acquit de conscience, pour identifier les risques, et, enfin, ce que l'on fait parce que, quand on est Français, on aime parfois faire un peu mieux que tout le monde. Lorsque l'on est vraiment en guerre, il est entendu que le niveau d'intensité des contrôles diminue : le contrôle qualité sur des produits faits à des milliers d'exemplaires ne peut pas être le même que celui réalisé pour seulement quelques pièces. Tel est l'enjeu collectif de cette économie de guerre : comment ne perdre ni en qualité ni en sûreté sans que cela coûte plus cher ? Dans mes cours d'économie, j'ai appris que, normalement, plus on produit, moins ça coûte cher, mais nous ne devons pas non plus exploser les enveloppes des crédits.
Les canons Caesar peuvent devenir un symbole : nous les avons donnés pour la bonne cause, mais ils auraient aussi pu être détruits sur le champ de bataille. Combien de temps nous faut-il, collectivement, pour l'armée, la DGA, le système administratif et budgétaire, ainsi que pour la BITD, avant de recomposer notre arsenal ? C'est le meilleur cas pratique que nous pouvions avoir.
Il faut aussi tenir compte des normes civiles. Il y a trois semaines, je me suis rendu dans le Nord, dans une usine assemblant des missiles, où se posent comme partout des problèmes de capacité d'embauche, de fidélisation et de formation du personnel. Ces questions concernent non pas seulement le domaine militaire, mais bien l'ensemble de l'industrie française. En guerre, le temps de travail peut-il rester le même, sans amoindrir notre modèle social ? Que peuvent faire les entreprises pour intéresser leurs salariés ? Le Parlement doit s'interroger sur ces questions.
Pour les munitions, 600 millions d'euros étaient déjà engagés. Il est question d'engager de nouveaux crédits pour l'année prochaine, mais il est un peu tôt pour détailler ce point. Au-delà de la marche de 3 milliards d'euros, en fonction de ce que les services du ministère et la DGA nous diront, je présenterai les éventuelles mesures d'urgence dans le projet de loi de finances.
Concernant le SDAM, les prochaines semaines sont décisives ; des essais de qualification déterminants pour la suite du programme sont prévus à l'automne. Les crédits sont là ; je pourrai en indiquer le détail à M. le sénateur Perrin.
Sur les drones, forts, notamment, des travaux accomplis par votre commission, nous devons affiner notre feuille de route. Nous avons trop subi - je ne vous dirai pas le contraire. Heureusement que Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la défense, a pris, en 2013, la décision d'acheter à l'étranger des drones Reaper, que nous avons vu défiler sur les Champs-Élysées. Nous devons continuer le suivi sur les drones EuroMale, et nous interroger sur le produit final, qui doit correspondre aux besoins des théâtres d'opérations. La qualité des théâtres, selon qu'il s'agisse de reconnaissance ou des différentes formes de combats, dictera le niveau de drones et la technologie recherchée. Il faut aussi mentionner le Patroller Safran. Nous évaluons également le Switchblade américain, mais aucune décision n'a été prise pour l'instant.
Enfin, le SCAF est un programme clé, qui mériterait une audition à part entière. Je ne m'effraie pas des difficultés de calage du moment : ce sont les dernières avant de passer la deuxième vitesse. Comparaison n'est pas raison, mais les calages d'Ariane étaient aussi énormes, car ces grosses coopérations industrielles sont toujours une aventure. Nous les soutenons tous, ayant intérêt à développer notre autonomie stratégique européenne. Mais des questions se posent, car il faut respecter les savoir-faire industriels de chaque maison : il est normal que Dassault soit vigilant sur ses commandes de vol. Dans mon agenda, des rencontres sur ce sujet sont prévues à la fin du mois d'août et au début du mois de septembre avec les Espagnols et avec les Allemands.