Je veux de nouveau vous remercier sincèrement de cette initiative. Je vous remercie de votre déplacement en Nouvelle-Calédonie et de l'image que notre Haute Assemblée, à cette occasion, a une nouvelle fois renvoyée en Nouvelle-Calédonie. Vous l'avez indiqué, le président Larcher a lui-même des contacts réguliers avec les différents acteurs politiques. Je suis persuadé que le Sénat, représentant des territoires, prendra une part essentielle à une nouvelle solution, à condition de déterminer les causes du trou d'air dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui. Nous n'avons pourtant pas manqué, depuis des années, d'essayer d'attirer l'attention des gouvernements sur l'issue du processus référendaire, qui, en réalité, n'a rien réglé.
Monsieur Bonnecarrère, comme Lana Tetuanui l'a rappelé, une revendication indépendantiste en Polynésie française n'est pas de même nature qu'une revendication indépendantiste en Nouvelle-Calédonie. Le peuple polynésien existe ! En Nouvelle-Calédonie, quoiqu'un certain nombre de responsables politiques l'affirment, il n'y a pas de peuple calédonien : il y a deux communautés, d'égale importance. La revendication indépendantiste a été l'occasion pour l'une de ces communautés de s'identifier par rapport à l'autre. Pour cette raison, la solution n'est pas dans l'indépendance ou l'absence d'indépendance.
Je le réaffirme, le problème aujourd'hui n'est pas tant de reconstruire ou de déconstruire les relations avec la France que de redéfinir les conditions d'exercice du pouvoir et des responsabilités en Nouvelle-Calédonie entre ces deux communautés humaines d'égale importance, l'une se revendiquant d'une antériorité historique, l'autre se revendiquant d'une majorité, expression de la volonté démocratique.
Je veux rappeler quelques éléments déterminants qui ont permis que, quoi que l'on dise, à la Nouvelle-Calédonie de vivre en paix pendant plus de trente ans. Si les choses se sont effectivement détériorées il y a une quinzaine d'années, ce n'est pas par hasard.
En 1988, après la réélection de François Mitterrand et le drame d'Ouvéa, le nouveau Premier ministre Michel Rocard engage des discussions, à Matignon, entre les délégations du Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR) et du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS). Ces négociations aboutissent à la signature, le 26 juin 1988, des accords de Matignon, complétés en août suivant par l'accord Oudinot. Ces accords furent scellés par la fameuse poignée de main entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur.
La Nouvelle-Calédonie plurielle et provincialisée s'engageait sur la voie du rééquilibrage, c'est-à-dire de la décolonisation, mais la fracture politique restait présente. C'est pourquoi les accords de Matignon, en 1988, ont renvoyé à dix ans plus tard la réponse à la question politique - dix ans consacrés à reconstruire, pour ensuite, sur ces bases pacifiées, répondre à un scrutin d'autodétermination.
Le statut né de Matignon et Oudinot est novateur. Il est simple, mais on a eu le génie de comprendre que les solutions à tous les problèmes dans ce territoire pluriel ne se satisfont pas d'une application sans nuances des procédures, si légitimes par ailleurs, de la démocratie majoritaire, car la Nouvelle-Calédonie doit établir la paix entre sa majorité favorable à la France et sa forte minorité favorable à l'indépendance. Les accords de Matignon ont permis d'imaginer une solution : le territoire est partagé entre trois entités géographiques de manière à permettre que, dans certaines d'entre elles, les indépendantistes, c'est-à-dire les représentants du peuple premier, soient majoritaires. La règle majoritaire est contournée sur l'ensemble du territoire pour mieux la retrouver au niveau des nouvelles collectivités qui le composent, c'est-à-dire les provinces. La paix, je le répète, est revenue par les provinces, par la satisfaction des indépendantistes d'occuper enfin, eux aussi, leurs lieux de pouvoir et par la reconnaissance de cette situation par les non-indépendantistes.
Ce schéma novateur est simple, car il écarte l'équation impossible d'un gouvernement devant représenter la diversité. Il confie l'exécutif territorial aux représentants de l'État impartial, mais il est assisté d'un conseil consultatif composé des représentants des trois provinces ainsi que du Congrès, gouvernement territorial constitué par l'addition des trois assemblées de province élues.
Les accords de Matignon sont véritablement le fondement d'une Calédonie nouvelle en paix et sur la voie du rééquilibrage, grâce à l'oeuvre bénéfique du partage provincial. La compétence de principe a été attribuée aux provinces.
Au même moment, en 1992 et 1993, chacun a compris qu'il était nécessaire de contourner le référendum d'autodétermination prévu en 1998, raison pour laquelle nous avons négocié l'accord de Nouméa. Or, si le préambule de celui-ci est un document exceptionnel, extraordinaire, on a oublié, dans la mise en oeuvre de l'accord, l'enracinement des accords de Matignon. La paix, le respect mutuel, le dialogue dans les différences, c'est l'héritage des accords de Matignon.
Le corps électoral restreint de l'accord de Nouméa que j'ai négocié en 1998 n'est pas celui qui a été mis en oeuvre à partir de 2007. Dans la mise en oeuvre de l'accord, ce ne sont plus les provinces, alors qu'elles sont toujours désignées comme détenant les compétences de principe, qui exercent ces compétences, du fait d'une disposition prise en faveur du congrès de la Nouvelle-Calédonie, lequel délibère aujourd'hui, par des lois du pays, sur des dispositions législatives. Progressivement, pendant vingt ans, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a aspiré les compétences des provinces. On a rapidement oublié d'où viennent les accords de Matignon et, aujourd'hui, je puis affirmer que, des provinces, il ne reste que le souvenir de ces gardiennes de la diversité qui avaient su ramener la paix. Dans son efficace simplicité, le schéma institutionnel des accords de Matignon organisait l'expression du pluralisme des assemblées provinciales. Malheureusement, l'accord de Nouméa a renié les légitimités provinciales et consacré le Congrès, regroupant les assemblées de province, comme assemblée délibérante majeure.
Alors que l'accord de Nouméa traduisait, à sa naissance, la recherche du consensus, par l'exclusion du référendum couperet prévu en 1998, il nous a entraînés à trois reprises dans tous les dangers des marécages référendaires.
Devant tous les reniements de l'esprit des accords de Matignon par les dispositions de l'accord de Nouméa, vous comprendrez le sens des diverses propositions que j'ai déjà eu l'occasion d'exposer dans cette assemblée et qui se réfèrent naturellement à l'acte fondateur de paix et de pluralisme en Nouvelle-Calédonie. C'est la raison pour laquelle je suis persuadé que toute solution d'avenir devra s'inscrire dans la réaffirmation de la voie tracée à Matignon en 1988.