Comme je le disais ce matin devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, la présente audition constitue un moment important, non seulement pour vérifier que le candidat proposé présente les mérites requis par le poste auquel il se destine, mais aussi pour les candidats eux-mêmes. C'est en effet devant la représentation parlementaire que l'on réfléchit à ses priorités et au mandat qui nous serait confié.
Cette rencontre est d'autant plus importante que le Parlement, et le Sénat en particulier, a joué un rôle fondamental dans l'instauration de la liberté d'accès aux documents administratifs. La loi du 17 juillet 1978 est en effet entièrement d'initiative parlementaire. Elle a été portée et adoptée par l'Assemblée nationale et le Sénat, contre l'avis du Gouvernement de l'époque.
Cette loi, conçue et adoptée d'une manière inédite, dessinait de façon généreuse les contours d'une nouvelle transparence. Je salue notamment le travail mené par le sénateur Jacques Thyraud, qui en a été l'un des principaux artisans. Comme il le soulignait lui-même, cette loi marquait l'entrée dans l'ère du contrôle citoyen, qui s'ajoutait aux contrôles hiérarchique et politique, ainsi que l'avènement d'une société fondée sur la considération et la confiance, et non sur le soupçon.
Cette loi nouvelle m'a immédiatement intéressé. J'ai d'ailleurs été rapporteur de la CADA en 1979, puis rapporteur général. C'était un véritable combat. L'administration affirmait en effet qu'elle n'appliquerait pas cette loi, dont elle n'avait pas voulu. Il a donc fallu faire oeuvre de pédagogie, surmonter les résistances, ce à quoi j'ai pris beaucoup d'intérêt. J'ai d'ailleurs accepté d'assurer par suppléance la présidence de la CADA en cas d'indisponibilité du président à mon retour au Conseil d'État.
J'y ai laissé un peu de mon coeur et serais très heureux, étant à la retraite depuis janvier, de pouvoir me consacrer de nouveau à cette cause. Tous les espoirs de cette loi n'ont pas été remplis. La transparence a certes fait du chemin, mais le paysage n'est pas parfait. Le seul fait que la CADA statue sur environ 8 500 demandes d'accès non satisfaites et prononce seulement 12 % d'avis défavorables sur les demandes reçues montre l'étendue des progrès à réaliser. Les administrations craignent notamment que les documents demandés ne soient utilisés contre elles. La société de la transparence et de la confiance n'a pas encore été apprivoisée par tous.
Permettez-moi d'expliquer les priorités qu'il conviendrait de développer à la tête de la CADA si le mandat m'en était confié.
Certains points peuvent tout d'abord être améliorés, qui ne dépendent pas uniquement de la CADA. Il faut notamment développer l'open data. L'ouverture des données publiques imposée par la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique est loin d'être effective, de nombreuses collectivités n'ayant pas encore engagé ce chantier. L'absence de publication de nombreuses données oblige les citoyens à demander l'accès à des documents qui devraient être en accès libre. De plus, les répertoires des documents détenus par les administrations ne sont pas, pour beaucoup, mis à la disposition du public, ou sont incomplets.
Les personnes responsables de l'accès aux documents administratifs (Prada), chargées d'accompagner les décideurs publics et de servir d'interface avec le public, ne sont en outre pas toujours désignées dans les administrations et les collectivités.
Il y a donc beaucoup à faire. S'ajoutent à cela les délais qui ne sont pas toujours compatibles avec les besoins, marqués par une certaine urgence, de ceux qui souhaitent accéder à tel ou tel document - en cas de scandale sanitaire ou environnemental, par exemple. Aux délais nécessaires pour obtenir une réponse de l'administration concernée, puis requis par la saisine de la CADA en cas de refus s'ajoute en effet le délai de traitement des saisines, qui est de 82 jours en moyenne, encore loin du délai d'un mois fixé par la loi. De remarquables efforts ont néanmoins été fournis pour réduire ce délai, qui était encore de 182 jours en 2020.
Si l'administration ne suit pas l'avis de la CADA, un nouveau combat s'ouvre pour le citoyen concerné qu'il ne peut porter que devant le tribunal administratif.
Il demeure donc un long combat à mener. Des signes positifs sont toutefois à noter. Par la conviction dont elle fait preuve dans ses avis favorables, la CADA arrive souvent à surmonter les obstacles rencontrés par les citoyens. Elle est parvenue ainsi à conduire le Gouvernement à décider d'ouvrir intégralement à la consultation les cahiers citoyens du grand débat national organisé dans le cadre de la crise des gilets jaunes, après le refus opposé à un journaliste souhaitant y accéder. La CADA a en effet jugé irréalisable une anonymisation de l'ensemble des données privées contenues dans ces cahiers, et estimé que la liberté d'informer commandait de faire prévaloir le droit d'accès sur la protection du secret.
Par ailleurs, la demande d'accès aux documents administratifs change de nature. Au départ, les citoyens souhaitaient surtout avoir accès aux dossiers individuels les concernant, dans une approche précontentieuse, pour comprendre certaines décisions qui leur étaient opposées. Or depuis quelques années, le droit à la transparence est utilisé par de nouvelles forces - militants, journalistes, ONG, lanceurs d'alerte, chercheurs - qui utilisent ce droit pour investiguer et contrôler l'action publique, et l'emploient donc d'une façon plus conforme à l'esprit dans lequel il a été construit, à la décision du Conseil constitutionnel d'avril 2020 qui a constitutionnalisé ce droit en tant qu'auxiliaire de la démocratie et de la liberté d'émettre et de recevoir des informations, ainsi qu'à la Convention européenne des droits de l'homme et à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Inspirée par la jurisprudence européenne et par celle du Conseil d'État, la CADA se trouve poussée à mettre davantage en balance les intérêts en présence dans le traitement de ses saisines. Elle se demande ainsi dans quel but et quel contexte les documents sont demandés, quel est le sens de la démarche, et si celle-ci risque de porter atteinte à des intérêts protégés. Cette mise en balance a été particulièrement manifeste au Conseil d'État même, lorsqu'il a fallu traiter la demande d'un chercheur d'accéder aux archives personnelles du président François Mitterrand relatives aux événements du Rwanda alors que le délai requis pour leur consultation n'était pas écoulé. Le Conseil d'État a jugé que l'intérêt de la recherche devait en l'occurrence primer la protection du secret.
J'en viens aux priorités qui seraient les miennes si j'étais nommé à la tête de la CADA.
Il faut porter la cause de la transparence et faire vivre l'équilibre voulu par le législateur de 1978 dans la société d'aujourd'hui, plus numérique, qui produit davantage de documents. Ma priorité majeure sera donc de faire vivre cet équilibre, y compris en interprétant, au cas par cas, les secrets protégés par la loi, et en n'hésitant pas, au-delà des avis individuels, à publier des lignes directrices, à guider l'administration, et à faire de la prévention pour réduire autant que possible le nombre de refus d'accès injustifiés.
La deuxième priorité est d'aller plus vite dans le traitement des saisines. La CADA ne rassemble cependant que dix-sept emplois, et dispose d'un budget assez faible, de 1,5 million d'euros. Si l'on peut se réjouir de la faiblesse de ce montant pour la sobriété de la dépense publique, il semble insuffisant compte tenu du nombre de saisines reçues. Une revalorisation des moyens est sans doute nécessaire. Il faudra toutefois explorer tous les moyens d'agir par la prévention des refus d'accès et la pédagogie préalable.
La troisième priorité est d'investir résolument dans le numérique. De nouveaux sujets surgissent en effet, comme l'accès aux codes sources, aux algorithmes et aux programmes informatiques qui commandent de plus en plus les décisions prises par l'administration. La CADA y travaille de plus en plus. Saisie de plusieurs demandes d'accès aux algorithmes du logiciel Parcoursup, elle a ainsi rendu des avis intéressants dans lesquels elle fait prévaloir la nécessité de la transparence, ces éléments commandant les décisions individuelles prises par le logiciel. Toutefois, elle se montre aussi attentive à la protection de la sécurité des systèmes d'information, et s'interroge sur les risques d'utilisation malveillante potentiellement induits par la révélation de telle ou telle faille ou insuffisance.
Je pense qu'il faut toujours préférer la transparence à l'obscurité, et dire la vérité plutôt que de cacher des failles éventuelles. La CADA a d'ailleurs joué un rôle actif pour convaincre le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche de la nécessité de réparer, au préalable, les failles pour garantir la sûreté du système Parcoursup.
Enfin, une autre priorité est de ne pas rendre uniquement des avis depuis Paris, mais d'animer un réseau territorial. Les administrations et les collectivités doivent désigner des responsables en leur sein, chargés d'accompagner les décideurs publics. Or ce réseau des personnes responsables n'est pas vraiment animé. Elles sont livrées à leur libre arbitre une fois nommées, sans avoir le sentiment d'avoir été formées ni même informées des évolutions de la doctrine de la CADA.
Je compte aller davantage sur le terrain, rencontrer les responsables publics, et animer ce réseau pour faire vivre la loi sur le terrain et faire en sorte que la garantie de l'accès aux documents administratifs soit effective et ressentie comme telle.
Je ne m'étendrai pas sur mon parcours antérieur, que vous connaissez. J'ai servi l'État durant quarante-quatre ans. Je n'ai jamais quitté le service de l'État depuis que j'y suis entré le 1er janvier 1976. J'ai toujours décliné les propositions qui ont pu m'être faites de rejoindre le secteur privé. Je n'ai pas voulu non plus m'engager sur le plan politique, en dépit des propositions que j'ai reçues en ce sens, et ai refusé également d'entrer dans des cabinets ministériels, car j'ai voulu fonder ma carrière sur la compétence, l'indépendance et l'impartialité.
À présent que je dispose de plus de temps, je souhaite m'engager de nouveau en faveur de la cause de la transparence et lui consacrer toute mon énergie et mon expérience, en me tenant prêt, bien sûr, à revenir devant vous pour rendre compte de mon action.