Intervention de Bruno Lasserre

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 juillet 2022 à 10h00
Audition de M. Bruno Lasserre candidat proposé par le président de la république aux fonctions de président de la commission d'accès aux documents administratifs

Bruno Lasserre, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de la Commission d'accès aux documents administratifs :

J'ai présidé l'Autorité de la concurrence pendant douze ans, de 2004 à 2016. Je suis venu à trois reprises devant le Parlement pour défendre le mandat qui m'a été confié par trois Présidents de la République successifs. Il me semble que j'avais alors obtenu l'unanimité, à l'Assemblée nationale comme au Sénat. J'ai beaucoup développé cette institution, en n'hésitant pas à affronter des intérêts puissants. Plusieurs milliards d'euros de sanctions ont ainsi été prononcés à l'égard d'entreprises pour l'organisation, par exemple, de cartels secrets.

L'affaire que vous évoquez est née de méthodes de management mises en oeuvre au sein du service juridique de cette institution, qui dépend du président. Au cours de ma présidence, trois chefs de service juridique se sont succédé. Pendant sept ans, tout s'est bien passé, puis est arrivé le chef de service accusé à titre principal de harcèlement moral, auquel a succédé un troisième chef de service avec lequel tout s'est bien passé.

En septembre 2019, alors que j'étais vice-président du Conseil d'État, j'ai été mis en examen par deux juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris pour complicité de harcèlement moral. On a alors confondu les choses, et il a été dit sur les réseaux sociaux que je harcelais mon personnel. Or personne ne soutient dans ce dossier que j'ai agi de manière malveillante envers qui que ce soit. On ne me reproche pas des agissements caractérisés de harcèlement moral, mais l'on me reproche, en tant que président et dans l'exercice de mes pouvoirs de direction de l'Autorité de la concurrence, de ne pas avoir mis fin plus tôt aux fonctions de la personne mise en cause. Ce n'est pas mon intégrité qui est mise en question, ni le respect des règles des marchés publics - comme dans l'affaire Gallet -, mais la façon dont j'ai présidé cette institution, ainsi que le retard que j'aurais pris, en tant qu'employeur, à mettre fin aux fonctions du chef de service concerné.

Je réfute entièrement cette analyse. J'ai été informé de la situation à la fin du mois de janvier 2013 par le médecin de prévention, après avoir d'ailleurs pris les devants et l'avoir appelé moi-même, sachant qu'il souhaitait me contacter. Il a alors fait état de corrections multiples et inutilement vexatoires pratiquées par ce chef de service. J'ai réuni dès le lendemain le service juridique et les syndicats pour comprendre ce qu'il se passait. Puis a eu lieu, quelques jours plus tard, une réunion du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), au cours de laquelle un audit a été demandé, principe que j'ai soutenu. Cet audit a été conduit par une société extérieure pour permettre aux agents de s'exprimer librement.

Dans les huit jours ayant suivi la remise du rapport de cette société qui faisait état d'un management toxique et disqualifiant, j'ai mis fin aux fonctions du chef de service. La personne concernée par les faits de harcèlement évoqués a ensuite été retrouvée morte à son domicile, quelques mois plus tard. Sa famille réfute le terme de suicide. Cette affaire m'a bouleversé, comme de nombreuses autres personnes au sein de l'institution.

Je réfute énergiquement l'idée même de complicité. Je l'ai d'ailleurs dit, par écrit, aux membres et aux agents du Conseil d'État ainsi qu'aux syndicats et aux présidents de tribunaux administratifs et de cours administratives d'appel. Dès que j'en ai été informé, j'ai fermement condamné les méthodes de management pratiquées, que je n'ai ni mises en place ni demandées. La meilleure preuve du fait que je me suis désolidarisé immédiatement de ces méthodes est que j'ai mis fin aux fonctions du chef de service concerné. Le terme de complicité est donc injuste, inexact, et contraire à la chronologie des faits. Je continuerai à contester fermement cette affirmation.

J'ai quarante-quatre ans de service de l'État à mon actif. Or personne n'affirme que j'ai manqué de respect à qui que ce soit dans toutes les fonctions que j'ai occupées, où je me suis attaché systématiquement à impulser des réformes.

La meilleure preuve du fait que je peux faire face à cette accusation et au risque d'un procès sans entamer ma sérénité et mon indépendance est que, lorsque j'ai pris les devants et annoncé moi-même ma mise en examen, avant que la presse n'en fasse état, j'ai reçu un soutien massif au sein du Conseil d'État.

Il est à noter que, pendant les quatre années de ma vice-présidence, alors que ce dernier a été fortement mobilisé au cours de la crise sanitaire, durant laquelle il a dû examiner de nombreux textes en moins de deux ou trois jours, le baromètre social établi en son sein n'a jamais montré une adhésion aussi forte au management qui y est pratiqué. Une étude extérieure a en effet montré que plus de 90 % de ses membres et agents considéraient que le Conseil d'État avait été bien managé pendant cette période et faisaient preuve de leur adhésion, y compris à mon égard. Nous n'avons jamais autant fait en matière de dialogue social et de signatures d'accords en faveur de l'égalité professionnelle. Je suis fier de ce bilan social.

Je ferai donc face à l'accusation qui m'est présentée, que je conteste, car je la considère comme inexacte, injuste et non conforme aux faits. Je vis cette épreuve comme elle survient, mais j'y ferai face, et cela n'entamera en rien mon énergie ni la confiance que peut placer le public dans un responsable d'autorité administrative.

Si la confiance qui m'est accordée n'a pas été entamée lorsque j'étais vice-président du Conseil d'État, je vois mal comment cette accusation pourrait entamer la confiance accordée à une autorité comme la CADA.

Par ailleurs, la loi ne prévoit effectivement pas de limite d'âge pour la présidence de cette institution. Dites-moi néanmoins si je vous parais diminué ou presque gâteux ! La CADA a été par le passé présidée tant par des personnes à la retraite que par des personnes en activité, et dans les deux cas cela a bien fonctionné. Il me semble difficile de me faire un procès en incapacité au motif que j'ai 68 ans. Je ne suis pas en état de dire que je n'ai pas l'énergie et la santé requises pour porter des ambitions à la tête de cette institution.

Il ne me semble pas souhaitable d'aller plus loin dans les outils dont dispose la CADA, notamment pour lui donner un pouvoir d'injonction forçant l'administration à suivre ses avis. La transparence doit être en effet d'abord l'affaire des administrations. Il est important qu'elles prennent les décisions elles-mêmes. Elles ne doivent pas se défausser sur une autorité indépendante, mais être responsables de la transparence. Or un pouvoir d'injonction donnerait aux avis de la CADA une force obligatoire, et ils seraient alors susceptibles de recours. La CADA devrait donc se défendre devant la juridiction administrative à la place des administrations. Compte tenu des faibles moyens dont elle dispose, je ne crois pas que cela lui rendrait service. Elle doit être en effet un pédagogue, non décider à la place des administrations.

J'en viens à la question relative à l'IPS. Dès lors que le ministère de l'éducation nationale trie des informations pour mesurer la position sociale des familles, ces dernières ont le droit de connaître les méthodes et les algorithmes employés pour ce faire. La règle devrait donc être l'ouverture et la publicité. La CADA s'est d'ailleurs prononcée en ce sens.

Le Conseil d'État est juge suprême s'agissant de la communicabilité des documents administratifs. Sa jurisprudence fournit des orientations en la matière, et inspire d'ailleurs les avis de la CADA. Il n'y a donc pas là, pour moi, de contradiction. Connaître la jurisprudence du Conseil d'État me semble plutôt constituer un avantage.

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