Intervention de Michel Magras

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 29 juin 2022 : 1ère réunion
Table ronde : « les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la constitution »

Photo de Michel MagrasMichel Magras, ancien président de la délégation sénatoriale aux outre-mer :

C'est un grand plaisir de vous retrouver, autour d'un sujet qui m'a été cher tout au long de mes mandats sénatoriaux, et plus particulièrement pendant les deux triennats au cours desquels j'ai eu l'honneur de présider la Délégation sénatoriale aux outre-mer. Ma retraite n'ayant pas entamé mon intérêt pour ces questions, je remercie le président Stéphane Artano de son invitation, et je salue de manière très appuyée, monsieur le président de l'Ajdom, cette initiative de réunion conjointe.

C'est toujours avec la conviction chevillée au corps que la différenciation doit constituer la clé de voûte de la nouvelle relation entre l'État et les collectivités territoriales que j'ai plaidé, chaque fois que l'occasion m'en a été donnée, pour la définition d'un cadre constitutionnel favorable à sa mise en oeuvre au sein de la République. Il y a, à l'origine de cette conviction, une question politique : comment parvenir au développement des outre-mer dans le respect d'un équilibre entre valeurs républicaines et réalités locales ?

Même si cette approche n'est pas dénuée de dimension juridique, le binôme que j'ai le plaisir de former, en qualité de grand témoin, avec Stéphane Diémert, reflète la complémentarité de nos deux démarches. Par sa contribution déterminante aux travaux menés en vue du rapport intitulé « Différenciation territoriale outre-mer : quel cadre pour le sur-mesure ? », Stéphane a d'abord répondu à ma sollicitation et apporté une réponse juridique à une question politique. Permets donc, cher Stéphane, que je te réitère mes remerciements.

Au moment où, comme vous l'avez montré lors de la première séquence, s'ouvre le débat sur l'avenir constitutionnel de la Nouvelle-Calédonie, je reste persuadé que tous les outre-mer doivent s'emparer de cette opportunité pour redéfinir leur cadre constitutionnel. Si l'on se fonde sur le rythme actuel des révisions des dispositions concernant les outre-mer, c'est une occasion qui ne devrait pas se représenter avant une vingtaine d'années !

Réviser, ce n'est bien évidemment pas imposer une évolution statutaire, mais mettre cette possibilité à la disposition de chacun des territoires.

Si l'expérience de Saint-Barthélemy m'avait prédisposé à lier statut et développement d'un territoire, cette approche a été étayée par quasiment l'ensemble des travaux de la Délégation sénatoriale aux outre-mer lorsque j'ai eu l'honneur de la présider. Ces travaux ont montré combien l'acclimatation des normes, selon le terme qu'il est d'usage d'employer à la délégation, pouvait influer sur le devenir d'un territoire. Or l'État n'ayant pas d'obligation d'adaptation, les normes sont souvent inadaptées outre-mer, lorsqu'elles ne sont pas inexistantes, engendrant ainsi ralentissement, lourdeur ou inefficacité de l'action publique.

La complexification des normes nationales est alors aggravée par l'absence de « culture outre-mer » de l'État, qui, par manque d'intérêt, n'ajuste pas toujours les normes à la taille des territoires ou à leur insularité, lesquelles appellent au contraire de la souplesse et de la précision. Cela m'avait d'ailleurs conduit à faire observer à la ministre Annick Girardin que je préférais les termes de « culture outre-mer » à ceux de « réflexe outre-mer ».

Il faut donc impulser une nouvelle relation entre l'État et les outre-mer et, dans cette optique, la Constitution me semble le véhicule le plus indiqué. Elle est en effet, à la fois, le texte qui reflète notre culture institutionnelle mais aussi celui qui l'insuffle, et il va sans dire qu'elle est le cadre de la protection suprême. Au demeurant, inscrire une obligation d'adaptation dans la Constitution tirerait les conséquences de plusieurs années d'inadaptation et serait une utile révolution. Nul doute donc sur la place des outre-mer dans la Constitution, mais reste la question, épineuse, de l'espace occupé dans la loi fondamentale.

Compte tenu de l'hétérogénéité des organisations institutionnelles et statuts ultramarins, la dichotomie entre l'article 73 et l'article 74 semble de moins en moins justifiée. Elle véhicule de surcroît l'idée d'une frontière entre le paradis et l'enfer, selon que l'on se trouve d'un côté ou de l'autre de la césure.

En outre, la révision de 2003 a représenté une avancée considérable, notamment sur le plan démocratique. Mais elle s'est, en quelque sorte, arrêtée au milieu du gué, en ne permettant pas aux populations d'être consultées sur des aspects plus concrets de l'évolution proposée, institutionnelle ou statutaire. Autrement dit, l'enjeu est désormais de faire sortir le « chat du sac », selon le dicton bien connu. C'est un enjeu démocratique majeur, car les trajectoires des collectivités de l'article 73 révèlent que le cadre actuel porte en lui les germes d'une forme d'inertie, notamment du fait de la méfiance des populations.

Parallèlement, la jurisprudence montre qu'en l'absence de précision, le Conseil constitutionnel fait une interprétation généralement restrictive du silence de la Constitution.

Enfin, l'absence de culture des outre-mer évoquée plus haut commande d'institutionnaliser les règles devant présider aux relations entre l'État et les collectivités.

Je suis conscient qu'il existe une majorité favorable à ce que la Constitution reste un texte le plus court possible, mais tous ces éléments me semblent plaider en faveur de l'inscription de dispositions plus détaillées s'agissant des outre-mer, afin que chacune des collectivités ultramarines puisse y trouver un cadre qui lui convienne.

Du reste, on pourrait penser que je considère que la différenciation, vers l'autonomie, est la vocation naturelle de tous les territoires. Mais je n'oublie pas Mayotte, qui me permet de préciser ici que la différenciation, c'est offrir un statut adapté, fût-il vers le plus d'identité possible, et une relation choisie avec l'État.

À cet égard, dans le droit fil des travaux de la délégation, j'avais placé la refondation de la relation, y compris budgétaire, entre l'État et les collectivités ultramarines, au coeur de la contribution sur les outre-mer que j'ai eu l'honneur, à la demande du président Gérard Larcher, de présenter au groupe de travail du Sénat sur la décentralisation. De fait, le rapport de la délégation sur les normes du bâtiment et des travaux publics appelait clairement à passer à une culture d'État accompagnateur des collectivités ultramarines pour nourrir leurs capacités d'expertise et leur garantir une véritable autonomie, qu'elles puissent mettre au service de leur développement endogène.

Il me semble que c'est cette logique, fondée sur le principe de subsidiarité d'un côté, et la différenciation de l'autre, qu'un nouveau cadre constitutionnel doit accompagner.

Autrement dit, réformer réellement et avec efficience la décentralisation outre-mer passera nécessairement par une évolution de l'État vers davantage de pragmatisme, de confiance dans ses territoires ultramarins et, évidemment, moins de centralisme.

Monsieur le président Artano, je me permets de penser que toutes les conditions sont réunies pour une actualisation des aspirations locales, après le covid et compte tenu des changements de majorités locales. Depuis le rapport sur la différenciation de 2020, je note la présence en toile de fond de la problématique statutaire. Dans la Caraïbe, les congrès des élus ont été ou sont sur le point de se réunir. Savons-nous à quel stade de la réflexion en est Wallis-et-Futuna ? La Polynésie semble vouloir se diriger vers la définition d'une nouvelle citoyenneté.

En conclusion, nous devons de toute urgence nous mettre tous d'accord sur l'écriture définitive du texte à insérer dans la loi fondamentale. Nous devrons ensuite mettre en oeuvre une véritable campagne pédagogique pour expliquer ces dispositions et les défendre auprès de chaque collectivité, des populations, des élus, des organismes représentatifs, ainsi que des parlementaires des deux assemblées, voire du Gouvernement, si nous voulons garantir le résultat et prévenir les incompréhensions. Nous n'avons pas le droit de rater cette occasion.

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