Nous examinons le deuxième volet des mesures du « paquet pouvoir d'achat » du Gouvernement. Vous constaterez, mes chers collègues, que ce PLFR permet aussi de mettre à jour l'état de nos finances publiques depuis le vote de la loi de finances initiale et de tracer les perspectives pour l'avenir.
Avant de commencer, je voudrais citer Gabriel Attal, ministre chargé des comptes publics, qui nous disait récemment : « Nous sommes passés du quoi qu'il en coûte au combien ça coûte. » J'ai souhaité le prendre au mot. La réponse n'est pas vraiment rassurante : le « combien ça coûte », ça coûte aussi cher que le « quoi qu'il en coûte », et cela risque de durer plus longtemps encore !
Le projet de loi de finances rectificative vient prendre acte de la dégradation de la situation économique par rapport à ce qui était envisagé par le Gouvernement lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2022.
La prévision de croissance du PIB baisserait ainsi de 4 % à 2,5 %, ce qui s'explique par un recul notable de la consommation des ménages et de l'investissement des entreprises.
Pour mémoire, la croissance au premier trimestre 2022 s'est avérée négative d'environ 0,2 %, ce qui n'était pas anticipé lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF).
En effet, plusieurs chocs ont affecté nos performances au plan macro-économique. Le plus important est naturellement celui produit par la crise énergétique entamée dès la fin de l'année 2021 et accentuée par l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
D'après l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) qui a réalisé une étude en ce sens en juin 2022, la crise énergétique et les tensions géopolitiques réduiraient à elles seules notre croissance de 1,8 point de PIB.
D'autres évènements sont aussi venus frapper l'économie française et celle de ses partenaires et réduire nos perspectives de croissance.
Je pense par exemple aux ruptures constatées sur les chaînes d'approvisionnement à la suite de la réouverture désordonnée des économies par le monde et de l'institution d'une politique « zéro covid » en Chine.
Au final, la prévision gouvernementale d'une croissance du PIB en volume de 2,5 % en 2022 m'apparaît quelque peu optimiste.
Elle l'est déjà si on la compare à celles fournies par les autres instituts de conjoncture puisque le Consensus Forecasts, par exemple, l'évalue à 2,3 %.
Elle l'est, en outre, si on tient compte de certains indicateurs de suivi en temps réel de l'activité économique, comme le traceur hebdomadaire développé par des économistes de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Si l'on s'appuie sur les résultats de cet indicateur pour tenter d'en dégager une prévision, sous toutes réserves, l'activité économique pourrait avoir ralenti durement au deuxième trimestre avant de se rétablir au début du troisième trimestre.
Cela pourrait signifier que notre économie serait entrée en récession technique au deuxième trimestre, c'est-à-dire que la croissance aurait été négative pendant deux trimestres consécutifs.
Nous en saurons plus demain avec la présentation des comptes de l'Insee pour le deuxième trimestre.
Enfin, l'hypothèse de croissance apparaît toujours légèrement optimiste et a minima fragile si l'on tient compte des risques liés à l'évolution des approvisionnements en gaz à partir de cet hiver.
Au-delà d'une prévision de croissance dégradée, le PLFR traduit également le constat d'une inflation très importante des prix à la production et à la consommation laquelle a des effets notables, à la fois, sur le revenu des ménages comme des entreprises et sur l'activité économique.
Nous en avons déjà parlé la semaine dernière lors de l'examen du projet de loi de règlement pour l'année 2021 : les prix à la production ont connu une accélération rapide à compter du deuxième trimestre 2021.
Cette situation se vérifie dans l'ensemble des secteurs et résulte de récoltes agricoles moins importantes qu'attendu, d'une pénurie dans l'approvisionnement de certains intrants industriels comme les semi-conducteurs et de la hausse des prix de l'énergie.
Pour l'année 2022, le Gouvernement anticipe une hausse des prix à la production de 2,3 %. Au premier trimestre 2022, on relevait déjà une augmentation de 1,3 % par rapport au premier trimestre de l'année 2021.
Il est intéressant de noter que cette augmentation s'explique d'abord par une hausse plus rapide que celle de la valeur ajoutée du coût des impositions nettes des subventions, d'une part, et des rémunérations, d'autre part.
À l'inverse, on doit relever que la dynamique des profits de l'ensemble des entreprises a permis de limiter la progression des prix à la production. Autrement dit, les entreprises ont diminué leurs marges.
Cela n'est évidemment pas vrai pour tous les secteurs. Les industries extractives et les industries de gestion des eaux et des déchets ont vu leurs marges progresser entre le premier trimestre 2021 et le premier trimestre 2022. Cela les a d'ailleurs incitées à faire un geste en faveur d'une baisse des prix de l'énergie attendue pour la deuxième partie de l'année 2022.
Dans la poursuite de la hausse des prix à la production, nous assistons depuis la fin de l'année 2021 à une hausse spectaculaire des prix à la consommation.
Le Gouvernement anticipe un taux d'inflation de 5 % en 2022 et l'Insee de 5,5 %. D'après les réponses fournies par le ministre lors de son audition, la différence proviendrait d'hypothèses divergentes sur l'évolution des prix du pétrole, le Gouvernement étant plus optimiste que l'Insee sur ce sujet.
Toujours est-il que ce regain d'inflation serait le plus important observé depuis au moins 1995, même en moyenne lissée sur trois ans.
Pour l'essentiel et d'après l'Insee, l'inflation des prix à la consommation proviendra en 2022 pour 1,9 point de l'évolution des prix de l'énergie. Mais les services contribueront également de façon quasi équivalente en raison de la hausse des salaires.
L'accélération brutale de l'inflation a entraîné une perte du pouvoir d'achat des ménages au premier trimestre 2022, lequel est revenu à son niveau de 2019 alors qu'il avait commencé à progresser de nouveau en 2021.
Je rappelle toutefois que les effets de l'inflation sont très variables selon la catégorie de ménages concernée, leurs modes de consommation et le niveau de leurs dépenses contraintes.
Le contexte inflationniste dans lequel nous évoluons contribue fortement à dégrader la consommation des ménages et l'investissement des entreprises et, par suite, nos perspectives de croissance.
Il a également pour effet d'accroître le niveau des taux d'intérêt, notamment ceux des obligations souveraines. Ainsi, au mois de juin, le taux nominal de l'obligation assimilable du Trésor à dix ans a connu un pic à 2,5 %. Par ailleurs, j'observe que les taux réels augmentent également significativement.
Depuis la fin de l'année 2021, les administrations publiques ont cherché à apporter des réponses visant soit à agir directement sur le niveau des prix, soit à réduire les conséquences de l'inflation sur le revenu des agents économiques.
La Banque centrale européenne s'est quant à elle résolue à resserrer sa politique monétaire en augmentant récemment ses taux directeurs et en réduisant fortement ses achats d'actifs. Cela n'est pas sans risque pour certains États de la zone euro, qui connaissent depuis plusieurs semaines une hausse très importante des taux qui leur sont proposés par les investisseurs. Je pense, bien sûr, à l'Italie.
Sur le plan budgétaire, les administrations publiques ont pris plusieurs mesures, que nous avons eu l'occasion de présenter ici lors de l'examen du PLF pour 2022, mais aussi du décret d'avance, en mars dernier, ou, plus récemment, avec l'examen du rapport pour avis sur le projet de loi « pouvoir d'achat » de notre collègue Christine Lavarde.
Dans l'ensemble, les mesures prises jusqu'à ce jour - bouclier tarifaire, remise à la pompe, indemnité inflation, etc. - ont eu des effets positifs sur l'évolution des prix et le revenu des agents. Ainsi, l'OFCE estime que ces mesures ont permis de réduire la perte de PIB d'environ 0,8 point. De même, l'Insee a estimé qu'au mois de juin ces mesures avaient réduit l'inflation d'environ 2 points. De façon générale, on peut constater que les anticipations d'inflation retenues par la Commission européenne pour les années 2022 et 2023 placent la France en bonne place.
Néanmoins, ces résultats ont évidemment un revers : celui de l'aggravation des comptes publics. En effet, le montant de l'ensemble des mesures prises et envisagées pour répondre à l'accélération de l'inflation s'élève à 40 milliards d'euros, soit presque la moitié du montant des dépenses engagées pour la relance et le soutien face à la crise sanitaire en 2021.
Si l'on s'arrête quelques instants sur l'état de nos finances publiques, le constat est simple : le Gouvernement laisse filer la dépense alors même que nous sommes confrontés au défi tant redouté de la dégradation des conditions de financement de notre dette.
Certes, le PLFR révise à la hausse les prévisions de recettes publiques pour 2022, avec, pour les seuls prélèvements obligatoires, un surcroît de 50 milliards d'euros.
Cette situation n'est qu'une demi-surprise, puisqu'elle s'explique, pour moitié, par le plus important niveau de recettes constaté en 2021. Comme je l'ai indiqué la semaine dernière, celui-ci aurait pu être amplement anticipé si le Gouvernement avait actualisé sa prévision de croissance en 2021 en pleine cohérence avec les indicateurs de conjoncture.
Par ailleurs, la hausse des recettes prévues en 2022 s'explique aussi par le relèvement de l'hypothèse d'élasticité des prélèvements obligatoires de 1 à 1,5. Il s'agirait là d'un événement rare en comparaison historique, qui, même s'il n'est pas exclu qu'il se vérifie, doit appeler à une grande prudence.
Surtout, en parallèle de cette hausse des recettes, les dépenses publiques augmenteront de 60 milliards d'euros par rapport à la prévision inscrite en loi de finances. Pour plus de la moitié, cette hausse résulte de l'adoption des mesures prises en réponse à l'inflation.
Environ 18 milliards d'euros correspondent, par ailleurs, au renchérissement de la charge de la dette, dès 2022, notamment en raison du coût des obligations indexées.
Au bilan, le niveau des dépenses publiques n'est plus du tout en phase avec les objectifs de la loi de programmation. En excluant les dépenses liées à la crise sanitaire, les dépenses primaires progressent de 1,6 % en 2022 et s'établissent donc 5 % au-dessus de leur niveau prévu en loi de programmation des finances publiques (LPFP). Les dépenses augmenteraient même si on les retraitait des mesures liées à l'inflation. En l'occurrence, elle s'établirait encore 2,5 % au-dessus de la cible prévue en LPFP.
Mais j'imagine que, si nous retraitions les dépenses de toutes les hausses décidées par le Gouvernement en contradiction avec ses engagements pris en 2017, nous finirions peut-être par constater qu'il a respecté la loi de programmation...
En attendant, notre déficit public, qui, lui, n'est pas retraité, s'établira à 5 % du PIB en 2022, soit environ 130 milliards d'euros. Cette estimation m'apparaît fragile, d'abord car la prévision de recettes est incertaine, ensuite parce que le niveau de l'inflation pourrait être plus important que prévu, ce qui aura nécessairement un effet sur les mesures de soutien et sur la charge de la dette. J'observe d'ailleurs que le Consensus Forecasts et l'OFCE anticipent un déficit qui serait, lui, plus proche de 5,5 %.
Enfin, notre endettement public devrait s'établir à 111,5 % du PIB, en léger reflux en proportion du PIB, mais en hausse de 121 milliards d'euros.
Le point sur lequel je souhaite insister est celui de l'évolution de la charge de la dette, qui représente désormais 1,6 % du PIB, soit près de 40 milliards d'euros. Nous sommes face à un changement de régime dans les conditions de financement de la dette publique. Les taux nominaux négatifs appartiennent probablement à une époque révolue et il pourrait bientôt en être de même pour les taux réels négatifs. C'est une nouvelle ère qui s'ouvre. À titre d'exemple, l'OFCE anticipe que la charge de la dette devrait s'élever à près de 70 milliards d'euros en 2027, ce qui est peu ou prou le budget de la mission « Enseignement scolaire » aujourd'hui.
J'en viens à présent au budget de l'État, qui illustre très concrètement le « combien ça coûte ».
Alors que la loi de finances initiale prévoyait un déficit de 153,8 milliards d'euros, niveau considérable, mais un peu inférieur aux records atteints en 2020 et 2021, ce collectif budgétaire anticipe un déficit de 177,8 milliards d'euros, situé, pour la troisième fois consécutive, au-delà des 170 milliards d'euros. L'Assemblée nationale l'a même porté à 178,7 milliards d'euros.
Ce surcroît de déficit résulte d'une longue liste de dépenses nouvelles. Vous connaissez déjà les grandes masses : la nationalisation d'EDF, pour près de 10 milliards d'euros ; l'augmentation de la charge budgétaire, pour un montant encore supérieur ; mais aussi un grand nombre de dépenses diverses, que j'essaierai de vous résumer tout à l'heure. En outre, ce projet de loi de finances rectificative, comme c'était le cas lors du premier projet de loi de finances rectificative de 2021, prend en compte une prévision de consommation sur les crédits reportés depuis l'an dernier, ce qui n'était pas le cas dans la loi de finances initiale : l'impact est de 9,1 milliards d'euros.
Il y a certes, en face, des recettes supplémentaires importantes, de plus de 30 milliards d'euros, surtout pour l'impôt sur les sociétés et la TVA, mais nous constatons une croissance très forte des dépenses pilotables.
Vous vous souvenez que la LPFP prévoyait une hausse des dépenses pilotables très faible, voire négative en volume. Comme pour les dépenses publiques que j'ai évoquées tout à l'heure, le Gouvernement a oublié assez rapidement cet objectif, qu'il a toujours dépassé.
Mais que dire de la situation actuelle ? En 2022, les dépenses pilotables, c'est-à-dire celles sur lesquelles l'État a une vraie marge de manoeuvre, sont en hausse de 27 milliards d'euros environ, dont 8,9 milliards d'euros prévus par la loi de finances initiale par rapport à l'exécution 2021 et 18,1 milliards d'euros supplémentaires par ce projet de loi de finances rectificative. Cette notion n'inclut pourtant ni les dépenses d'urgence, ni celles de relance, ni la nationalisation d'EDF, ni l'augmentation de la charge de la dette... Aucune mission du budget général ne voit ses dépenses pilotables diminuer. On peut donc dire qu'il n'y a plus de pilote pour les dépenses de l'État. Nous devrons nous en souvenir à l'automne prochain, lorsque le Gouvernement présentera - enfin - un nouveau projet de loi de programmation des finances publiques.
L'an passé, j'avais parlé de « budget de précaution » face à l'importance des ouvertures de crédits ouverts par le collectif budgétaire du milieu de l'année, car elles paraissaient très élevées, alors que les restrictions liées à l'activité économique, en lien avec la crise sanitaire, étaient réduites. On a d'ailleurs constaté que le déficit, prévu en milieu d'année à 220,1 milliards d'euros, s'est finalement élevé à 170,1 milliards d'euros. Il en avait été de même en 2020 : le Gouvernement, disons-le, avait constitué des marges importantes, que nous avions d'ailleurs votées en raison des incertitudes sur une crise d'une nature et d'une ampleur inédites.
Cette année, la crise me paraît d'une autre nature, de même que la réponse qui y est apportée. Il s'agit non plus de soutenir les entreprises et les ménages en fonction de l'évolution d'une situation sanitaire incertaine, mais de réaliser des dépenses qui sont d'ores et déjà annoncées ou qui paraissent très probables : charge de la dette, nationalisation d'EDF, aide aux entreprises et aux ménages face à l'inflation... Je ferai tout de même une réserve sur certaines enveloppes telles que les crédits non répartis ou les participations financières de l'État, sur lesquelles je vous proposerai des amendements de modération.
Enfin, avant de passer aux recettes, j'aborderai une fois de plus la question de l'utilisation par ce Gouvernement, comme par le précédent, de toutes les facultés budgétaires qu'offre la loi organique relative aux lois de finances dans sa lettre, sinon dans son esprit, pour financer les dépenses supplémentaires qu'il engage.
Les reports de crédits sont une nouvelle fois massifs, à hauteur de 29,3 milliards d'euros, dont 23,2 milliards d'euros sur le budget général. Ils concernent un grand nombre de missions, mais la prévision de consommation est de 9,1 milliards d'euros seulement. Rappelons que 4 milliards d'euros de crédits issus de reports ont été utilisés par le Gouvernement non pas pour financer des politiques publiques, mais simplement pour « gager » le décret d'avance du 7 avril dernier. Les autres crédits annulés par ce décret sont rétablis, dans l'ensemble, par le présent projet de loi de finances rectificative, ce qui confirme ce que nous avions alors critiqué, à savoir le caractère artificiel de ces annulations de crédits.
Une autre particularité de ce texte est qu'il réussit à aggraver le déficit budgétaire de plus de 23 milliards d'euros, sans pour autant accroître l'endettement au titre de l'année 2022, comme le souligne le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. En fait, c'est bien avec une dette que le déficit est financé, mais avec celle qui a été contractée il y a deux ans. En 2020, l'État avait dimensionné ses émissions de titres de dette par rapport au déficit prévu en milieu d'année, soit 225 milliards d'euros, mais le déficit final avait été de 178 milliards d'euros. L'État s'est donc retrouvé avec une trésorerie surabondante, qu'il a conservée jusqu'à ce jour et qu'il propose d'utiliser pour financer le déficit actuel.
Pour résumer ce budget rectificatif avec des chiffres ronds, on pourrait dire que des dépenses supplémentaires de 50 milliards d'euros sont financées par 30 milliards d'euros de surcroît de ressources et 20 milliards d'euros de dette émise il y a deux ans.
Nous allons examiner comment se décomposent ces 30 milliards d'euros de ressources supplémentaires, ou plus précisément les 31,1 milliards d'euros prévus dans le texte initial et les 27,6 milliards d'euros dans le texte transmis par l'Assemblée nationale.
Les recettes fiscales en constituent la plus grande partie. Tous les grands impôts sont en augmentation, sauf la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui reste à peu près stable. L'amélioration de la conjoncture économique est la principale explication de l'augmentation des recettes. L'impôt sur le revenu net, par exemple, est réévalué de 3 milliards d'euros, en raison notamment du dynamisme de la masse salariale.
Mais l'effet le plus important concerne l'impôt net sur les sociétés, dont le produit serait supérieur de 16,8 milliards d'euros au niveau prévu en loi de finances initiale. Le Gouvernement en donne des explications assez limitées, mais il constate des remontées comptables importantes, en particulier sur les paiements du solde 2021, qui est encaissé en mai 2022.
Le produit net de l'impôt sur les sociétés atteindrait donc 56,8 milliards d'euros, soit plus de la moitié de la TVA revenant à l'État et une multiplication par 2,1 par rapport au niveau encaissé en 2018, malgré la baisse progressive du taux de 33 % à 25 % sur la période.
Les recettes nettes de TVA affectées à l'État augmentent également de manière significative, de 6,5 milliards d'euros dans le texte initial du projet de loi de finances rectificative. Cette augmentation s'explique notamment par l'effet du choc de l'inflation sur la base taxable. Toutefois, l'Assemblée nationale a décidé d'affecter 3,6 milliards d'euros à l'audiovisuel public, ce qui diminue d'autant le produit revenant à l'État et fragmente encore un peu plus l'affectation de cet impôt - je reviendrai sur ce choix.
Les prévisions de recettes non fiscales sont elles aussi réévaluées de 3,6 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale.
On peut noter que certains versements sont en hausse, comme celui de la Banque de France au titre du mécanisme de financement du fonds de retraite de ses agents - + 1,1 milliard d'euros -, tandis que le dividende versé par la Caisse des dépôts et consignations serait en baisse. Par ailleurs, le prolongement des prêts garantis par l'État apporte une ressource supplémentaire au titre de la rémunération de cette garantie. Notons, enfin, l'impact de 0,5 milliard d'euros de la convention judiciaire d'intérêt public signée le mois dernier entre l'État et le groupe McDonald's.
Je serai obligé d'être synthétique pour décrire les dépenses, compte tenu de leur foisonnement.
Le projet de loi de finances rectificative ouvre, dans son texte initial, des crédits de 53,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 47,6 milliards d'euros en crédits de paiement sur 103 des 145 programmes du budget général. Il annule seulement 9 millions d'euros sur un programme unique du budget général, le programme 355 « Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l'État », dont les crédits sont évaluatifs. Il fait suite, toutefois, au décret d'avance du 7 avril dernier, qui avait, lui, annulé des crédits sur 87 programmes du budget général afin de « gager » les ouvertures réalisées sur 6 programmes.
J'ai donc, dans mon rapport, considéré en général les ouvertures de crédits nettes des annulations réalisées par le décret d'avance, ce qui permet d'examiner la manière dont les crédits évoluent par rapport à la loi de finances initiale.
Les ouvertures de crédits sont ainsi les plus élevées jamais observées dans un collectif budgétaire depuis l'entrée en vigueur de la LOLF. Plus généralement, les lois de finances rectificatives ont pris une importance considérable depuis 2020.
Certaines ouvertures de crédits concernent plutôt les rémunérations et les pensions de différentes catégories de personnes, notamment l'augmentation du point d'indice et la revalorisation anticipée des pensions. Les plus importantes résultent de l'inflation, en partie liée aux prix de l'énergie, et à d'autres crises en cours, qu'il s'agisse de l'impact sur la charge de la dette, de la nationalisation d'une entreprise en grande difficulté ou des aides aux entreprises et aux ménages. On considérera à part la réforme de l'audiovisuel public, pour laquelle l'Assemblée nationale a refusé la solution des crédits budgétaires. Enfin, un certain nombre de dépenses, certes moins coûteuses, mais sans grand lien avec la situation actuelle, ont été agrégées dans le projet de loi de finances rectificative.
Pourtant, toutes les annonces du Gouvernement ne sont pas suivies d'ouvertures réelles de crédits. Ainsi, le « fonds de renaturation des centres-villes », doté de 500 millions d'euros, qu'il avait annoncé opportunément au moment de la canicule de la mi-juin, ne bénéficie pas de crédits budgétaires : il s'agira d'un simple fléchage de prêts de la Caisse des dépôts, assis sur le fonds d'épargne.
Vous le voyez, les dépenses s'accumulent pour la troisième année consécutive. Or, si la crise sanitaire était temporaire - on pouvait l'espérer et, du reste, le rebond de la croissance l'a confirmé dès la fin de 2021 -, ce n'est pas le cas de la crise énergétique et environnementale : on verra peut-être le prix du carburant redescendre temporairement un jour, si les tensions internationales s'apaisent, mais ne nous y trompons pas, ce n'est pas une crise temporaire de plus que nous traversons en ce moment, c'est un monde nouveau où nous devons apprendre à vivre différemment et où les mesures budgétaires - le « quoi qu'il en coûte » ou le « combien ça coûte ? » - ne pourront pas constituer des réponses durables. Bientôt viendra l'heure des choix douloureux : quelle dépense publique voulons-nous ? Quelles priorités fixons-nous, alors que nous ne pourrons plus nous financer si facilement par la dette et que la dette passée pèsera dans nos comptes ?
Aussi, au regard de l'ensemble des éléments que je vous ai exposés, je ne proposerai pas de nouveau dispositif s'ajoutant à la longue liste de ceux qui sont déjà prévus dans les deux projets de loi du moment, le texte sur le pouvoir d'achat et le PLFR.
Le texte issu de l'Assemblée nationale comprend des avancées qui vont dans le bon sens, comme la hausse du plafond applicable à la défiscalisation des heures supplémentaires ou encore la « monétisation » des jours de réduction du temps de travail (RTT). Il faut soutenir les salariés et offrir de la souplesse dans la gestion du temps de travail, alors que les ménages connaissent une perte de pouvoir d'achat et que les entreprises subissent les aléas des crises économiques successives, qui pèsent sur leur production en raison des difficultés d'approvisionnement et de recrutement. Je vous proposerai d'ailleurs un amendement qui vise à pérenniser la hausse, à 7 500 euros, du plafond d'exonération fiscale sur les heures supplémentaires, mesure qui permet de revaloriser le travail.
Soutenir les travailleurs les plus précaires, c'est également ce qui a déterminé mon choix de remplacer la prime de rentrée exceptionnelle, réservée aux bénéficiaires des minima sociaux, par une aide ponctuelle « coup de pouce » pour les bénéficiaires de la prime d'activité. En effet, tous les dispositifs de soutien - minima sociaux, aide personnalisée au logement (APL), prime d'activité - bénéficient déjà d'une revalorisation anticipée, que nous ne remettons pas en cause. Cela dit, il faut mettre fin à la politique du chèque permanent.
En revanche, j'estime nécessaire de maintenir un soutien aux banques alimentaires, qui sont soumises à d'importantes difficultés d'approvisionnement, compte tenu notamment de l'inflation. Aussi, je propose de répondre à leurs attentes en allongeant la participation financière de l'État à leurs missions à hauteur de 40 millions d'euros.
Sur le bouclier en matière d'énergie, je me rallie globalement à ce qui a été décidé, notamment un soutien plus important et pour tous via la remise carburant. Néanmoins, j'estime que nous arrivons au bout de la logique : la transition écologique doit être menée, notre souveraineté énergétique doit être retrouvée et l'état de nos finances publiques ne nous permettra pas de poursuivre ainsi au-delà de la fin de l'année.
Je suis par ailleurs favorable à l'extension du bouclier tarifaire aux ménages qui se chauffent au fioul. L'aide de 230 millions d'euros adoptée contre l'avis du Gouvernement ne sera pas de trop. Pour autant, j'ai encore beaucoup de questions sur les modalités de l'aide qui sera mise en oeuvre, qui doit être réellement utile à ceux qui en ont besoin ; j'ai bien l'intention d'avancer sur ce sujet.
Pour ce qui concerne la suppression de la contribution à l'audiovisuel public, je prends acte de la perte de 3 milliards d'euros et donc du « trou » ainsi créé dans le financement de l'audiovisuel public ; le montant de TVA qui remplace cette redevance représente autant de ressources qui ne seront pas utilisées à autre chose. En outre, cela n'aura qu'un temps, car cette affectation ne devrait plus être possible au-delà du 1er janvier 2025, en vertu de la révision de la LOLF que nous avons adoptée à la fin de l'année dernière. J'espère donc que le Gouvernement profitera de ces deux années pour mener une véritable réforme de l'audiovisuel public, en y associant un mode de financement efficace. Les propositions de la mission menée par Roger Karoutchi et Jean-Raymond Hugonet sont sur la table.
Pour ce qui se rapporte aux compensations allouées aux collectivités territoriales, nous y sommes évidemment tous très attentifs. Je pense que l'amendement issu des travaux intergroupes de l'Assemblée nationale et relatif au bloc communal constitue une bonne base, mais il est trop restrictif, tant dans ses critères d'éligibilité que dans les modalités de calcul de l'aide. Je vous proposerai des aménagements pour pousser les curseurs.
Je finis en indiquant que j'ai traqué les réserves de budgétisation que le Gouvernement était susceptible de s'être constituées. L'expérience de 2021 et les reports de crédits massifs réalisés début 2022 me font penser que cette pratique se poursuit. Je vous proposerai en particulier de supprimer 3 milliards d'euros inscrits au titre des participations financières de l'État qui ne paraissent pas justifiés, ce qui ne remet pas en cause l'opération EDF. De même, je propose de réduire de 2 milliards d'euros à 500 millions d'euros l'ouverture de crédits prévue au titre de la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles (DDAI). Comme l'an dernier, cette enveloppe me paraît superflue et incohérente avec l'esprit de la LOLF.
J'aurai probablement quelques autres amendements, sur lesquels je travaille encore, à vous présenter lundi prochain. Compte tenu des délais dans lesquels nous avons dû prendre connaissance de l'ensemble du texte transmis, vous comprendrez que j'aie peut-être quelques amendements remords. Pour ne rien vous cacher, je suis notamment en train de travailler à une augmentation de la dotation pour les titres sécurisés. En effet, l'article 14 prévoit une majoration exceptionnelle, mais celle-ci me semble encore sous-calibrée par rapport aux difficultés qui se sont fait jour sur l'ensemble de nos territoires, conduisant à l'allongement des délais d'obtention des titres d'identité pour nos concitoyens. Pour des raisons de recevabilité financière, je ne peux proposer cette mesure sans en discuter en amont avec le Gouvernement, pour que cela soit pleinement opérationnel ; j'espère revenir vers vous avec de bonnes nouvelles sur ce point.