Intervention de François de la Guéronnière

Commission des affaires sociales — Réunion du 27 juillet 2022 à 9h30
Enquête demandée par la commission sur le 100 % santé — Audition de M. François de la Guéronnière président de section à la cour des comptes

François de la Guéronnière, président de section à la Cour des comptes :

Je vous remercie vivement de m'avoir invité à présenter ce rapport de la Cour des comptes sur la réforme du 100 % santé. Je voudrai tout d'abord rappeler le cadre dans lequel cette réforme a été mise en oeuvre. Le 100 % santé était une promesse électorale du président de la République formulée durant la campagne de 2017. La réforme ne remet pas en cause l'articulation entre l'assurance maladie obligatoire et l'assurance complémentaire santé. Si les premiers éléments de cette réforme se sont concrétisés dès 2018, son entrée en vigueur intégrale n'a eu lieu qu'en 2021. La Cour n'a donc disposé que d'un recul limité pour procéder à ce premier bilan de mise en oeuvre du 100% santé, bilan qui repose sur des données parcellaires. Enfin, la réforme a été percutée par la crise sanitaire qui a probablement retardé sa mise en oeuvre.

Ma présentation s'articulera autour de trois points : un rappel des objectifs de la réforme, une présentation des premiers résultats, une évaluation des coûts.

La persistance de restes à charge élevés dans le champ de l'optique, du dentaire et de l'audioprothèse est le fondement de la réforme. Ces restes à charge étaient moindres en optique du fait de l'existence d'offres sans reste à charge. Ces restes à charge étaient à l'origine de renoncements aux soins, renoncements plus fréquents lorsque les personnes ne disposaient pas d'une assurance santé complémentaire, alors que ce mode de couverture n'est que peu concerné par cette réforme.

La réforme a procédé à la création de trois paniers de soins différenciés (100 % santé, libre, avec un reste à charge maitrisé). Son objectif est de plafonner le prix des soins des paniers 100 % santé et de proposer un remboursement intégral par le biais de l'assurance-maladie obligatoire et de l'assurance complémentaire santé.

Pour les prothèses dentaires et auditives, le dispositif supprime les restes à charge sur des équipements déjà consommés par une partie de la population. En optique, le dispositif introduit de nouveaux produits sans reste à charge, d'un niveau de prix très inférieur à celui des équipements majoritairement consommés jusqu'alors.

Cette réforme bénéficie également aux assurés de la complémentaire santé solidaire, les équipements proposés dans les paniers 100 % santé étant de gammes supérieures à celles des produits qui leur étaient proposés jusqu'alors. En contrepartie, le remboursement de l'assurance maladie obligatoire hors paniers 100 % santé a été réduit en optique et le plafonnement du remboursement des lunettes abaissé pour les complémentaires santé.

Les premiers résultats de cette réforme diffèrent selon les secteurs.

Pour le dentaire les résultats sont plutôt favorables. Le panier sans reste à charge et le panier modéré représentent une part très majoritaire des actes prothétiques réalisés (respectivement 55 % et 21 % en 2021). Une diminution des restes à charge de 21,2 % en 2019 à 18,3 % en 2020 est constatée. Le nombre de patients recourant aux soins est en augmentation (avec un nombre d'actes prothétiques par patient qui a augmenté de 2,28 en 2018 à 3,08 en 2021) mais cette évolution est encore incertaine.

Pour l'audioprothèse, le recours au 100% santé concerne 40 % des aides auditives vendues en 2021. Selon les informations communiquées à la Cour par l'Unocam, une diminution des restes à charge a pu être constatée. Cette forte augmentation du nombre de patients doit être confirmée dans la durée (avec un nombre d'aides auditives par patient qui a augmenté entre 2018 et 2021, pour passer de 1,82 à 1,94) tandis que les prestations de suivi doivent faire l'objet d'une attention soutenue et de contrôles réguliers.

C'est dans le domaine de l'optique que le bilan est le plus contrasté. Des offres sans reste à charge existaient déjà avant la mise en oeuvre de la réforme, dont l'apport est limité. Seuls 17 % des équipements sont délivrés avec au moins un bien du panier sans reste à charge. Ce taux n'est que de 9% lorsque les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire sont écartés du panel. Aucune progression du taux de recours n'est constatée, au contraire, nous assistons à une augmentation du reste à charge de 23 % en 2019 à 27 % en 2020.

Au vu de ces résultats nous nous sommes interrogés sur les leviers qui pouvaient être mobilisées pour rendre la réforme plus effective.

Le premier levier concerne le renforcement de la communication. En direction des assurés, d'une part, puisque seule la moitié d'entre eux aurait connaissance du dispositif. En direction des professionnels concernés, d'autre part, puisque les trois quart (72%) des établissements contrôlés par la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) dans les secteurs de l'optique et des audioprothèses présentent au moins une non-conformité, dont près de 40 % s'avère en lien, direct ou indirect, avec la réforme du 100 % santé.

Le deuxième levier concerne l'évaluation de la qualité des équipements, notamment pour vérifier l'adéquation du contenu des paniers avec les besoins de la population (par exemple pour les grosses corrections en optique).

Enfin, il faut constater que l'obligation de proposer le tiers-payant intégral pour les actes du panier 100% santé est encore insuffisamment mise en oeuvre. Des taux faibles sont constatés, particulièrement en dentaire. Ces difficultés ne sont pas spécifiques au 100 % santé mais il importe de trouver des solutions pour mieux faire respecter cette obligation.

La cour s'est également penchée sur le coût de cette réforme qui, à ce stade, est difficilement évaluable. L'équilibre financier de la réforme a été construit sur deux principes. D'une part, un équilibre entre des surcoûts (issus des remboursements à 100 % des audioprothèses et des prothèses bancaires) et des économies (moindres remboursements et baisse des prix, notamment dans l'optique). D'autre part, une parité des coûts prévisionnels pour l'assurance maladie obligatoire et l'assurance complémentaire en santé.

Cet équilibre reposait sur des hypothèses insuffisamment documentées et très volontaristes s'agissant de l'optique, d'ailleurs non partagées par les organismes complémentaires, qui projetaient de moindres économies sur l'optique que le Gouvernement.

Le coût prévisionnel de la réforme estimé par le ministère de la Santé s'élevait à 170 millions d'euros, dont 87 millions d'euros d'ici 2023 pour l'assurance maladie obligatoire (économies attendues sur le dentaire et l'optique) ; 80 millions d'euros pour les complémentaires (fortes économies sur l'optique en contrepartie de fortes hausses sur le dentaire et l'audioprothèse).

La cour n'ayant pas accès aux comptes des complémentaires santé, les chiffres qu'elle a recueillis reposent sur les données déclarées par ces derniers.

La mise en oeuvre de la réforme fait apparaitre des dépenses inférieures aux prévisions pour l'assurance maladie obligatoire mais supérieures pour les complémentaires. Les dépenses cumulées pour l'assurance maladie obligatoire seraient de 127 millions d'euros (2019-2021) contre 150 millions d'euros attendus. Le surcoût constaté sur les dépenses d'audioprothèse est contrebalancé par des économies supérieures à celles anticipées sur l'optique. Un surcoût potentiellement conséquent est constaté dans le champ des complémentaires santé. Une moindre économie de 265 millions d'euros serait constatée, du fait de l'optique pour l'essentiel. La Cour estime toutefois que ce chiffrage est à prendre avec précaution et doit faire l'objet d'analyses supplémentaires.

L'incidence de la réforme sur les secteurs économiques concernés par la réforme est quant à lui difficilement évaluable. Il est a priori très favorable dans l'audioprothèse, plutôt favorable dans le dentaire et encore incertain dans l'optique.

Avant de présenter les recommandations de la cour, je voudrais évoquer les outils de régulation qui accompagnent cette réforme. Un seul outil de régulation financière est disponible, il concerne le secteur des audioprothèses. Un mécanisme prix/volume devait s'appliquer si le volume vendu pour les adultes excédait 650 000 unités sur 9 mois ou 935 000 unités sur l'année 2021. Ce seuil fixé avec les acteurs a été largement dépassé en 2021 (1,38 million d'unités ont été remboursées à fin novembre 2021), pour autant aucune baisse de prix n'a été réalisée.

Dans le dentaire, une clause de rendez-vous, peu opérante, applicable uniquement en cas de déséquilibre dans la répartition observée des actes prothétiques dentaires entre les trois paniers est prévue. Enfin aucun mécanisme de régulation n'existe en optique, sauf la possibilité offerte aux complémentaires santé de réduire leurs garanties (pour lesquelles il n'existe pas de réel dispositif de suivi).

Ces constats dressés, la Cour formule trois recommandations. Premièrement, mettre en place un partage des données entre l'assurance maladie obligatoire et les assurances complémentaires santé en veillant à la mise à disposition de données de remboursement par ces dernières et assurer, sur cette base, un suivi identifiant les dépenses exposées au titre de la réforme.

Deuxièmement, réviser à la baisse les prix limites de vente des audioprothèses du panier 100 % santé.

Troisièmement, prévoir, dans le cadre de futures négociations conventionnelles avec les syndicats de chirurgiens-dentistes une clause permettant d'agir en cas de dérapage de la trajectoire des dépenses de prothèses dentaires ; renforcer les contrôles de la mise en oeuvre du 100% santé par les chirurgiens-dentistes.

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