Intervention de Dominique Théophile

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 7 juillet 2022 : 1ère réunion
Audition dans le cadre du suivi de l'étude de la délégation sur les risques naturels dans les outre-mer

Photo de Dominique ThéophileDominique Théophile :

Dans le rapport que j'ai rédigé sur la lutte contre les sargasses à l'échelon international, je me demandais si ce phénomène serait régulier. Savoir que la réponse est positive permet de débloquer un certain nombre de choses et de lever un frein pour les industriels.

On constate déjà des avancées en matière de transformation et de valorisation. Ainsi, l'Université Antilles-Guyane et l'Université de Saint-Domingue ont mené une étude sur la fabrication d'un four pyrolyse permettant de produire du charbon actif à partir des sargasses. Dans nos territoires, le charbon actif permet de décontaminer l'eau et d'en extraire le chlordécone pour la rendre potable. À partir de sargasses qui, curieusement, peuvent contenir elles-mêmes du chlordécone, on produit donc du charbon actif pour décontaminer l'eau. Il s'agit donc d'un cercle très vertueux. Puisque l'on sait maintenant que l'apparition des sargasses est un phénomène régulier, les industriels peuvent s'investir sans craindre de se retrouver sans stock. Il faudrait que la DGOM se saisisse de ce sujet.

Si l'on sait désormais valoriser les sargasses, certaines nuisances existent toujours : elles concernent notamment les zones de stockage. Pour juguler le problème, il faut faire un épandage des sargasses de moins de vingt centimètres d'épaisseur ; or cela représenterait presque la moitié du territoire de la Guadeloupe ! Il faut donc trouver une solution.

À Capesterre-de-Marie-Galante, le lixiviat des sargasses pénètre dans la nappe phréatique. Heureusement, ces sargasses ne contiennent pas de chlordécone, sinon, cela aurait été la catastrophe !

Dans certains autres territoires, les sargasses sont contaminées par le chlordécone. Si le stockage est prévu dans une zone non chlordéconée, vous transportez du chlordécone dans une zone non chlordéconée et contaminez l'eau ! Or on sait aujourd'hui que la rémanence de la chlordécone est de plus de 700 ans. C'est donc une situation très inquiétante.

Dans le cadre de la mission qui m'a été confiée, je suis notamment allé à Saint-Domingue. Une expérimentation en autoproduction y est menée, avec des containers déjà usagés appelés « derniers voyages » : on fait passer les sargasses dans des fours alimentés par des panneaux photovoltaïques, ce qui ne coûte pas cher du tout. Les sargasses étant constituées à 85 % ou 90 % d'eau, on récupère ensuite des feuilles qui sont assemblées en ballots et stockées sur des liners.

Il faut aussi se tourner vers le ramassage, puisque le matériel amphibie, qui existe pourtant, tarde à venir pour aller récupérer les sargasses fraîches. Une fois que l'échouement a eu lieu, le travail est multiplié par quatre !

Certaines plages sont dénaturées par le ramassage des sargasses, parce que le matériel n'est pas adéquat : les machines ramassent 90 % de sable et 10 % de sargasses. Il faut du matériel amphibie moderne et arrêter les pelles mécaniques qui ne sont pas dédiées à cela.

Il est question d'un budget de 36 millions d'euros. Peut-être que, d'ici quelques années, on n'aura plus besoin d'une telle somme, mais, aujourd'hui, c'est dérisoire : 6 millions d'euros étant déjà consacrés à la recherche, il reste très peu pour participer au ramassage. D'après mes calculs, ce ne sont pas moins de 350 millions d'euros qu'il faudrait mobiliser pour la seule Guadeloupe !

Il faut aborder cette problématique avec précaution pour prévenir les revendications et éviter que, malgré l'effort de l'État, les résultats ne soient pas visibles. La recherche avance à son rythme : elle nous a appris que le phénomène était récurrent. Les prochaines étapes concernent la télédétection, la météo des sargasses, la prévention et la préparation du ramassage.

Ce phénomène devient pour nous un frein non seulement environnemental, mais aussi en termes de santé. Il bloque l'économie. Dans la commune de Capesterre-de-Marie-Galante, 85 % des restaurants sont fermés, alors même que le tourisme a une place prépondérante.

Le rapport de la délégation est très précieux pour aller plus loin.

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