Intervention de Patrick Pouyanné

Commission des affaires économiques — Réunion du 13 juillet 2022 à 8h30
Sécurité de l'approvisionnement énergétique dans le contexte de la guerre en ukraine — Audition

Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies :

Notre entreprise, historiquement tournée vers le pétrole, a diversifié ses activités : TotalÉnergies est le deuxième acteur mondial dans le secteur du GNL et le groupe produit de l'électricité à partir du gaz et des énergies renouvelables.

L'énergie repose sur trois piliers : les consommateurs veulent une énergie disponible, abordable et durable. Depuis l'année 2015, le débat portait davantage sur la protection du climat. La crise en Ukraine montre toutefois que ces trois impératifs sont essentiels. Mon expérience m'a appris que le prix était sans doute le plus important d'entre eux, partout dans le monde. Les réactions sont nombreuses lorsque les prix de l'énergie augmentent ; l'inverse est moins vrai. Je rappelle que nous avons connu, ces dernières années, avant 2022, des prix extrêmement bas.

Pour réussir la transition énergétique, la planification est fondamentale : on ne peut pas continuer à agir de manière désordonnée. Le système énergétique actuel - peut-être moins en France il est vrai - est fondé sur des énergies fossiles. Nous devons construire le nouveau système énergétique décarboné : la tâche est prométhéenne. Cela suppose des investissements de plusieurs milliers de milliards de dollars. L'AIE estime qu'il faut passer de 2 000 à 4 000 milliers de dollars les prochaines années. Or nous commettons une erreur en voulant simultanément construire le nouveau système et détruire celui qui nous fait vivre aujourd'hui. La place qu'occupe le système actuel ne diminuera que lorsque la nouvelle offre sera disponible, pas avant. Les énergies renouvelables représentent seulement 15 % du mix énergétique mondial. Le nucléaire et le gaz sont encore essentiels, comme on l'a vu à l'occasion du débat sur la « taxonomie verte européenne ».

Le débat repose principalement sur l'offre. Abandonner les énergies fossiles ne sera possible que si la demande baisse. Or les moyens de transport fonctionnent avec du pétrole. Si l'on investit moins dans le système fossile et que la demande ne diminue pas simultanément, l'ajustement se fait alors par le prix. Certes, la crise actuelle s'explique par la crise en Ukraine, mais aussi par la diminution des investissements dans les énergies fossiles depuis 2015. Ceux-ci s'élèvent à 400 milliards d'euros par an. Cela correspond au niveau identifié par l'AIE dans le scenario « Zéro émission nette ». Or la demande continue d'augmenter, parce que la population augmente, alors que l'offre tend à diminuer. Sans investissements suffisants, nous perdons chaque année 4 % de capacité de production, parce que les puits perdent de la pression. Nous pourrons réduire les investissements seulement lorsque la demande en pétrole s'atténuera. Aujourd'hui, il est trop tôt.

J'en viens à la question de la demande. Je suis ravi de m'être associé à mes collègues dans cette tribune, approuvée par 65 % des Français. Alors que le pouvoir d'achat et l'enjeu climatique sont au centre du débat public, la meilleure énergie est celle que l'on ne consomme pas. Nous devons lancer un mouvement collectif, comme celui que nous avons connu dans les années 1970, et réapprendre plusieurs petits gestes, qui renforcent le pouvoir d'achat ainsi que notre souveraineté énergétique : baisser la température ou la climatisation d'un degré ou utiliser un programme à 30 degrés et à 800 tours par minute pour les machines à laver, couper l'électricité des bureaux après 22 heures par exemple. Le but n'est pas d'embêter les Français mais d'appliquer à nouveau ce que nous avons tous appris plus jeunes. Notre entreprise investira un milliard d'euros pour économiser l'énergie l'année prochaine, car nos raffineries consomment elles-mêmes beaucoup d'énergie. Nous pouvons gagner en pouvoir d'achat, en réduction d'émissions de gaz à effet de serre (GES) et en sécurité d'approvisionnement.

Nos terminaux de GNL, qui représentent 25 % des capacités européennes, sont remplis. Nous disposons de 11 usines de production de GNL, sommes le deuxième acteur du GNL mondial et le premier exportateur de GNL des États-Unis - ces exportations ayant été redirigées vers l'Europe bien évidemment. Une unité flottante de regazéification sera installée en septembre 2023 au Havre si le Parlement vote les mesures contenues dans le projet de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, afin d'accélérer son implantation : sa capacité de production s'élèvera à 5 milliards de mètres cubes par an. Les investissements nécessaires seront pris en charge par TotalÉnergies. La seconde unité flottante de regazéification serait implantée en Allemagne.

Nous devons accepter l'idée que la Russie cessera un jour ou l'autre ses exportations de gaz vers l'Union européenne (UE). Je pense que nous aurions dû interrompre nous-mêmes les importations pour éviter ce supplice à petit feu.

Les énergies renouvelables sont produites localement et permettent d'assurer notre indépendance énergétique. Je soutiens par ailleurs tout à fait le programme de relance de l'énergie nucléaire; décidé par le Gouvernement. Nous devons nous mobiliser en faveur du biogaz et des énergies renouvelables terrestres, comme l'éolien et le solaire. L'éolien offshore dispose d'un vrai potentiel. Les trois énergéticiens français ont dépensé plus de 2 milliards de dollars, au début de l'année 2021, pour acheter des concessions d'éolien offshore aux États-Unis. Notre concession représente 3 gigawatts (GW) Les procédures d'attribution y sont plus simples qu'en France, puisque l'achat du domaine maritime passe par des enchères. J'aurais toutefois préféré investir en France. Nous avons fait la même chose au Royaume-Uni. Nous devons désormais lancer de telles initiatives dans notre pays, en attribuant ces concessions d'éolien offshore de manière transparente et rapide. Aux industriels de prendre des risques.

Nous devons planifier nos actions en matière d'éolien terrestre. Le territoire représente la limite des énergies renouvelables. Nous nous épuisons avec des procédures. Pourquoi ne pas créer de grands parcs éoliens terrestres dans des zones peu densément peuplées pour éviter le mitage du paysage ? Cela reviendrait à ce que l'on a fait pour les zones industrielles. L'implantation d'une éolienne dure entre trois et quatre ans pour un gain de seulement quelques MW, sans régler aucunement le problème de la transition énergétique. Nous devons planifier l'espace avec les collectivités territoriales et l'État : les acteurs privés ne peuvent se substituer à la puissance publique.

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