Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 21 juillet 2022 à 8h00
Politique commerciale — Accord de libre-échange conclu entre l'union européenne et la nouvelle-zélande - communication

Photo de Didier MarieDidier Marie, rapporteur :

Cet accord a en effet été conclu au dernier jour de la PFUE. Ce sujet génère des passions, nous l'avons vu hier lors des questions d'actualité au Gouvernement. Comme vous l'avez dit, des députés ont demandé un débat suivi d'un vote à l'Assemblée nationale sur cet accord que la ministre de l'Europe et des affaires étrangères a qualifié hier devant le Sénat de « bon accord » « en première analyse ».

Le texte n'est en effet pas disponible et ne le sera pas avant plusieurs mois. Essayons donc d'y voir un peu plus clair, à partir de ce que nous en dit la Commission européenne, dont j'ai auditionné trois représentants des directions générales du commerce (DG Commerce), de l'agriculture et du développement rural (DG Agri) et de la santé et de la sécurité alimentaire (DG Santé).

La conclusion de ces négociations commerciales, annoncée le dernier jour de la présidence française du Conseil, est intervenue de manière quasi concomitante à la décision du Conseil du 20 juin ouvrant la voie à l'entrée en vigueur, d'ici à la fin du mois de juillet, de l'accord de partenariat sur les relations et la coopération entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la Nouvelle-Zélande, d'autre part. Cet accord, conclu en octobre 2016, avait été ratifié par le Sénat le 7 février 2019 et n'entrera en vigueur que dans quelques jours. Il traite de sujets variés : non-prolifération d'armes, blanchiment, terrorisme, santé, sciences, pêche, etc.

Deuxième élément de contexte : cet accord est le premier à mettre en oeuvre la nouvelle approche en matière de commerce et de développement durable présentée par la Commission européenne le 22 juin 2022 dans une communication intitulée « La force des partenariats commerciaux : ensemble pour une croissance économique verte et juste ». Les représentants des trois DG auditionnés l'ont souligné, saluant la contribution du Sénat sur ce thème.

Pour renforcer la mise en oeuvre et l'application des chapitres relatifs au commerce et au développement durable des accords commerciaux, la Commission prévoit notamment d'étendre la phase standard de mise en conformité du mécanisme de règlement des différends entre États au chapitre sur le commerce et le développement durable.

Concrètement, cela signifie que la partie qui enfreint un engagement en matière de commerce et de développement durable devra indiquer comment, dans un court délai, elle a l'intention de se mettre en conformité avec le rapport publié par des experts communément désignés. En dernier ressort, en cas de non-conformité, des sanctions commerciales pourront être appliquées en cas de violation substantielle de l'accord de Paris sur le climat et des principes fondamentaux de l'Organisation internationale du travail (OIT). On a certes assez peu de chances d'en arriver là avec la Nouvelle-Zélande. Cela étant, ce premier accord dans cette approche servira de matrice pour la suite.

Selon Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif et commissaire européen au commerce, « il s'agit d'une nouvelle génération d'accord commercial, dans lequel les deux parties devraient obtenir de réels bénéfices économiques et environnementaux. (...) Il comporte aussi les engagements les plus ambitieux jamais pris en matière de durabilité dans le cadre d'un accord commercial. Cela prouve que nous tenons déjà notre promesse d'obtenir une plus forte valeur ajoutée de nos accords commerciaux en termes de durabilité ».

La Commission considère que cet accord est un précédent qu'elle pourra faire valoir lors de prochaines négociations, en particulier avec l'Australie, j'y reviendrai, mais aussi avec l'Inde, l'Indonésie et le Kenya.

Troisièmement, au-delà des aspects strictement commerciaux, cet accord revêt une symbolique particulière compte tenu de l'ambition affichée par l'Union européenne dans l'Indo-Pacifique, avec une portée géopolitique plus grande que le gain attendu en termes d'échanges. Cela transparaît dans les propos de la présidente von der Leyen, selon qui « la Nouvelle-Zélande est un partenaire essentiel pour nous dans la région indo-pacifique. (...) Ce nouvel accord entre l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande arrive à un moment géopolitique crucial. Les démocraties telles que les nôtres travaillent ensemble et apportent quelque chose à leur population. »

Derrière l'accord avec la Nouvelle-Zélande se profile un accord commercial avec l'Australie, bien plus important dans son ampleur. Après des mois de gel, lié à la crise des sous-marins, les négociations sont désormais relancées et un nouveau round devrait se tenir prochainement.

Le communiqué conjoint de la France et de l'Australie, publié à l'occasion de la visite du nouveau Premier ministre australien à Paris le 1er juillet dernier, exprime un « soutien aux négociations en cours pour l'adoption d'un Traité de libre-échange entre l'Australie et l'Union européenne, qui représente une opportunité de stimuler les échanges commerciaux et de renforcer la relation entre les deux partenaires. Conformément à notre intérêt mutuel pour renforcer la contribution des accords de commerce au développement durable, il devrait contenir des engagements ambitieux sur le développement durable ».

L'accord avec la Nouvelle-Zélande doit donc se lire comme une première étape dans l'Indo-Pacifique, les marches les plus importantes restant à venir.

J'en viens maintenant au contenu même de l'accord. Soyons clairs : la Nouvelle-Zélande est un petit marché très éloigné de l'Union européenne, et restera donc après cet accord un « petit » partenaire commercial de l'Union, même si celle-ci revendique d'être le troisième partenaire commercial global de la Nouvelle-Zélande, représentant 11,5 % du total des échanges, derrière la Chine et l'Australie.

Selon la Commission européenne, le montant total des échanges entre les deux parties s'élève ainsi à près de 11,5 milliards d'euros : 7,8 milliards d'euros de biens ont été échangés en 2021, ainsi que 3,7 milliards d'euros de services en 2020. La balance commerciale de l'Union est positive : 3,2 milliards d'euros pour les biens et 1,5 milliard d'euros pour les services. Les exportations de la Nouvelle-Zélande vers l'Union sont dominées par les produits agricoles, tandis que l'Union exporte essentiellement des produits manufacturés.

En 2020, les investissements directs étrangers de l'Union en Nouvelle-Zélande s'élevaient à 8,5 milliards d'euros, tandis que les investissements directs étrangers de la Nouvelle-Zélande dans l'Union européenne représentaient 4,8 milliards d'euros.

La relation commerciale entre la France et la Nouvelle-Zélande est très limitée. La Nouvelle-Zélande est le 72e client et le 69e fournisseur de la France. Après dix ans d'un solde commercial positif porté par Airbus, la France a enregistré pour la première fois en 2020, année de baisse générale du commerce du fait de la covid-19, un déficit commercial à hauteur de 46 millions d'euros.

Vous le savez tous, et cela a été évoqué par Jean-François Rapin, une partie du secteur agricole s'est mobilisée contre cet accord, notamment les interprofessions de la viande bovine, des ovins et du lait.

Ces interprofessions brandissent la perspective de « l'arrivée de plusieurs milliers de tonnes de produits laitiers, viandes ovines et bovines depuis l'autre bout du monde, sans exigence de respect de nos normes de production ». Elles évoquent ainsi des pesticides interdits dans l'Union européenne mais pas en Nouvelle-Zélande, comme l'atrazine, et dénoncent le bilan carbone négatif de ces échanges.

Il s'agit d'un débat régulier, les produits importés ne devant pas nécessairement respecter les mêmes normes de production, mais des normes sanitaires qui font l'objet de contrôles au nom de la santé et de la sécurité sanitaire pour vérifier que les limites maximales de résidus ne sont pas dépassées. L'ambition affichée par le Gouvernement français de défendre des mesures miroirs paraît, à cet égard, tenir davantage de l'effet d'annonce que d'une réelle solution d'ensemble.

J'ai interrogé les services de la DG Agri sur l'atrazine : il m'a été confirmé que ce produit n'est pas interdit en Nouvelle-Zélande mais qu'en pratique, pour pouvoir exporter vers l'Union européenne, son usage serait très limité voire inexistant compte tenu des limites maximales de résidus applicables, de toute façon dûment contrôlées.

Des contingents tarifaires sont prévus pour la viande bovine, les ovins et les produits laitiers. Ils s'élèveront à 10 000 tonnes pour le boeuf, sous condition de qualité. Ce contingent tarifaire sera mis en place sur sept ans à partir de l'entrée en vigueur de l'accord. Il bénéficiera, non pas de droits nuls, mais de droits réduits de 7,5 %. Il s'appliquera en outre uniquement à des animaux alimentés par de l'herbe de haute qualité, avec des coûts de production et des références de durabilité plus élevés que celles applicables aux animaux élevés en parcs d'engraissement. C'est la notion de « boeuf Hilton ». La Commission européenne considère que cette restriction peut servir de précédent dans la négociation de futurs accords. Soyons lucides : cette clause était assez simple à obtenir de la part de la Nouvelle-Zélande compte tenu du mode d'élevage en vigueur dans ce pays et de ses étendues sans habitation.

Un quota de 38 000 tonnes, progressivement mis en place sur sept ans, a par ailleurs été ouvert pour les ovins. Les droits seront ramenés à zéro. La Commission souligne que la Nouvelle-Zélande bénéficie aujourd'hui d'un quota très supérieur dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), de 126 000 tonnes, et qu'il est loin d'être utilisé. Sur les quatre dernières années, seules 50 000 tonnes par an l'ont ainsi été. C'est ainsi avant tout un message politique adressé aux éleveurs néo-zélandais.

Ces concessions accordées sur les ovins ont ainsi permis de maîtriser l'ouverture du quota sur le boeuf, qui aurait certainement été plus problématique pour les producteurs européens. Par ailleurs, il faut également rester attentif aux évolutions et l'on ne peut évidemment pas garantir que ce quota ne sera pas utilisé un jour.

Des quotas ciblés, bénéficiant de droits réduits, ont également été ouverts pour les produits laitiers : 15 000 tonnes à taux réduit pour la poudre de lait, 25 000 tonnes à droits nuls pour le fromage, les droits de douane étant par ailleurs ramenés à zéro pour un autre quota de 6 031 tonnes dont la Nouvelle-Zélande bénéficie dans le cadre de l'OMC. Enfin, s'agissant du beurre, la Nouvelle-Zélande bénéficiera d'une réduction de droits de douane pour une partie du quota dont elle bénéficie au titre de l'OMC, à hauteur de 21 000 tonnes sur les 47 177 tonnes auxquelles elle peut prétendre. Elle obtiendrait en outre un quota additionnel de 15 000 tonnes aux mêmes conditions.

Tous les secteurs agricoles ne souscrivent pas aux critiques formulées par les interprofessions de la viande et du lait. Certains secteurs, notamment celui des vins ou encore la filière porcine, bénéficieraient en effet de l'accord.

La Commission fait ainsi valoir que les droits de douane seront supprimés dès le premier jour sur les principales exportations de l'Union, telles que la viande porcine, le vin et le vin mousseux, le chocolat, les sucreries et les biscuits, et relève que l'accord protégera la liste complète des vins et spiritueux de l'Union ainsi que 163 indications géographiques.

Quant aux produits sensibles comme plusieurs produits laitiers, la viande bovine, la viande ovine, l'éthanol et le maïs doux, elle considère que l'accord n'autorisera les importations à des taux de droit zéro ou réduits en provenance de Nouvelle-Zélande que pour des quantités limitées, au titre des contingents tarifaires que je vous ai présentés. Ces arguments de la Commission éclairent la réponse apportée hier par la ministre Catherine Colonna en séance publique.

Par ailleurs, les personnes que j'ai auditionnées ont été plus loin : s'agissant des modes de production, les producteurs néo-zélandais auraient parfois des contraintes réglementaires plus fortes que les producteurs européens. Selon elles, l'argument des modes de production serait donc à manier avec précaution. En outre, elles relèvent qu'un accord vétérinaire sectoriel est en vigueur depuis 1996 et qu'il fonctionne très bien.

Nous savons néanmoins qu'au-delà de ces quotas spécifiques applicables à la Nouvelle-Zélande, il faut prêter attention aux effets cumulés des traités de libre-échange, notamment dans la perspective d'ouvertures à venir en direction de l'Australie et de l'Inde.

Au total, tous domaines économiques confondus, la Commission européenne estime que « le commerce bilatéral devrait augmenter de 30 % grâce à cet accord » et que « les investissements de l'UE en Nouvelle-Zélande ont un potentiel de croissance allant jusqu'à 80 % ».

Selon ses évaluations, les droits de douane pourraient être réduits « de quelque 140 millions d'euros par an (...) pour les entreprises de l'Union européenne dès la première année d'application ». La directrice de la DG Commerce a même évoqué une croissance de 45 % des exportations de l'Union dès l'instauration de l'accord. Les principaux secteurs d'exportation de l'Union sont la chimie, les cosmétiques, les pièces automobiles, l'industrie optique et les pièces électroniques.

L'évolution attendue n'est évidemment pas négligeable mais, je le rappelle, les enjeux strictement commerciaux restent modestes compte tenu de la taille du marché néo-zélandais. Ce qui importe, c'est la dynamique géopolitique et la dimension de précédent que revêt un tel accord.

Enfin, en application des traités, nous n'aurons pas à ratifier cet accord, qui relève de la compétence exclusive de l'Union et sera donc soumis uniquement à l'approbation du Conseil et du Parlement européen, vraisemblablement à la fin de l'année 2023 ou au début de l'année 2024. Très clairement, la Commission européenne s'efforcera à l'avenir d'éviter les accords mixtes.

Or, compte tenu des implications de ces accords commerciaux et de la sensibilité du sujet dans nos territoires, je pense que nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation. Les parlements nationaux doivent être mieux associés au processus de négociation et de prise de décision sur ces accords, et ne pas se contenter de se prononcer sur les mandats de négociation, comme nous l'avions fait pour les accords avec la Nouvelle-Zélande et l'Australie il y a quelque temps.

Le Parlement européen a appelé de ses voeux une révision des traités à la suite de la Conférence sur l'avenir de l'Europe : si une convention est effectivement convoquée, c'est un point que nous devrons porter dans le débat.

Mais sans attendre, il me semble que nous devons soit prendre l'initiative, soit exiger un débat et un vote au Parlement, préalablement à toute prise de position du gouvernement français sur ce dossier au Conseil.

Catherine Colonna nous a dit hier qu'elle reviendrait vers nous avec des explications, une fois que l'approbation de l'accord serait acquise : sa réponse n'est pas satisfaisante, nous ne voulons pas être informés une fois que tout est terminé !

Sa réponse me renforce dans ma conviction que nous devons accroître le suivi que notre commission exerce sur les négociations en cours et, plus généralement, sur les enjeux commerciaux. Il nous revient de prendre l'initiative si nous voulons peser davantage.

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