En effet, la taille de pierre classique utilise également du plomb, matériau de remplissage entre les pierres, mais aussi de couverture des appuis et des corniches en pierre et des joints en fer des pierres, ainsi protégés de la corrosion. La malléabilité et la durabilité du plomb concourent à la conservation de long terme des bâtiments anciens. Certaines toitures historiques sont également constituées de plomb. C'est le cas de celles de nombreuses cathédrales, tout particulièrement Notre-Dame de Paris, mais aussi de nombreux monuments, comme le château de Versailles, le musée du Louvre, l'Opéra Garnier, le Panthéon ou les châteaux de la Loire.
L'impact le plus lourd concernerait donc l'ensemble des professions liées à la restauration et à la conservation des monuments historiques. C'est pourquoi nous avons également entendu le Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques, qui fédère 252 entreprises de douze métiers, employant près de 10 000 salariés, dont environ 1 000 apprentis en France. Les tailleurs de pierre des monuments historiques comptent 78 entreprises, employant quelque 5 000 salariés, pour un chiffre d'affaires estimé à 600 millions d'euros. Les couvreurs des monuments historiques comptent 39 entreprises employant 1 500 salariés, pour un chiffre d'affaires de 170 millions d'euros.
Les feuilles de plomb servent également à l'étanchéité des bassins et le plomb demeure utilisé pour celle des joints et conduites alimentant les fontaines, la statuaire et les ornements du château et du domaine de Versailles et le réseau hydraulique d'autres domaines nationaux, comme celui de Saint-Cloud.
De nombreuses recherches de matériaux de substitution ont été réalisées par les professions concernées. Toutefois, elles ont constaté que le plomb comme produit de scellement et de jointoiement a un meilleur comportement élastique au cours du temps que la résine ou le mortier. C'est un motif majeur de l'utilisation maîtrisée du plomb dans tous ses usages patrimoniaux : sa malléabilité, sa ductilité, sa résistance à la corrosion en font un matériau éminemment durable, qui assure la contribution du patrimoine au développement durable.
L'interdiction ou la restriction de l'utilisation du plomb pour ces usages reviendrait donc à condamner un nombre important d'entreprises de petite taille ayant développé un savoir-faire unique au service du patrimoine français et européen.
Outre les bâtiments et monuments historiques, les musées et les institutions patrimoniales de l'Union européenne et du monde entier conservent de très nombreux objets d'art et biens culturels contenant du plomb, dont la liste a été dressée par le Conseil international des monuments et des sites, le Conseil international des musées et la Confédération européenne des organisations de conservateurs restaurateurs : la sculpture en bronze, les conduites d'eau romaines, les sarcophages du haut Moyen-Âge, les insignes médiévaux des pèlerins en étain plombé, les jouets et articles ménagers, les poids médiévaux pour filets de pêche et tissus, les restes d'activité industrielle, le matériel médico-militaire, les émaux au plomb sur la céramique, le verre au plomb, le blanc de plomb dans la peinture, les pièces de monnaie, les médailles ou les poids, ainsi que des éléments d'impression. L'on pourrait ajouter d'autres objets du patrimoine technique, telles les voitures hippomobiles ou automobiles anciennes, mais aussi les sceaux anciens conservés dans les archives, bibliothèques et musées.
La conservation, l'entretien et la restauration de tous ces éléments du patrimoine européen requièrent la manipulation ou l'usage du plomb par les conservateurs, restaurateurs et autres agents intervenant dans ces opérations.
Nous ne négligeons nullement dans notre rapport l'enjeu sanitaire, bien évidemment central, mais qui était peu développé dans la PPRE initiale. Nous vous soumettons donc une version amendée de ce texte, enrichi de visas, considérants et paragraphes.
Le plomb est un polluant bien identifié. L'usage de carburants sans plomb a, heureusement, drastiquement réduit la pollution qui y est liée. Mais nous sommes bien conscients des dangers du plomb, de la gravité du saturnisme, du caractère reprotoxique de ce matériau, particulièrement nocif pour les jeunes enfants, les femmes enceintes, les foetus. Ces risques sont connus et pris en charge dans la population générale. Mais qu'en est-il précisément dans les secteurs du patrimoine ? Nous déplorons qu'à ce jour, il n'existe aucune donnée épidémiologique fiable mettant en question en France et en Europe la santé des travailleurs exposés au plomb dans le domaine du patrimoine culturel.
C'est pourquoi nous appelons à la réalisation d'études spécifiques à ce domaine, au niveau européen et avec un financement adéquat sur les programmes de recherche européens, avec le concours des services de la commissaire à la culture, Mme Mariya Gabriel. Nous avons pu récemment attirer l'attention de son cabinet sur ce point crucial.
La prévention du risque plomb est une préoccupation de longue date de tous les secteurs du patrimoine que nous avons rencontrés, préoccupation dont nous nous réjouissons de constater qu'elle est partagée par les associations professionnelles ainsi que par le ministère de la culture, sa direction générale des patrimoines et de l'architecture, et sa sous-direction des monuments historiques et des sites. Toutes les entreprises concernées y sont sensibilisées et ont pris les mesures de prévention indispensables en évaluant la présence de plomb et en déployant des protocoles stricts en matière d'hygiène ainsi que des moyens de protection collective et des équipements de protection individuelle.
Nous avons constaté de visu, en nous rendant sur le chantier de restauration d'une église historique au coeur de Paris, dans l'île Saint-Louis, l'importance des mesures prises en matière de prévention, la réalité et l'intensité des contraintes qui pèsent sur les entreprises et les intervenants et les contrôles imposés, pour la bonne protection de la santé des travailleurs concernés : vestiaires et douches sur échafaudage, port de vêtements de travail lavés par une entreprise extérieure, interdiction de manger et de fumer avec ceux-ci, traitement spécial des déchets.
La législation française prévoit en effet déjà des exigences spécifiques en ce qui concerne le plomb en matière de protection de la santé humaine et de l'environnement.
Sur le plan de la santé au travail, le code du travail français a prévu deux indicateurs permettant de vérifier l'efficacité des mesures de prévention mises en place vis-à-vis du risque plomb : la valeur limite d'exposition professionnelle (VLEP) au plomb, et la plombémie, assortie de valeurs limites biologiques (VLB) à ne pas dépasser.
Le code du travail prévoit également que le médecin du travail assure un suivi individuel renforcé dès le dépassement de certains seuils de concentration de plomb dans l'air ou de plombémie.
Ces valeurs limites sont susceptibles d'être abaissées et harmonisées au niveau européen dans le cadre de la révision de la directive 98/24/CE du 7 avril 1998 concernant la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs contre les risques liés à des agents chimiques sur le lieu de travail, ce qui renforce les exigences de prévention.
Un guide pratique intitulé « Organisation des chantiers patrimoniaux en présence et avec maintien du plomb » a par ailleurs été rédigé à l'initiative du ministère de la culture. Ce guide, finalisé en 2018, pourrait être publié et largement distribué, tout comme l'ont été les actes d'une journée d'étude organisée en 2018, en lien avec la Caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France (Cramif) et le ministère de la culture, par l'Association des restaurateurs d'art et d'archéologie de formation universitaire (Araafu).
Nous citons ces documents de référence dans notre rapport et dans notre PPRE. La prévention s'appuie aussi sur les guides et fiches produits par l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) sur la santé et sécurité au travail. La Fédération française du bâtiment (FFB) propose également sur son site internet un kit de documents en ligne.
Les formations initiales et continues des professionnels proposées, par exemple, par l'Institut national du patrimoine (INP) ou par l'École de Chaillot, prennent déjà en compte la prévention du risque plomb, mais pourraient être enrichies par les recommandations de ces documents.
Ces règles, ces outils, ces bonnes pratiques existent donc. Les maîtres d'ouvrage, maîtres d'oeuvre et entreprises des chantiers d'entretien et de restauration incluant le plomb, dans tous ses états, sont mobilisés en faveur de la sécurité sanitaire des chantiers et de tous les intervenants. Nous sommes toutefois favorables à ce qu'un protocole national voire européen de prévention du risque plomb soit mis en oeuvre sur les chantiers des monuments historiques, sur le fondement des protocoles instaurés récemment sur les chantiers français.
Cette voie nous semble bien préférable à une révision du règlement REACH. Certes, l'article 58 de ce règlement prévoit que certaines utilisations ou catégories d'usages peuvent être exemptées de l'obligation d'autorisation, à condition que le risque soit bien maîtrisé, mais uniquement s'il l'est par le biais d'une législation communautaire spécifique. Or le risque plomb est bien maîtrisé, nous l'avons vu, mais par une législation et une réglementation nationales. Hélas, faute de législation communautaire spécifique existante, une telle exemption à l'obligation d'autorisation pour continuer à utiliser le plomb dans les activités patrimoniales paraît exclue, dans le cadre de l'annexe XIV de REACH.
Pour les filières du patrimoine qui constituent l'objet de la présente proposition de résolution, le moyen le plus sûr de garantir une telle exemption serait donc le statu quo, c'est-à-dire le maintien du plomb en dehors du champ de l'annexe XIV.
Si la Commission européenne jugeait toutefois nécessaire de durcir les règles d'usage du plomb dans le secteur industriel, elle pourrait aussi bien recourir à d'autres législations européennes existant par ailleurs dans le champ du travail ou de la santé -- législations qui, elles, relèvent d'ailleurs de la procédure de codécision -, mais elle devrait alors veiller à bien exempter les filières patrimoniales de telles nouvelles dispositions.
Il importe que le gouvernement français s'engage en ce sens et mobilise son représentant au comité de l'ECHA pour éviter une désastreuse inscription du plomb à l'annexe XIV du règlement REACH. Je rappelle que le plomb relève actuellement de l'annexe XVII.
La France appartient au groupe des pays les plus ambitieux en Europe en matière de gestion des risques des substances chimiques, dénommé « Reach-Up », déterminé à promouvoir des avancées ambitieuses pour la sécurité environnementale dans le cadre de la révision du règlement REACH. Elle se trouve par conséquent en bonne position pour défendre en même temps la nécessité de prévoir des précautions spécifiques afin de préserver l'avenir des filières patrimoniales. Elle est d'autant plus légitime à plaider pour une telle exception patrimoniale qu'elle est dotée d'un patrimoine culturel exceptionnel.
Les maîtres verriers, facteurs d'orgues, couvreurs, maçons du patrimoine maîtrisent et transmettent des gestes et des techniques ancestrales dont ils sont les seuls dépositaires. Toute une culture européenne, mais aussi une économie touristique patrimoniale reposent sur l'entretien de ces bâtiments dans un état proche de leur construction, permettant aux visiteurs d'appréhender l'histoire de notre pays et de notre continent. Il y va de l'attractivité et du développement durable, mais aussi du développement économique et social de nos territoires, sans parler de la pratique des cultes ou du simple plaisir de contempler les jeux de lumière et de couleurs des vitraux et de se laisser emporter par les sons prodigieux des grandes orgues.
Au total, pour ce qui concerne la révision telle qu'elle est actuellement envisagée du règlement REACH, nous partageons et prolongeons les préoccupations de l'auteur de la PPRE, en les élargissant à l'ensemble des filières concernées.
Tel est le sens des modifications substantielles que nous vous proposons d'apporter à cette proposition de résolution européenne, afin que la dimension patrimoniale de l'usage du plomb soit pleinement prise en compte, au-delà même du règlement REACH.
Nous vous proposons d'adresser dans le même mouvement un signal politique direct à la Commission européenne par un avis politique, reprenant en grande partie les termes de la proposition de résolution européenne, sous réserve de quelques dispositions qui concernent plus spécifiquement la Commission.