Cette proposition de loi est sous-tendue par quatre grands objectifs : encadrer les conditions de publicité pour le crédit à la consommation ; pousser l’emprunteur à la réflexion avant de conclure son opération de crédit ; responsabiliser fortement les établissements de crédit en faisant en sorte qu’ils examinent véritablement la solvabilité de l’emprunteur ; enfin, mettre en place des dispositions spécifiques pour les pratiques les plus risquées et les plus récentes, comme le crédit renouvelable, le rachat de crédits et le crédit en grandes surfaces.
Dans ce domaine comme dans bien d’autres de la vie financière, l’innovation a pris de vitesse le régulateur. Alors que l’onde de choc qui a secoué les marchés financiers continue de faire sentir ses effets, le secteur du crédit à la consommation présente les mêmes dysfonctionnements que bien d’autres segments du marché des capitaux.
Ainsi, une carte de paiement très facile à obtenir et à utiliser qui permet de bénéficier de primes de fidélité dans un magasin, de payer comptant ou à crédit, de retirer de l’argent à un distributeur automatique de billets, d’accéder à une réserve de trésorerie renouvelable fait peser des risques tout à fait réels sur les personnes les plus fragiles.
Dans ces conditions, que convient-il de faire, très concrètement ?
Il faut d’abord encadrer la publicité, en informant les consommateurs des risques inhérents à un crédit mal maîtrisé et en interdisant les pratiques promotionnelles.
S’agissant du crédit renouvelable, il faut veiller à mettre en place une information spécifique, éviter qu’on ne le présente comme une « facilité », une « souplesse », une aide pour boucler le budget.
Bref, il y a beaucoup à faire en matière de transparence. En ce qui concerne les conditions des crédits, comme l’ont très justement souligné Mme Dini et M. Angels, les conditions de taux, assurances comprises, doivent être indiquées précisément sur tous les documents publicitaires.
Ensuite, il convient d’inciter l’emprunteur à réfléchir. Vous qui êtes chargé de la consommation, monsieur le secrétaire d'État, vous savez mieux que quiconque qu’instituer un délai de réflexion pour que le consommateur puisse se décider et, le cas échéant, se dédire est un principe de base, mis en œuvre dans de très nombreux domaines mais pas suffisamment en matière de crédit à la consommation. C’est certainement l’un des points sur lesquels nous devrons faire évoluer la législation.
Il n’est pas acceptable qu’un établissement de crédit se borne à recueillir une simple déclaration par laquelle l’emprunteur fait état de ses ressources, sans demander de réelle justification, sans procéder à aucun contrôle, sans s’interroger sur les charges pouvant grever ces ressources, telles qu’un loyer supérieur à l’aide personnalisée au logement, le versement d’une pension alimentaire, le remboursement d’autres crédits…
À ce stade peut être abordé un débat dans le débat, portant sur la fameuse question du fichier positif.
C’est un vrai sujet, qu’il ne faut pas craindre d’évoquer, comme l’ont fait Mme Dini et M. Angels, en des termes différents. Sans doute est-il possible de concilier leurs deux approches.
Pour ma part, je souhaiterais que cette question du fichier, lourde et complexe, ne soit pas un préalable, car si tel devait être le cas, bien des décisions nécessaires et urgentes risqueraient d’être différées.
Néanmoins, ce sujet doit être débattu en toute transparence, les associations et les professionnels doivent être entendus. Il faut déterminer comment un tel fichier serait élaboré, pour quel coût, dans quel délai, et qui le financerait. C’est tout une architecture lourde qu’il faut envisager.
Il ne faut certainement pas exclure la constitution d’un tel fichier. Je considère que, à ce stade, nous devons accepter que cette question figure au cœur du débat, de telle sorte que la représentation nationale, à qui il appartient de trancher sur un sujet aussi important pour les libertés publiques, pour la consommation, pour le bon équilibre du système financier, puisse prendre sa décision en toute connaissance de cause.
Enfin, il me semble également souhaitable d’aller plus loin dans la mise en cause de la responsabilité des établissements prêteurs qui auraient octroyé, sans examen sérieux, un crédit manifestement disproportionné aux besoins de l’emprunteur.
À mes yeux, la commission de surendettement est l’organe compétent en la matière. Elle devrait pouvoir proposer la déchéance des intérêts ou le versement d’indemnités, susceptibles d’être lourdes. Il appartiendrait ensuite au juge de décider : la commission propose ; le juge décide. C’est, me semble-t-il, un bon équilibre.
Reste la question particulièrement délicate, présente dans tous les esprits, du crédit en grandes surfaces et de la relation entre le contrôle du malendettement, l’évolution du crédit à la consommation et celle de la demande intérieure.
Bien souvent, sur ces sujets, nous ne sommes pas sur le même registre que les professionnels.
Nous, élus, sommes en prise avec le concret, avec les cas individuels, nous entendons les plaintes de nos concitoyens, nous sommes confrontés à des situations douloureuses.
Les professionnels, de leur côté, nous répondent en termes macroéconomiques. S’appuyant sur des statistiques, ils soutiennent que les ménages sont moins endettés en France que dans d’autres pays, que le taux de défaut dans le secteur du crédit à la consommation n’est pas si considérable !
Nous avons tous maintes fois participé à de tels débats. Il faut aujourd’hui dépasser, à mon sens, cette contradiction et nous interroger sur ce qui va se passer dans les mois qui viennent. En effet, nous sommes dans une période de baisse de l’activité, de fragilisation accrue de certains publics : l’important tient non pas aux données statistiques du passé, mais aux événements qui vont marquer les semaines et les mois à venir.
Mes chers collègues, nous ne pouvons vraiment pas accepter une aggravation de la fragilisation d’une partie de la population. C’est la responsabilité de la représentation nationale, celle du législateur, mais aussi du Gouvernement, puisqu’il est au cœur de l’action législative.
Telles sont les quelques considérations que je tenais à vous livrer, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues.
Sur ce dossier, nous devrions pouvoir avancer vite. La commission des affaires économiques du Sénat, dont je tiens à remercier le président, Jean-Paul Emorine, a bien voulu faire de cette question du surendettement une priorité. Nos propositions de loi vont pouvoir être jointes et M. Philippe Dominati a été désigné rapporteur. En principe, le premier examen au Sénat devrait avoir lieu le 20 janvier, dans le cadre de l’ordre du jour réservé.
Nous souhaitons progresser rapidement. Nous ne voudrions pas que l’on recoure à des alibis, à des prétextes pour contrarier nos efforts, car nous pensons que, en cette période difficile, ce sujet est vraiment au cœur des préoccupations de l’opinion.
Bien entendu, au cours de ce processus parlementaire, démarche transparente marquée par une volonté d’écoute respective, nous serons attentifs à ce que nous dira le Gouvernement.
Demain matin, Mme Christine Lagarde réunit des parlementaires, des experts, des représentants des associations et des milieux concernés afin de jeter les bases d’une méthode de travail.
De tels efforts sont certes méritoires. Je serais toutefois tenté de dire à Mme la ministre que c’est au Parlement, en toute transparence et avec le concours de tous, que la meilleure méthode de travail peut être mise en œuvre. L’opinion publique, sensible à ce sujet, pourrait ainsi apprécier les divers arguments et approches, et être associée à l’élaboration de nouvelles normes, qui sont assurément nécessaires.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, on a beaucoup critiqué, ces derniers mois, le système financier anglo-saxon, le risque sur les marchés, la transformation des concepts, leur appréhension insuffisante par la régulation publique.
N’oublions pas, cependant, que c’est une approche laxiste du crédit aux particuliers qui est à l’origine de tous nos problèmes et de tous les malheurs de nos économies. En effet, c’est la distribution laxiste de crédits faussement garantis à des agents économiques manifestement incapables de les rembourser qui a engendré cet effet de dominos dont nous n’avons pas fini de souffrir.
Que cette leçon nous serve, c’est tout ce que l’on peut souhaiter ! Sachons trouver le juste équilibre entre l’innovation, l’activité économique, le pouvoir d’achat, la consommation et la régulation : c’est le sens de l’intérêt général.