Intervention de Luc Chatel

Réunion du 10 décembre 2008 à 16h00
Prévention du surendettement — Discussion d'une question orale avec débat

Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation, porte-parole du Gouvernement :

Je tiens d’abord à vous remercier, madame Dini, d’avoir permis cette discussion, par le dépôt de votre question orale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous féliciter de la bonne tenue du présent débat. Sur un sujet qui touche de si près à la vie quotidienne de nos concitoyens, vous avez démontré que le Parlement est capable de formuler de nombreuses propositions, émanant de toutes les travées. Au-delà des diverses sensibilités politiques, je constate une convergence de vues et une volonté commune d’avancer.

La question du surendettement affecte le quotidien de nos concitoyens. En tant que parlementaire, je m’y étais moi-même beaucoup intéressé.

Tout d’abord, en 2003, j’avais réalisé une mission parlementaire de six mois à la demande du Premier ministre et remis un certain nombre de propositions. Puis, comme cela a été rappelé tout à l'heure, j’avais déposé, en janvier 2005, une proposition de loi sur ce sujet, qui a permis d’obtenir quelques avancées.

Nous avons donc à traiter cette question terriblement difficile du surendettement, phénomène qui touche environ 3 % des ménages français et peut entraîner certains de nos concitoyens dans la spirale infernale de l’exclusion. Parallèlement, nous devons conforter l’outil essentiel pour la croissance et l’économie que constitue le crédit à la consommation.

Par conséquent, il est important de bien placer le curseur et d’adapter en permanence notre législation pour permettre le traitement des cas les plus douloureux et éviter à nos concitoyens d’entrer dans la spirale infernale du surendettement, sans pour autant entraver le jeu d’instruments très utiles pour favoriser la consommation des ménages.

Ainsi, un ménage sur deux qui se procure un bien ou un service à crédit indique qu’il n’aurait pas réalisé cet achat s’il n’avait pu bénéficier d’un crédit à la consommation. C’est dire l’importance de l’enjeu économique, qui se chiffre en milliards d’euros.

Au préalable, il convient de dresser un état de la situation et de revenir sur les statistiques du surendettement. Même si celles-ci ne rendront jamais compte, bien sûr, de la détresse des personnes et des familles, elles permettent néanmoins de guider l’action publique.

Le nombre de ménages qui déclarent rencontrer des difficultés pour rembourser leurs dettes est actuellement en cours d’évaluation par l’institut TNS-Sofres pour l’Observatoire des crédits aux ménages. Il sera vraisemblablement élevé, eu égard à la conjoncture économique actuelle, marquée par un ralentissement prononcé de l’activité économique et une hausse du nombre des demandeurs d’emploi.

À ce stade, les chiffres du surendettement publiés par la Banque de France montrent que le nombre de dossiers de surendettement n’a pas sensiblement progressé depuis un an, connaissant une hausse de 1, 3 % sur les onze premiers mois de l’année 2008 par rapport à la même période de l’année 2007. Cependant, je me garderai de tout triomphalisme, car il est probable que la situation économique actuelle aura une incidence sur les chiffres du surendettement.

Quand les difficultés apparaissent, saisir la commission de surendettement – ce qui contribue à dégrader les statistiques – est de loin préférable à rester dans l’isolement.

Chaque année, ce sont près de 155 000 dossiers de surendettement qui sont déclarés éligibles auprès de la Banque de France. Ce nombre est stable depuis plusieurs années. L’enquête triennale de la Banque de France sur le surendettement parue en septembre dernier montre que les accidents de la vie – perte d’emploi, maladie, divorce, décès du conjoint – restent la principale cause du surendettement, puisqu’ils concernent les trois quarts des dossiers, ainsi que l’a observé M. Biwer.

Je tiens à souligner que le Gouvernement est particulièrement attentif à l’évolution du surendettement. Pour assurer une totale transparence en la matière, la Banque de France réalise un baromètre trimestriel du surendettement, téléchargeable depuis son site internet, qui fournit régulièrement et rapidement des informations statistiques qui nous sont très utiles.

Je profite de cette occasion pour vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, la politique du Gouvernement en matière de surendettement.

Cette politique repose sur deux piliers : la prévention et un traitement adapté à la situation économique et sociale des personnes concernées.

Concernant la prévention, vous avez souligné avec raison, madame Dini, que notre réglementation est protectrice.

La prévention du surendettement, c’est d’abord une distribution responsable du crédit. En France, les organismes de crédit sont tous régulés et contrôlés par la Commission bancaire. Cela explique en partie pourquoi notre pays n’a pas connu les dérives des subprimes, à l’origine de la crise financière de ces derniers mois. Nous pouvons bien sûr nous en féliciter, mais, pour autant, il nous reste un long chemin à parcourir.

Bien que je partage, par ailleurs, nombre des idées de M. Marini, je ne suis pas certain que la solution consiste à restreindre l’accès au crédit en interdisant sa distribution sur le lieu de vente, comme il le propose dans sa proposition de loi.

Que se passerait-il si nous prohibions l’octroi de crédits par les grandes surfaces ou les concessionnaires automobiles, par exemple ? Le consommateur se rendrait dans l’établissement bancaire le plus proche afin d’y contracter un crédit à la consommation…

Le crédit est utile et nécessaire. Je rappelle que c’est un produit populaire, puisque neuf millions de ménages français, soit 33 % d’entre eux, remboursent un crédit à la consommation.

Ces crédits à la consommation permettent de réaliser des achats qui seraient inenvisageables pour ceux de nos concitoyens appartenant aux catégories les moins favorisées. Ainsi, deux véhicules neufs sur trois sont achetés à crédit. De même, ils permettent à certains ménages de faire face à des dépenses urgentes, par exemple pour remplacer un appareil électroménager en panne, ou à des circonstances difficiles, particulièrement dans la période actuelle.

Dans la conjoncture présente, il faut certes que le crédit soit plus abondant, car nous en avons besoin, mais également qu’il soit plus responsable. Sur ce point, je fais miens vos objectifs, monsieur Marini.

Notre effort doit porter avant tout sur le crédit revolving.

Christine Lagarde et moi-même avons réinstallé, voilà quelques mois, le Comité consultatif du secteur financier, auquel nous avons assigné pour mission prioritaire de nous faire des propositions d’amélioration du crédit revolving. À cette fin, nous lui avons commandé une étude sur le crédit renouvelable, qui a été réalisée par le cabinet Athling Management et sera présentée demain.

Pour la première fois, les pratiques de distribution du crédit renouvelable sont décrites, quelle que soit la nature des organismes prêteurs : les banques, les établissements de crédit, les sociétés financières, les grands magasins, la grande distribution, mais aussi la vente par correspondance. Ce rapport comporte également des propositions très concrètes, qui nous permettront de bâtir un projet destiné à responsabiliser les acteurs de la distribution et de la diffusion du crédit revolving.

Par ailleurs, au cours d’une visite qu’il a faite voilà quelques jours dans le département de l’Oise, le Président de la République a demandé à Christine Lagarde et à Martin Hirsch d’avancer sur ces questions, dans l’environnement économique difficile que nous traversons. Ils réuniront demain un certain nombre de personnalités connaissant bien le secteur du crédit à la consommation, dont des parlementaires, pour engager une réflexion devant déboucher sur l’élaboration d’un projet de loi relatif au crédit à la consommation. Il s’agit réellement du début d’un processus qui doit nous conduire à trouver ensemble des solutions propres à favoriser le développement d’un crédit responsable.

De plus, nous tirerons profit de la transposition de la directive relative au crédit à la consommation, prévue au début de l’année 2009, pour refonder notre droit en la matière. Je partage votre volonté d’aller vite, monsieur Marini. Cette directive fixera un nouveau cadre et nous permettra d’améliorer sensiblement la situation.

S’agissant du crédit renouvelable, plusieurs questions essentielles se posent.

Nous devons d’abord trouver les moyens de réguler la publicité, qui est aujourd'hui trop agressive, comme l’a indiqué Mme Escoffier. Il nous faut trouver de nouvelles voies à cet égard, car, depuis une vingtaine d’années, l’encadrement par la loi de ces pratiques publicitaires n’a pas donné, il faut en convenir, les résultats escomptés. Pourtant, nous n’avons pas lésiné en matière de dispositions législatives. M. Marini a inscrit des suggestions intéressantes dans sa proposition de loi, nous devrons indiscutablement nous en inspirer.

Souscrire un crédit est un acte qui engage. Par conséquent, on ne doit pas pouvoir en contracter un sans s’en rendre compte. Nous devons réfléchir aux garde-fous à mettre en place pour faire en sorte que les consommateurs soient bien conscients de l’engagement qu’ils prennent, souvent pour plusieurs années, et qui peut parfois aboutir à les placer dans une situation extrêmement difficile.

Enfin, il importe de mettre un terme aux sollicitations et au démarchage trop agressifs, renouvelés à une fréquence déraisonnable.

Comme l’ont suggéré Mme Escoffier et M. Bourdin, je suis favorable à l’instauration d’un seuil minimal d’amortissement du capital en matière de crédit renouvelable. C’est une autre piste intéressante.

Mme Dini et M. Marini ont également évoqué la responsabilité du prêteur. La directive relative au crédit à la consommation prévoit un devoir d’explication et une obligation d’évaluer la solvabilité des emprunteurs. Il s’agira, à mon sens, d’une avancée importante au bénéfice des consommateurs. Le débat parlementaire nous permettra de progresser.

Voilà quelques-uns des sujets qui seront évoqués demain avec Christine Lagarde et Martin Hirsch en vue de la présentation par le Gouvernement, au début de l’année 2009, d’un texte de nature à refonder en France le droit du crédit à la consommation.

Vous avez été un certain nombre à évoquer la circulation de l’information sur les difficultés d’endettement, en d’autres termes, les fichiers.

S’agissant de la création d’un fichier positif, reprise par plusieurs d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous ferai une confidence. En tant que député, j’ai moi-même déposé une proposition de loi et signé plusieurs amendements en ce sens. Peut-être vais-je décevoir certains d’entre vous, mais j’ai été amené à réviser ma position, non pas tant du fait de la realpolitik gouvernementale qu’en raison des éléments d’analyse que j’ai pu obtenir.

J’ai tout d’abord constaté que les principaux intéressés, exception faite de quelques établissements financiers, y sont résolument opposés. Les associations de consommateurs n’y sont pas favorables. La commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, n’y est pas non plus favorable.

Les exemples étrangers ne sont en outre pas totalement probants en matière de réduction du surendettement. Je me rappelle avoir assisté au lancement du fichier positif en Belgique. À l’expérience, on a pu constater que cela n’avait pas permis de réduire le surendettement chez nos voisins.

Enfin, dernier argument, au moment où le Gouvernement, le Parlement et la majorité cherchent plutôt à faciliter les choses en simplifiant les procédures administratives, ficher 100 % des consommateurs dans tous leurs actes de la vie courante, alors que seuls 3 % de nos concitoyens sont directement concernés par le surendettement ne me paraît pas forcément la meilleure idée.

Le Gouvernement n’a pas pour autant décidé de rester inactif, bien au contraire, et il a accéléré la réforme en profondeur du fichier des incidents de crédit.

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