Intervention de Emmanuelle Wargon

Commission des affaires économiques — Réunion du 3 août 2022 à 9h00
Audition de Mme Emmanuelle Wargon candidate proposée par le président de la république aux fonctions de présidente du collège de la commission de régulation de l'énergie cre

Emmanuelle Wargon, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente du collège de la Commission de régulation de l'énergie :

Merci beaucoup de toutes ces questions.

M. le sénateur Franck Tissot, vous m'avez interrogée sur ma vision du marché européen de l'énergie. Je pense que nous sommes au moment où nous devons faire évoluer la vision européenne de ce qu'est un marché qui fonctionne bien à l'échelle européenne. Il faut conserver ce qui fonctionne, à savoir le fait de pouvoir être, selon les cas, exportateur ou importateur. Vous le savez, en électricité, la France est exportatrice nette de manière générale. Elle l'a encore été dans la dernière période, mais elle est de plus en plus souvent importatrice - elle l'a été 80 jours l'année dernière, me semble-t-il. Nous avons donc aussi besoin d'un marché dans lequel l'électricité circule, au sens propre du terme, pour être en capacité d'assurer la sécurité d'approvisionnement.

Néanmoins, le mode de fixation du prix tel qu'il existe aujourd'hui - le coût marginal du dernier lieu de production appelé -, dans sa manière de se répercuter - du marché de gros au marché de détail -, expose énormément les consommateurs, qu'ils soient individuels ou industriels, à la volatilité des prix. Comment la CRE peut-elle participer à une réforme du lien entre le prix de gros et le prix de détail ? Essentiellement par son rôle d'expertise, d'analyse et d'influence. De fait, il y a des négociations entre ministres de l'énergie, il y a des textes... Il est absolument exact que le mix énergétique est un élément de la souveraineté nationale : ce sont des décisions nationales, même s'il existe une influence communautaire. La CRE joue aussi un rôle extrêmement important via les simulations : en fonction des scenarii envisagés, elle peut simuler l'impact sur les tarifs et sur les prix de détail, donc éclairer la décision.

Est-ce une antichambre de la majorité présidentielle ? Je souhaite vraiment dire que non ! Je crois que mon prédécesseur a montré son indépendance d'esprit et sa liberté d'analyse dans ses prises de position, y compris récemment. Vous savez qu'il plaidait pour un Arenh à 150 TWh. Ce n'est pas mon cas. Je le dis extrêmement clairement : je ne pense pas que l'Arenh doive être fixé au-delà de 120 TWh. C'est un vrai maximum. Je répète que je souhaite moi aussi exercer ces fonctions en toute indépendance.

M. le sénateur Alain Cadec, bien sûr, je démissionnerai de la présidence du conseil national de Territoires de progrès. C'est tout à fait normal : ce n'est pas compatible avec la présidence d'une AAI. Cela m'amènera donc à tourner la page de la politique et à ouvrir une page nouvelle, au service de mon pays.

M. le sénateur Jean-Pierre Moga, oui, je pense vraiment qu'il faut que nous marchions sur deux jambes, le nucléaire et les EnR. Je crois vraiment que c'est de cette manière que se pose désormais l'équation énergétique du pays, la « troisième jambe » étant la baisse de la consommation, à travers, à la fois, la sobriété et l'efficacité énergétiques. Ce sont vraiment les piliers de notre politique. Effectivement, pour les EnR, en particulier pour l'agrivoltaïsme, il faut peut-être trouver des mécanismes un peu plus spécifiques que les appels d'offres classiques.

Mme la présidente, je crois moi aussi que la réponse était dans votre question... Les collectivités territoriales sont indispensables sur tous les sujets. Ce sont des acteurs extrêmement importants de la transition énergétique et de la transition écologique. Je suis fière d'avoir, en tant que secrétaire d'État, signé une centaine de contrats de transition écologique avec des territoires, en général à l'échelle de l'intercommunalité, pour les accompagner dans leur développement à la fois écologique et économique, sur la base de leurs propres projets. Il faut vraiment partir des projets des territoires.

L'arrivée d'EnR, le développement de solutions de stockage sont des sujets qu'il faut bâtir tout de suite avec les représentants des territoires. Sur tous les sujets de réseaux et de distribution, les élus sont la clé. La CRE a un rôle important dans le travail sur les schémas de raccordement régionaux et locaux de la méthanisation, par exemple pour l'injection du biogaz. Cela fait partie des sujets sur lesquels un accord local pour définir la meilleure organisation territoriale pour ce raccordement est nécessaire. Vous pouvez compter sur moi pour nouer un dialogue approfondi avec les collectivités territoriales.

Mme la sénatrice Micheline Jacques, vous avez raison, la péréquation tarifaire est l'expression de notre solidarité nationale à l'égard des territoires ultramarins, mais aussi de la Corse et des autres ZNI. J'y suis très attachée, même si les coûts de production sont importants dans nos Outre-mer, du fait de contraintes plus fortes et parce que les infrastructures ont besoin d'être transformées - elles ne peuvent l'être que progressivement.

Une loi a fixé un objectif ambitieux de développement des EnR et d'atteinte de l'autonomie énergétique en outre-mer en 2030. Cet objectif sera difficile à atteindre. Je pense qu'il faut accompagner la trajectoire. C'est territoire par territoire et PPE par PPE qu'il faut définir cette trajectoire, avec les collectivités territoriales. Ensuite, la solidarité nationale finance, à travers la CSPE. J'y suis extrêmement attachée.

M. le sénateur Daniel Salmon, vous m'avez interrogée sur la recette de CSPE, qui est effectivement très importante actuellement. Les choses se sont inversées : alors qu'elle a été une charge pour le budget de l'État, elle devient une recette compte tenu du prix actuel de l'énergie.

Mme la sénatrice Anne-Catherine Loisier, la CSPE est désormais déconnectée de la facture du consommateur. La facture du consommateur, c'est la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE), laquelle a été abaissée à 1 euro le mégawattheure dans le cadre du bouclier tarifaire pour 2022. Comment positionner la TICFE ? La question se posera dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023. C'est une décision de puissance publique, qui relève du budget de l'État.

Il faut continuer à développer les EnR, à la fois l'éolien terrestre et l'éolien en mer, madame la sénatrice Patricia Schillinger.

La CRE a un rôle important : à travers les appels d'offres, à travers le pilotage des guichets, dans sa capacité à accompagner les contrats de gré à gré, que l'on appelle les PPA - les Power Purchase Agreements. Cet outil utile peut se développer et sécuriser des approvisionnements à long terme.

Le scénario « 100 % renouvelable » de RTE est sur la table, mais avec un certain nombre de réserves. Pour ma part, je pense que nous avons besoin d'EnR et de nucléaire. Je suis donc plutôt favorable au scénario qui propose un mix entre les EnR et le nucléaire, mais ce sujet sera soumis au législateur lors du projet de loi sur la PPE. Ce scénario existe, mais il est extrêmement exigeant, notamment sur les conditions de stockage. À cet égard, la question de l'hydrogène est absolument vitale pour le pays.

M. le sénateur Bernard Buis, deux des préconisations du rapport de la Cour des comptes sur l'organisation des marchés de l'électricité, auxquelles je suis favorable, concernent directement la CRE : rendre public le mode de calcul des coûts complets de l'énergie nucléaire ; faire évoluer le mode de calcul de la répartition de l'Arenh, donc de l'impact sur les TRVE, pour prendre une période de référence plus longue. Cela présente l'avantage de limiter un peu la volatilité, donc la transmission des prix de marché de gros aux consommateurs à travers les TRVE. La CRE s'y emploiera si ma candidature est retenue.

Mme le sénateur Dominique Estrosi Sassone, vous m'avez interrogée sur l'impact du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » et sur la nécessité de tenir compte du mix énergétique des pays. C'est effectivement très important. Le Conseil européen se fixe des objectifs extrêmement ambitieux, mais c'est à chaque pays de définir sa trajectoire à partir de son histoire et de ses moyens de production. Nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur un parc nucléaire, sur un parc d'hydroélectricité et sur des EnR en développement. Il faut faire attention à cette neutralité à l'échelle européenne. Nous avons remporté une belle victoire avec l'intégration de l'énergie nucléaire dans la « taxonomie verte européenne », ce qui était extrêmement important pour l'avenir de notre filière, de nos industries et de notre souveraineté énergétique. C'est en ce sens qu'il faut travailler.

Vous avez évoqué la nécessité d'une plus grande proportionnalité au contexte de crise. Il est vrai que, d'un côté, la crise nous pousse à accélérer, à sortir du gaz quand c'est possible, à aller vers la sobriété et vers tous les mécanismes de flexibilité, qui peuvent être utilisés encore davantage : effacement, interruptibilité, capacité. D'un autre côté, nous devons être pragmatiques, et je crois que c'est ce que nous faisons avec le terminal flottant méthanier au large du Havre, qui nous permet de sécuriser nos approvisionnements. Nous devons être en capacité de maîtriser notre destin énergétique.

M. le sénateur Franck Montaugé, l'expertise a commencé sur l'après-Arenh, mais elle n'est pas encore complètement consolidée - le sujet arrivera en 2025. Il me semble que nous devons concilier deux objectifs : permettre à EDF de financer les investissements nécessaires dans le nucléaire actuel, donc lui permettre de couvrir, dans de bonnes conditions de marché, les coûts complets du nucléaire ; assurer la concurrence sur le marché français et permettre aux consommateurs de bénéficier de l'investissement qui a été réalisé dans notre système énergétique lorsqu'ils décident de choisir un fournisseur alternatif.

Je reconnais tout à fait que l'Arenh n'a pas atteint l'un des objectifs qui lui avaient été fixés à l'époque, à savoir favoriser le développement par les fournisseurs alternatifs de moyens de production. Cela ne s'est pas produit.

À très court terme, la première chose à faire pour la CRE est vraiment de renforcer la surveillance sur la transmission intégrale aux consommateurs de l'Arenh dont bénéficient actuellement les fournisseurs alternatifs. Ce ne doit pas être une rente pour les fournisseurs alternatifs : le consommateur final doit s'y retrouver dans le prix de vente.

Pour la suite, il faut repartir de la couverture des coûts complets, en trouvant un mécanisme qui permette de faire bénéficier tous les consommateurs du système énergétique. Cela relève probablement plutôt du prix régulé que de l'Arenh, qui est asymétrique - c'est l'une de ses grandes difficultés - : quand le prix de l'énergie est élevé, le groupe EDF est obligé de vendre ; quand il est bas, le groupe EDF vend non pas au prix de l'Arenh, mais au prix de marché.

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