Cette proposition de résolution européenne relative à la constellation européenne de connectivité sécurisée a été déposée avec Jean-François Rapin et André Gattolin. Elle a été adoptée par la commission des affaires européennes le 21 juillet dernier.
Ce projet, ardemment défendu par le commissaire européen Thierry Breton, a pris forme depuis la présentation par la Commission européenne, en février dernier, d'une proposition de règlement européen visant à mettre sur orbite cette constellation de satellites, dans un triple objectif : premièrement, fournir un accès à internet à haut débit pour tous les Européens, afin de résorber les « zones blanches » ; deuxièmement, assurer la redondance des systèmes de communications terrestres pour mieux assurer la continuité et la résilience des télécommunications européennes, dont les infrastructures sont de plus en plus menacées - la guerre en Ukraine et la mise à disposition par SpaceX des services de connectivité de la constellation Starlink nous l'ont rappelé de façon tragique ; troisièmement, offrir à l'Union européenne des services européens, autonomes et sécurisés de télécommunications, afin de ne pas dépendre de manière critique d'infrastructures et de services spatiaux de pays tiers ou d'entités contrôlées par des pays tiers.
Je souhaiterais insister sur cinq points.
Si l'Union européenne souhaite se positionner sur le segment des constellations spatiales de connectivité, et s'affirmer dans la durée comme une puissance spatiale de premier plan, il y a urgence.
Seul le fonctionnement de quatre à cinq constellations de connectivité est aujourd'hui possible, l'orbite basse étant déjà partiellement saturée et le spectre des fréquences de radiocommunications constituant une ressource limitée et déjà utilisée.
Les nouvelles générations de constellations se développent rapidement et sont déjà partiellement opérationnelles : environ 2 700 satellites en orbite pour Starlink de SpaceX et près de 200 pour OneWeb, dont la montée en puissance se confirme, avec l'annonce récente de fusion-acquisition avec l'opérateur français de satellites Eutelsat. Autrement dit, c'est le moment ou jamais pour l'Union européenne de déployer sa propre constellation souveraine de connectivité.
Pour déployer cette constellation, la Commission européenne propose un modèle inédit de partenariat public-privé, dont le coût total est estimé à 6 milliards d'euros pour la période 2023-2027, dont 1,6 milliard d'euros seraient financés par l'Union européenne et 2 milliards d'euros par le secteur privé, le reste devant être assuré par les États membres, l'Agence spatiale européenne (ESA) et éventuellement par des États tiers participant au programme.
Si le montant exact du projet n'est pas connu, l'architecture de la constellation et le nombre de satellites nécessaires à la fourniture des services gouvernementaux essentiels n'étant pas encore définis, le montant annoncé semble plutôt faible. À titre de comparaison, le coût annoncé du déploiement de la constellation Kuiper d'Amazon est estimé entre 10 et 15 milliards d'euros.
Par ailleurs, ce montant constitue seulement un coût d'amorçage. S'ajoutent des coûts opérationnels et des coûts de maintenance - la durée de vie d'un satellite est d'environ huit ans, ce qui demande de renouveler régulièrement la flotte.
La capacité du secteur privé à investir de façon régulière dans ce projet sera donc déterminante, afin d'assurer la pérennité du modèle financier de cette constellation.
Au regard du coût estimé du déploiement et compte tenu de la vitesse à laquelle la Commission européenne souhaite mettre en oeuvre ce projet, il me semble important d'insister sur les bénéfices que pourrait apporter une telle constellation ; certains semblent les sous-estimer, en se satisfaisant par exemple de la fibre optique.
Le développement en orbite basse offre des avantages en termes de réduction des temps de latence et d'amélioration de la vitesse de connexion : cela est particulièrement important pour les usages gouvernementaux, notamment militaires, mais aussi pour les usages commerciaux, comme la chirurgie à distance, les véhicules autonomes, le guidage de précision des bateaux, les jeux en ligne ou encore le développement des objets connectés et des technologies quantiques - à ce titre, nous avons convenu, dans le cadre du groupe d'études sur le numérique, d'approfondir les enjeux liés au développement des technologies quantiques et post-quantiques.
Les avantages escomptés sont surtout importants pour les particuliers. L'objectif est de fournir à la population européenne des services satellitaires de connectivité complémentaires de ceux offerts par les réseaux terrestres de télécommunications.
Si la France est aujourd'hui le pays de l'Union européenne le plus avancé dans le déploiement de la fibre optique, cette vitesse de déploiement n'est pas toujours gage de qualité, et le raccordement d'entreprises et de particuliers dans les zones montagneuses et peu denses demeure incertain. Ce sont principalement dans ces zones que se situent les 4 000 abonnés de Starlink en France.
En outre, c'est insulter l'avenir que de penser que nous pourrions nous passer d'une constellation de satellites, à l'heure où les grandes puissances se pressent. Par exemple, alors que nous prônons plus de souveraineté numérique et que nous découvrons de nouvelles vulnérabilités liées notamment aux catastrophes naturelles, nous enterrons de moins en moins la fibre : qu'adviendrait-il si une partie du réseau aérien était rendue inopérante par des tempêtes ou des incendies ?
Nous devons donc, en particulier au Sénat, soutenir le déploiement d'une telle constellation, qui devrait permettre de répondre à des besoins grandissants de connectivité et aux carences vécues par une partie de la population européenne, notamment dans les TOM, et par nos entreprises, dans un objectif transversal de résorption des zones blanches sur nos territoires, de renforcement de la connectivité et d'une plus grande résilience de nos systèmes de télécommunications.
Toutefois, nous n'ignorons pas les conséquences de ce déploiement en matière d'encombrement de l'espace et, à terme, de prolifération des débris spatiaux.
Sur ce point, il me semble important d'oeuvrer pour un alignement des calendriers, la Commission européenne ayant récemment proposé l'élaboration de règles communes en matière de gestion du trafic spatial, dans un double objectif de limitation de la pollution spatiale et de promotion d'une concurrence équitable entre les différents opérateurs concernés.
Cette nouvelle réglementation doit être pleinement en vigueur au moment du déploiement de la constellation, afin de promouvoir, au niveau européen, un usage plus durable et plus responsable de l'espace, dans la continuité des efforts réalisés par la France lors de l'adoption de la loi sur les opérations spatiales en 2008.
Enfin, nous devons promouvoir une approche stricte de la préférence européenne.
Autrement dit, les satellites de la constellation européenne devront être déployés par des lanceurs européens depuis des bases de lancement situées sur le territoire de l'Union européenne. Il s'agit d'un enjeu primordial de soutien à nos industries et de souveraineté, pour disposer, dans la durée, d'un accès autonome à l'espace.
Affirmer la préférence européenne en matière d'infrastructures spatiales est également un moyen de soutenir le développement et l'innovation de l'industrie spatiale française et européenne, qu'il s'agisse d'acteurs historiquement établis ou des start-up du New Space.
En effet, il serait dommage que le déploiement d'infrastructures spatiales gouvernementales, financées par des fonds publics, bénéficie avant tout aux lanceurs américains et aux acteurs économiques extra-européens : c'est un enjeu de souveraineté, mais également de retour sur investissement de l'argent public, car les retombées économiques d'un tel projet devraient avant tout bénéficier aux entreprises et aux territoires de l'Union européenne.
Tous les efforts déployés permettant d'affirmer une préférence européenne en matière spatiale devraient aussi s'accompagner d'engagements et de contreparties supplémentaires de la part des entreprises spatiales européennes, afin qu'elles puissent assurer la cadence et la fluidité des lancements européens.
Mes chers collègues, tel est le résultat de nos travaux menés avec la commission des affaires européennes, qui a adopté à l'unanimité cette proposition de résolution européenne le 21 juillet dernier.