Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ».
En octobre 2005, le président de la commission des lois du Sénat, M. Jean-Jacques Hyest, confiait à M. Jean-Pierre Sueur et à moi-même une mission d’information sur le bilan et les perspectives de la législation funéraire.
Au terme de plus de quarante auditions, nous présentions notre rapport d’information le 31 mai 2006 et formulions notamment vingt-sept recommandations, destinées à améliorer les conditions d’exercice de la profession d’opérateur funéraire, à sécuriser et à simplifier les démarches des familles, à donner un statut aux cendres des personnes décédées dont le corps a donné lieu à crémation et à prévoir leur destination, enfin à faire évoluer la conception et la gestion des cimetières.
Une proposition de loi déposée par notre collègue Jean-Pierre Sueur, traduction législative des recommandations de la mission d’information, était adoptée à l’unanimité par le Sénat en première lecture le 22 juin 2006, voilà donc deux ans et demi.
Le 30 janvier dernier, cette proposition de loi était enfin inscrite à l’ordre du jour de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Il faudra cependant attendre le 20 novembre pour qu’elle soit votée à l’unanimité en séance publique par nos collègues députés.
Cette double unanimité, sur des questions particulièrement sensibles, méritait, je crois, d’être relevée et saluée.
Tentons d’oublier ce délai de vingt-neuf mois qui a séparé l’adoption de cette proposition de loi par le Sénat et son examen par l’Assemblée nationale, délai qui pourrait apparaître comme le signe d’un blocage de la navette parlementaire et comme un motif d’inquiétude pour l’avenir de la récente révision constitutionnelle destinée à revaloriser le rôle du Parlement.
Nous ne pouvons que nous féliciter du partenariat exemplaire qui s’est instauré avec le Gouvernement et nos collègues députés, notamment Philippe Gosselin, rapporteur du texte, et Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois.
Notre parfaite entente, après que les uns et les autres ont accepté quelques nécessaires concessions, devrait nous permettre d’adopter définitivement dès ce soir cette proposition de loi, qui marquera un progrès considérable de notre législation funéraire.
Mes chers collègues, je vous propose d’examiner rapidement les modifications introduites par l’Assemblée nationale sur chacun des chapitres qui structurent la proposition de loi. Je commencerai par le renforcement des conditions d’exercice de la profession d’opérateur funéraire.
L’Assemblée nationale a supprimé l’article 1er, qui prévoyait la création auprès des préfets d’une commission départementale des opérations funéraires. M. Philippe Gosselin a fait valoir que la création de cette commission irait à l’encontre de l’objectif de simplification des démarches administratives et présenterait le double inconvénient d’alourdir les procédures et de nuire éventuellement à l’objectivité des décisions, notamment en raison de la présence de deux opérateurs funéraires.
En fait, notre souci portait essentiellement sur la nécessité d’accroître la vigilance des préfectures lors de l’examen des demandes d’habilitation, ainsi qu’à l’égard des opérateurs funéraires ne respectant pas la réglementation. Le Gouvernement nous assure qu’il y veillera ; des progrès sensibles ont d’ailleurs déjà été accomplis en ce sens.
L’article 2 tendait à dispenser de l’obligation de suivre une formation professionnelle le dirigeant d’un opérateur funéraire assurant ses fonctions sans être en contact direct avec les familles et sans participer personnellement à la conclusion ou à l’exécution d’une prestation funéraire. L’Assemblée nationale a limité le bénéfice de cette dispense aux dirigeants des régies simples, c'est-à-dire aux maires et aux présidents des établissements publics de coopération intercommunale.
Sur l’article 3, qui prévoyait la création d’un diplôme national pour les agents des opérateurs funéraires, l’Assemblée nationale a précisé les métiers pour lesquels un tel diplôme serait exigé. Les porteurs et les fossoyeurs ne devraient pas être concernés.
Venons-en à la simplification et à la sécurisation des démarches des familles. L’Assemblée nationale a modifié les dispositions relatives aux devis-type, qui, selon la rédaction adoptée par le Sénat, devaient s’imposer aux opérateurs funéraires dans les communes d’au moins 10 000 habitants et rester facultatifs dans les autres communes.
L’Assemblée nationale a confié au ministre chargé des collectivités territoriales, plutôt qu’aux conseils municipaux, l’élaboration de ces modèles de devis, qui feront l’objet d’un arrêté. Elle a laissé le soin au maire de chaque commune, quel que soit le nombre de ses habitants, de définir les modalités de consultation des devis élaborés par les opérateurs funéraires, conformément aux différents modèles.
L’Assemblée nationale a par ailleurs inséré deux articles additionnels relatifs aux contrats de prévoyance obsèques. L’un dispose que le capital versé par le souscripteur d’un contrat prévoyant des prestations d’obsèques à l’avance produit intérêt à un taux au moins égal au taux légal. L’autre prévoit la création d’un fichier national destiné à centraliser les contrats d’assurance obsèques souscrits par les particuliers auprès d’un établissement d’assurance.
Selon une étude récente réalisée par l’UFC-Que Choisir, près de deux millions de contrats d’assurance obsèques avaient été souscrits à la fin de l’année 2007. Les sommes en jeu sont donc considérables, et le nombre de contrats non réclamés n’est pas connu.
Le troisième point, sans doute le plus important, concerne le statut et la destination des cendres des personnes décédées dont le corps a donné lieu à crémation. L’Assemblée nationale a adopté sans modification l’article 9, qui énonce une obligation de respect, de dignité et de décence à l’égard des restes des personnes décédées, y compris après une crémation.
Alors que le Sénat prévoyait l’obligation, pour les communes de 10 000 habitants et plus et pour les EPCI de même importance compétents en matière de cimetières, de créer un site cinéraire, l’Assemblée nationale a étendu cette obligation aux communes de 2 000 habitants et plus.
L’article 14 de la proposition de loi, relatif à la destination des cendres des personnes décédées dont le corps a donné lieu à crémation et qui tend à interdire aussi bien leur partage que leur appropriation privative, n’a fait l’objet que de quelques modifications de détail : la durée de la période transitoire, pendant laquelle l’urne cinéraire peut être conservée au crématorium, passe de six mois à un an ; le dépôt temporaire peut également être autorisé dans un lieu de culte ; enfin, les informations relatives à la destination des cendres du défunt seront, à l’instar de l’état civil, conservées à la mairie de la commune de naissance et non à la mairie du lieu de décès.
L’article 16, qui prévoyait l’élaboration d’un schéma régional des crématoriums, a été supprimé, l'Assemblée nationale estimant préférable de demander aux préfets, par votre intermédiaire, madame la ministre, et par voie de circulaire, de mener des enquêtes plus approfondies pour contrôler l’opportunité de la création d’un nouvel équipement.
Le dernier aspect de la proposition de loi est relatif à la conception et à la gestion des cimetières. Son article 17 tendait à permettre aux maires, sur délibération du conseil municipal, et après avis du conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement, le CAUE, de prendre toute disposition de nature à assurer la mise en valeur architecturale et paysagère du cimetière. L’Assemblée nationale a limité leur pouvoir à la fixation des dimensions maximales des monuments érigés sur les fosses, tout en supprimant l’exigence d’une délibération du conseil municipal et d’un avis du CAUE.
L’article 18 tendait à permettre aux maires de faire procéder à la crémation des restes exhumés en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt, et prévoyait que les restes des personnes ayant manifesté leur opposition à la crémation fussent distingués au sein de l’ossuaire. L’Assemblée nationale y a ajouté la notion d’opposition présumée du défunt, allant tout à fait dans le sens de la volonté de notre assemblée, et même au-delà.
En outre, les députés ont inséré un nouvel article ayant pour objet de créer une police spéciale des monuments funéraires menaçant ruine.
Enfin, l'Assemblée nationale a complété l’article 22, ayant notamment trait à la ratification de l’ordonnance du 28 juillet 2005 relative aux opérations funéraires, pour permettre la reprise en gestion déléguée des sites cinéraires privés créés avant le 31 juillet 2005, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance, afin d’assurer la pérennité de ces sites. Votre rapporteur n’en a recensé qu’un, « les Arbres de mémoire », près d’Angers.
Il me semble néanmoins que la législation funéraire demeure perfectible sur bien des points.
En premier lieu, le développement rapide des contrats en prévision d’obsèques, dans un cadre qui demeure encore assez lâche malgré la loi relative à la simplification du droit et les amendements adoptés par l'Assemblée nationale, appellera sans doute de nouvelles interventions législatives, à la fois pour améliorer encore les garanties offertes aux souscripteurs de tels contrats et pour éviter une concentration du secteur funéraire au détriment des opérateurs locaux sans lien avec les banques et les sociétés d’assurance, et donc au détriment de la concurrence.
En deuxième lieu, votre rapporteur considère qu’il faudra bien, lorsque les circonstances seront plus faciles, prévoir que toutes les prestations relevant des services extérieurs des pompes funèbres soient soumises au taux réduit de TVA, à la condition que les opérateurs s’engagent à répercuter l’intégralité des sommes concernées sur le prix des obsèques supporté par les familles.
En troisième lieu, les conditions de prise en charge de la mort périnatale pourraient sans doute être davantage humanisées. Comme l’avait souhaité la mission d’information de la commission des lois sur le bilan et les perspectives de la législation funéraire, et à la suite des arrêts de la Cour de cassation de février 2008, des décrets et des arrêtés sont venus fixer, à la place des circulaires antérieures, les règles relatives à l’enregistrement à l’état civil et à la prise en charge des corps des enfants décédés avant la déclaration de naissance. Mais l’on peut se demander – le Médiateur de la République, notre ancien collègue M. Jean-Paul Delevoye, a d’ailleurs fait plusieurs propositions de réforme en la matière – s’il n’appartiendrait pas au législateur de se prononcer sur ces questions en conférant une base juridique indiscutable aux critères de viabilité.
Enfin, l’incertitude juridique dans laquelle se trouvent encore, dans une certaine mesure, les carrés confessionnels des cimetières ne saurait être ignorée.
Votre rapporteur estime que la réflexion sur ce sujet doit se poursuivre afin que cesse l’expatriation d’environ 80 % des corps des personnes de confession musulmane décédées dans notre pays, dont un nombre croissant a pourtant la nationalité française.
Je rappellerai avec émotion, à ce sujet, les propos de notre regretté collègue Michel Dreyfus-Schmidt, dont chacun connaissait l’attachement au principe de laïcité : il avait souligné, lors de l’examen du rapport de la mission d’information précitée, que la tolérance était consubstantielle à la laïcité et impliquait non pas de s’opposer à la pratique des carrés confessionnels mais, au contraire, de la développer.
Mais à chaque jour suffit sa peine, mes chers collègues ! Les travaux de l’Assemblée nationale ayant permis, notamment grâce à la forte implication du rapporteur M. Philippe Gosselin, d’améliorer le texte du Sénat en en respectant totalement l’esprit, la commission des lois vous propose d’adopter cette proposition de loi sans modification. Ce texte permettra de contribuer à assurer la sérénité des vivants par le respect des défunts, comme l’avait souhaité Jean-Pierre Sueur, l’auteur de cette proposition de loi, avec lequel j’ai été très heureux de travailler.