Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 10 décembre 2008 à 22h30
Législation funéraire — Adoption définitive d'une proposition de loi en deuxième lecture

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Je me revois, en 1992, alors secrétaire d’État aux collectivités locales, défendant devant le Sénat et l’Assemblée nationale ce qui allait devenir la loi du 8 janvier 1993 modifiant le titre VI du livre III du code des communes et relative à la législation dans le domaine funéraire, qui a mis fin au monopole des pompes funèbres. Ce monopole faussé cohabitait avec une concurrence biaisée, pour le plus grand dommage des familles de ce pays.

Je me revois déclarant que notre seule préoccupation devait être celle des familles éprouvées et, par conséquent, vulnérables.

Avec le temps, il est apparu que cette loi ne répondait pas à un certain nombre de problèmes nouveaux et que la question du prix des obsèques restait lancinante.

Élu sénateur, j’ai rédigé deux propositions de loi et ai proposé au Sénat, qui a bien voulu les adopter, deux articles relatifs aux contrats d’assurance obsèques dans la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit. Mais nous n’avons pas réussi à faire inscrire à l’ordre du jour ces propositions de loi. Aussi, je tiens à rendre hommage au président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, qui, estimant qu’on ne pouvait se désintéresser de ce sujet si important, a décidé, au nom de la commission des lois, de confier à Jean-René Lecerf et à moi-même une mission d’information en vue de reprendre le dossier dans son ensemble.

Je rends aussi hommage à Jean-René Lecerf, car, au-delà de nos sensibilités, nous avons travaillé de manière positive et confiante sur ce sujet qui concerne chaque être humain. Notre collaboration a conduit à la rédaction d’un rapport, suivi peu de temps après par le dépôt de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui en seconde lecture et dont Jean-René Lecerf est le rapporteur.

Notre travail a été efficace, puisqu’un large accord s’est dessiné autour de ce texte au sein de notre assemblée.

Ensuite, madame la ministre, nous avons attendu. Je suis intervenu à vingt reprises auprès de vos prédécesseurs au ministère de l’intérieur ou auprès de vous-même, auprès de M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, auprès des ministres successifs chargés des collectivités locales ou auprès du Premier ministre. Alors qu’il est question de moderniser nos institutions, il serait logique qu’une proposition de loi, adoptée à l’unanimité en première lecture par l’assemblée sur le bureau duquel elle a été déposée, qui traite d’un sujet qui concerne toutes les familles, soit examinée dans des délais raisonnables par la seconde chambre. Or il aura fallu deux années et cinq mois pour que cette proposition de loi soit inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale !

Je tiens à mon tour à rendre hommage à Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, et à Philippe Gosselin, son rapporteur, avec qui nous avons eu deux longues séances de travail, la dernière en présence et avec le concours des représentants du ministère de l’intérieur. Celles-ci se sont déroulées dans un bon climat et nous ont véritablement permis de progresser.

Comme vous l’avez souligné, madame la ministre, nous pourrions nous inspirer de cette manière de travailler au Parlement dans un certain nombre d’autres domaines, en confrontant les points de vue des uns et des autres sans remettre en cause la spécificité de chacun.

J’en viens à présent aux différents points de la proposition de loi.

Premièrement, les devis-types sont nécessaires pour protéger les familles, ce qui est notre principale préoccupation, et pour maîtriser et rendre le coût des obsèques plus transparent. La loi de 1993 permettait de tels devis-types, mais, comme leur caractère obligatoire n’était pas suffisamment explicite, il s’est trouvé d’excellents esprits du côté de Bercy pour nous dire qu’ils étaient incompatibles avec je ne sais plus quelle règle.

Pourquoi les devis-types sont-ils indispensables ? Chacun comprend bien que la disparition d’un être cher affecte celui qu’elle touche. En ces moments, nul n’a ni le goût, ni l’envie, ni la possibilité de demander un devis de trente pages écrites en petits caractères aux cinq à dix entreprises habilitées dans sa commune de résidence pour ensuite les comparer. C’est le seul cas où il faut que la puissance publique, en l’espèce le ministère de l’intérieur, établisse, en lien avec les professionnels, des modèles-types de devis auxquels les entreprises devront se conformer. Il y aura plusieurs modèles de devis correspondant à différents types d’obsèques, rassemblant, chacun, des prestations précises et définies. C’est ce que j’ai fait dans une ville qui m’est chère, et cela s’est bien passé. Le Conseil national des opérations funéraires est tout désigné pour travailler avec les représentants du ministère sur ce sujet.

Pour autant, les entreprises pourront continuer à établir des devis pour d’autres prestations. En revanche, en tout point du territoire, elles devront s’engager chaque année à fournir l’ensemble des prestations mentionnées dans les devis-types pour un prix déterminé à l’avance.

Conformément à l’accord que nous avons passé avec l’Assemblée nationale et, comme l’a rappelé Jean-René Lecerf, à ce que souhaitait l’Association des maires de France, il n’appartiendra pas aux communes d’élaborer ces devis-types ; elles décideront simplement des modalités selon lesquelles toute famille et tout citoyen pourront y avoir accès, que ce soit en mairie, sur le site Internet de la commune, ou d’une autre manière.

Je le répète, les devis-types sont essentiels pour rendre les prix plus transparents et, partant, pour mieux les maîtriser.

Deuxièmement, je n’y insiste pas, nous avons proposé en première lecture de simplifier les formalités administratives, qui peuvent s’élever actuellement au nombre de cinq, coûteuses et souvent inutiles, voire inefficaces, et de les remplacer par un unique contrôle avant la fermeture du cercueil. Nos collègues députés ont souhaité que le prix de cette prestation soit fixé par la loi, à savoir entre 20 et 25 euros. Désormais, il sera impossible de facturer des formalités qui n’existeront plus.

Troisièmement, s’agissant de la question des contrats obsèques, je rends hommage à l’Assemblée nationale, qui a pris en compte un certain nombre de propositions fort pertinentes de l’UFC-Que Choisir, en particulier quant à la réévaluation du capital versé par le souscripteur d’un contrat d’assurance obsèques. Compte tenu de l’inflation, il arrivera forcément que, en l’absence de réévaluation au taux légal, la somme qui a été établie la première fois ne corresponde plus du tout au montant de l’année où les obsèques auront lieu. Il faudra veiller à la bonne mise en œuvre de ce dispositif. Je sais que M. Hyest y est sensible.

De même, la création d’un fichier national destiné à centraliser les contrats d’assurance obsèques souscrits par les particuliers auprès d’un établissement d’assurance – c’était une autre proposition de l’UFC-Que Choisir – permettra d’éviter que ces contrats ne restent en déshérence, ce qui arrive parfois.

Sur le fond, nous n’en avons pas terminé avec les contrats d’assurance obsèques, car la loi de 2004 n’est pas bien appliquée en raison d’une fréquente confusion entre l’assurance vie et les contrats en prévision d’obsèques. Les formules packagées, encore trop nombreuses, ne permettent pas de définir les prestations lors de la signature d’un contrat obsèques. Or la loi de 2004 dispose que, si ces prestations ne sont pas définies, le contrat n’a aucune consistance. Par conséquent, les professionnels du funéraire demandent que l’on distingue bien les choses et qu’un contrat en prévision d’obsèques soit non pas l’une des modalités de l’assurance vie, mais un produit spécifique.

Enfin, toujours dans l’intérêt des consommateurs et des familles, nous avons inscrit des dispositions visant à restreindre le démarchage. C’est très important.

M. Lecerf et Mme Mathon-Poinat ont parlé de la TVA. Ce problème est pendant, madame la ministre. Il est difficilement compréhensible que le taux le plus élevé s’applique à des prestations qui sont réalisées au moment où les familles sont si éprouvées. Aux nombreux amendements qui ont déjà été déposés sur ce sujet, le ministère des finances répond rituellement que cette mesure coûterait 145 millions d’euros. Je n’évoquerai pas une autre baisse du taux de TVA dont on parle beaucoup et dont le coût est sans commune mesure…

Toujours est-il que j’espère que nous parviendrons un jour à étendre, au-delà des seuls transports de corps, le taux de TVA à 5, 5 %.

Je ferai quelques remarques sur les entreprises, avant d’en venir à la crémation.

Nous avions dispensé les chefs d’entreprise de l’obligation de passer un diplôme national, afin de prendre en compte la situation des régies de gestion des chambres mortuaires dans les communes rurales. Dans de tels cas, le pauvre adjoint chargé de présider le syndicat intercommunal chargé de gérer une chambre mortuaire devait suivre une formation funéraire. C’était excessif. L’Assemblée nationale a trouvé un bon compromis, et nous ne pouvons que l’en remercier.

S’agissant des habilitations, la commission dont nous avons proposé la constitution a suscité un certain nombre de réticences. J’accepte de les prendre en compte, madame la ministre, mais je souhaiterais que cette question soit traitée avec une plus grande rigueur. Aujourd’hui, les habilitations sont délivrées très facilement ; cinq papiers y suffisent ! À plusieurs reprises, j’ai écrit à des préfets, sans résultat, pour leur signaler des dysfonctionnements lourds, des atteintes à la dignité, des violations de la loi. S’agissant d’un métier, d’une profession, d’une activité qui nécessite dignité, décence et compréhension à l’égard des familles, l’habilitation ne peut pas être un acte purement formel.

Madame la ministre, en l’absence d’une telle commission, nous souhaitons que vous adressiez aux préfets une circulaire précisant les conditions de la délivrance, de la suspension et du retrait de l’habilitation, de manière que la loi soit respectée dans sa lettre et dans son esprit.

Nous regrettons que la création d’un schéma régional des crématoriums n’ait pas été retenue. Si, dans certains secteurs, les crématoriums sont très proches, dans d’autres, il faut parfois parcourir quatre-vingts ou cent kilomètres pour trouver un tel établissement.

Le schéma régional aurait permis d’appréhender les différentes situations, mais j’admets que cela peut être fait d’une autre manière.

J’en viens à la question importante de la crémation. Cette dernière s’est beaucoup développée depuis quelques années. Marginale en 1993, elle représente aujourd’hui un tiers des obsèques, et sans doute davantage si l’on prend en compte les contrats en prévision d’obsèques.

L’Assemblée nationale a décidé qu’un site cinéraire, avec un jardin du souvenir, un columbarium ou des cavurnes, devra être aménagé dans les cimetières publics des villes de 2 000 habitants et plus – nous avions retenu le seuil de 10 000 habitants et plus –, en prévoyant toutefois un délai de réalisation plus long que celui que nous avions envisagé. C’est un progrès, car nombre de nos concitoyens sont concernés.

En ce qui concerne le devenir des cendres, l’article 9 est essentiel. En fait, tout découle de cet article.

Désormais, et c’est un point très important, on affirme dans la loi que les restes humains, donc les cendres après crémation, « doivent être traités avec respect, dignité et décence ».

Nous avons élaboré la présente proposition de loi en nous référant à la loi de 1887, que vous avez évoquée, madame la ministre, et à la conception républicaine du cimetière communal, public et laïc. Toutes les dispositions de la proposition de loi découlent de cette philosophie.

Ainsi, les sites cinéraires privés sont interdits. L’un de vos collègues, M. Hortefeux, avait publié une ordonnance sur ce sujet avant d’accepter, en première lecture, de supprimer les dispositions autorisant les sites cinéraires privés. Cela aurait ouvert la voie à la création de cimetières privés, qui sont contraires à notre philosophie.

La proposition de loi prévoit que les urnes peuvent avoir quatre destinations.

Elles peuvent être déposées dans un caveau, dans un columbarium – il faudra veiller à leur qualité esthétique – ou un cavurne.

En cas de dispersion, les cendres peuvent être répandues soit dans un jardin du souvenir, avec mention de l’identité de la personne, car il faut garder sa mémoire, soit en pleine nature, si le défunt avait émis ce souhait. Il sera alors obligatoire – c’est une disposition nouvelle – de faire une déclaration à la mairie du lieu de naissance de la personne, afin qu’une trace soit conservée pour les générations à venir. Dans toutes les civilisations, en effet, on s’est toujours attaché à garder la mémoire, la trace d’une personne, à respecter les restes humains.

J’en viens à l’appropriation privée des cendres.

Madame Mathon-Poinat, je partage votre réaction sur l’ajout qui a été fait par l’Assemblée nationale à l’article 14.

Pourquoi, nous demande-t-on, ne pas autoriser des personnes à garder les cendres d’un défunt à leur domicile ou dans un lieu privé ? Il y a plusieurs raisons.

Tout d’abord, on ne peut pas être inhumé dans son jardin, chacun le sait.

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