Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec trois mois de retard, nous nous retrouvons aujourd’hui pour débattre du programme de stabilité que le Gouvernement s’apprête à transmettre aux institutions européennes et qui décrit le scénario macroéconomique et la trajectoire des finances publiques pour les années 2022 à 2027.
Selon les règles communautaires, ce document doit être transmis avant la fin du mois d’avril. Lorsque le Gouvernement a indiqué son souhait d’attendre la fin de l’élection présidentielle pour le faire, il s’agissait déjà d’une décision assez surprenante et inhabituelle. Claude Raynal et moi-même nous sommes inquiétés et avons demandé si et quand il serait présenté : il devait arriver « bientôt », puis « début juin », puis « après les élections législatives », puis « début juillet ». Enfin, début août, nous y sommes : il est là.
Pourquoi un tel retard ? Pourquoi avoir eu besoin de trois mois supplémentaires pour présenter ce programme de stabilité ?
Certains pensent que le Gouvernement aurait pu vouloir cacher aux électeurs, le temps de la campagne des législatives, ses véritables ambitions et son programme pour le redressement des finances publiques. Toutefois, pour que cette hypothèse tienne, il aurait fallu que le programme de stabilité témoigne d’une ambition et comporte un programme pour la consolidation des finances publiques. Or, dans ce document, vous ne trouverez ni l’un ni l’autre, mes chers collègues.
Pour commencer, le programme de stabilité retrace un scénario macroéconomique qui me paraît pour le moins optimiste.
La prévision de croissance du PIB en volume pour l’année 2022 est de 2, 5 % et celle pour l’année 2023 de 1, 4 %. Je me réjouis, sur ce point, des bonnes nouvelles annoncées par l’Insee la semaine dernière indiquant que l’activité avait augmenté de 0, 5 % au deuxième trimestre 2022, alors qu’elle s’était contractée au premier trimestre.
J’observe néanmoins que ce résultat s’explique surtout par la diminution de nos importations en raison de la hausse des prix et – c’est heureux ! – d’un tourisme un peu plus dynamique que prévu.
Si la prévision de croissance pour 2022 me semble raisonnable, sous réserve que le contexte international ne se dégrade pas davantage, celle qui est retenue pour l’année 2023 me paraît en revanche optimiste, notamment lorsque le Fonds monétaire international (FMI) l’évalue à seulement 1 %.
Pour les années 2024 à 2027, j’ai aussi le sentiment que le scénario de croissance du PIB est, à ce stade, très au-dessus de ce que nous pouvons sérieusement attendre. Imaginez : d’après les prévisions du Gouvernement, le PIB devrait augmenter en volume de 12, 6 % entre 2021 et 2027, alors que, dans le scénario du FMI, l’on atteindrait seulement 9, 4 %. Cet écart représente – excusez du peu ! – 45 milliards d’euros…
Il est probable que cette surévaluation de la croissance économique soit liée partiellement à une prévision trop optimiste quant à l’évolution du taux de chômage, avec seulement 5, 2 % en 2027 d’après les données du programme de stabilité, contre 7, 4 % selon le FMI.
Les hypothèses du programme de stabilité concernant l’écart de production me paraissent décalées par rapport à la réalité de notre économie. En effet, le Gouvernement estime que notre économie évoluera, au moins jusqu’en 2023, de près d’un point de pourcentage en dessous de son niveau potentiel.
C’est d’abord une hypothèse très étonnante pour qui sait combien nos entreprises peinent actuellement à recruter, ce qui indique généralement que l’économie a atteint ses capacités limites.
C’est ensuite une hypothèse qui permet d’anticiper des taux de croissance plus forts, puisqu’un écart de production négatif et important signale que l’économie bénéficie d’un fort potentiel de rebond.
C’est enfin une hypothèse qui n’est partagée que par l’OFCE.
Ainsi, la Commission européenne estime qu’en 2023 l’économie évoluera déjà à son niveau potentiel.
La capacité de rebond prévue par le programme de stabilité quasiment tout au long de la période 2022-2027 s’expliquerait non seulement par l’hypothèse d’un écart de production négatif très important en 2022, mais surtout par une prévision de croissance potentielle de 1, 35 %, qui me paraît surestimée.
J’observe que, d’après le Gouvernement, la croissance potentielle serait principalement soutenue par certaines réformes du marché du travail et de l’emploi : réforme des retraites et de l’assurance chômage, par exemple. Or, pour l’essentiel, le contour de ces réformes est loin d’être défini et leur adoption prendra du temps.
Aussi, la prévision de croissance potentielle retenue par le Gouvernement ne me paraît pas raisonnable.
Pourtant, comme l’a très justement relevé le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), ces hypothèses sont très optimistes si l’on tient compte du fait que la demande de biens et services de nos partenaires pourrait progresser moins rapidement qu’anticipé et que le resserrement de la politique monétaire et des conditions de financement devraient, au contraire, ralentir la progression des investissements.
Le scénario macroéconomique du programme de stabilité repose donc sur des hypothèses que je juge précaires et peu détaillées.
En tout état de cause, c’est sur ce scénario macroéconomique qu’est construite la trajectoire des finances publiques retenue par le Gouvernement.
Que peut-on en dire ?
Pour commencer, cette trajectoire est peu ambitieuse.
Les dépenses publiques atteindraient environ 1 675 milliards d’euros en 2027, soit une augmentation, hors mesures de soutien face à la crise sanitaire et à l’inflation, de plus de 250 milliards d’euros par rapport à 2022.
On peut relever que le Gouvernement s’engage à ne laisser progresser les dépenses publiques en volume que de 0, 6 % par an en moyenne. En pratique, cet effort ne concernera que les seules années 2024 à 2027, puisque les dépenses publiques neutralisées des mesures de soutien face à la crise sanitaire et à l’inflation progresseront de 3, 5 % en volume en 2023.
Ainsi, rapporté à l’ensemble du quinquennat, l’effort consenti consistera en une croissance moyenne en volume des dépenses publiques ordinaires de l’ordre de 1, 2 % par an et non de 0, 6 %.
On peut également observer que le Gouvernement propose de faire peser les efforts sur la seconde moitié du quinquennat plutôt que sur le début, ce qui ne manque pas de surprendre. Chacun sait en effet que c’est en début du quinquennat que les mesures les plus volontaires, éventuellement les plus difficiles à prendre, doivent être décidées.
Finalement, avec un effort aussi limité, notre déficit public refluera assez lentement et ne reviendrait en dessous de 3 % du PIB qu’en 2027, et encore de 0, 1 point ! Notre endettement public continuerait de s’accroître et ne refluerait qu’en 2027 pour revenir au même niveau que l’année dernière, c’est-à-dire 112, 5 % du PIB.
Monsieur le ministre, cette trajectoire manque aussi de réalisme : aucune documentation ne l’accompagne.
Ainsi, d’après ses propres estimations, la trajectoire de dépense du Gouvernement représenterait une économie d’environ 45 milliards d’euros en 2027 par rapport à un scénario à législation inchangée.
Au-delà de la réforme des retraites régulièrement mise en avant par le Gouvernement, alors qu’elle ne produira pas d’effets budgétaires à court terme, je relève qu’une bonne part des économies attendues pourrait être réalisée sur les dépenses de chômage. Celles-ci ne représenteraient plus que 1, 2 % du PIB en 2022 et 0, 9 % du PIB en 2027, alors même qu’elles étaient beaucoup plus élevées entre 1995 et 2019.
Il s’agirait donc d’une maîtrise considérable des dépenses de chômage obtenue notamment à la faveur d’une forte décrue du taux de chômage, qui passerait selon le Gouvernement à 5, 2 % en 2027. Reste que, à ce jour, le Gouvernement n’a fourni aucune explication sur les moyens qui lui permettraient d’atteindre sa cible en matière d’emploi.
Je le dis sans ambages : à ce stade, revendiquer un objectif global d’économies des dépenses publiques dont la réalisation repose sur des perspectives d’évolution du marché de l’emploi aussi fragiles que celles qu’a retenues le Gouvernement ne me paraît pas sérieux.
Mes chers collègues, je prends acte aujourd’hui du fait que le Gouvernement s’est contenté du service minimum pour construire ce programme de stabilité, en retenant des hypothèses macroéconomiques et de maîtrise des dépenses que j’estime peu crédibles.
J’espère très sincèrement que, comme l’y a invité le Haut Conseil des finances publiques, le Gouvernement fera preuve de plus de sérieux dans la préparation du projet de loi de programmation des finances publiques, que nous attendons pour l’automne prochain. Ce texte devra notamment décrire les moyens que le Gouvernement entend mobiliser pour réduire la dépense de l’État de 0, 4 % en volume et celle des collectivités locales de 0, 5 % en volume, en moyenne, jusqu’à la fin du quinquennat.
J’espère tout aussi sincèrement que les engagements de maîtrise des dépenses qui y figureront seront plus ambitieux, mais surtout plus crédibles et mieux documentés que ceux qui figurent aujourd’hui dans ce programme de stabilité.
Alors même que nous assistons à un changement de régime dans le financement de notre endettement public, nous avons l’obligation de démontrer notre sérieux en matière budgétaire.
Pour conclure, je rappelle que toutes les économies que les administrations publiques sauront dégager sont autant de ressources que nous pourrons mobiliser pour engager la réduction de la dette écologique, qui préoccupe à juste titre les jeunes générations et, à vrai dire, tous les Français. C’est assurément un défi que nous devons relever ensemble.