Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mieux vaut tard que jamais : après tous les autres États, la France présente tant bien que mal son programme de stabilité. Cette présentation a été décalée après l’élection présidentielle. Pourtant, elle aurait permis de mieux connaître le programme électoral du président candidat, et cette clarification aurait stimulé le débat critique et la démocratie. Les électeurs auraient pu constater le peu d’égard d’Emmanuel Macron pour la question sociale.
Le verdict est tombé fin juillet, trois mois après le délai prévu par les textes, au grand dam du Parlement et du Haut Conseil pour les finances publiques. Ce programme de stabilité est déjà dans la boîte aux lettres de la Commission européenne. Dès lors, impossible de l’infléchir. Le débat est clos. Nous ne sommes plus à un retard près, mais, croyez-moi, la démocratie parlementaire saura s’en souvenir.
Le programme de stabilité, dans le jargon, est censé décrire les moyens mis en œuvre pour respecter la contrainte des règles budgétaires européennes et maintenir le déficit en deçà de 3 % du PIB. D’un point de vue politique, c’est un document annuel, dans lequel le Gouvernement prête allégeance à l’Union européenne, en lui donnant des gages de libéralisme pour attester d’un prétendu sérieux budgétaire.
La perspective n’est pas réjouissante, tant la crise sanitaire et la crise économique à dominante inflationniste ont engendré des dépenses pour partie incontournables, mais jamais financées. À y regarder de plus près, la trajectoire n’est pas heureuse.
Le Gouvernement s’engage à réduire le déficit public à 3 % d’ici 2027. C’est ce cap austéritaire qui orientera le prochain quinquennat, celui d’après M. Macron. Cet héritage nous conduira à l’impasse, rendant les objectifs économiques, sociaux et écologiques inatteignables.
Comment ne pas voir au moins un paradoxe, et plus certainement un contresens, dans la stratégie de baisse de la fiscalité pour réduire les déficits ? D’autant qu’elle vient après un quinquennat où il s’agissait de disqualifier l’impôt, comme nous l’avons encore vu ces deux derniers jours.
Avec gravité, je prends acte de ce que la redevance audiovisuelle va disparaître dans les prochaines semaines, ce qui fera 3, 2 milliards d’euros de recettes en moins. Je note également la baisse de la CVAE dès 2023, soit 8 milliards d’euros de recettes en moins, et celle de l’imposition sur les successions qui coûtera 5 milliards d’euros.
Or un solde budgétaire, c’est la soustraction entre les dépenses et les recettes. Voyez plutôt : 0 – 250 milliards = –250 milliards ! Sans compter l’endettement… C’est gravissime : l’arithmétique est têtue, monsieur le ministre.
Alors que la Banque centrale européenne remonte ses taux de 50 points de base, une première depuis onze ans, le risque est d’autant plus grand pour les finances publiques que 10 % des obligations qui auront été émises en 2022, soit un montant de 26 milliards d’euros, seront indexées sur l’inflation.
Ces décisions nous rendent tributaires du niveau général des prix de la zone euro et nous placent sous le joug de nos créanciers, qui ne vont pas manquer de réclamer leur dû !
Il nous faudra faire baisser l’inflation par des politiques de rigueur pour éviter que, comme cette année, 17 milliards d’euros supplémentaires ne soient versés aux spéculateurs sur les titres du Trésor.
Le Gouvernement évoque un plan : il suffirait de soutenir la croissance et de réduire les dépenses pour compenser les pertes de recettes.
Mais le Haut Conseil des finances publiques, tout comme les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est particulièrement sceptique sur les prévisions de croissance. Cette prévision, écrit-il, « n’est pas hors d’atteinte, mais est un peu élevée ». Elle permettrait d’accéder au plein emploi, expression qui revient six fois dans votre document, monsieur le ministre, au cas où nous n’aurions pas saisi…
Les mesures qui y sont évoquées sont extrêmement préoccupantes. On trouve ainsi en page 4, parmi les mesures qui contribueraient à accroître l’offre de travail et à atteindre le plein emploi, la poursuite de la réforme de l’assurance chômage, la réforme des retraites, la réforme du revenu de solidarité active (RSA), l’amélioration de l’accompagnement des demandeurs d’emploi – c’est-à-dire, la transformation de Pôle emploi en France Travail –, l’élargissement aux lycées professionnels du succès de l’apprentissage ou encore la mise en place d’un service public de la petite enfance.
Votre projet est clair : forcer les individus à travailler, quoi qu’il leur en coûte, à n’importe quel niveau de rémunération ou de qualification, à n’importe quelles conditions et, bien sûr, à n’importe quel âge. C’est ce que nous appelons l’insécurité sociale. Or une telle insécurité est contraire aux besoins de prospérité des travailleurs et des entreprises. Nous considérons cela comme une faute politique.
C’est une aberration fondamentale : les privés d’emploi seraient responsables de leur sort ; le patronat, lui, serait exempt de toute injonction.
Ces réformes, nous les combattrons les unes après les autres, mais avec des propositions alternatives.
La réforme de l’assurance chômage s’est abattue sur plusieurs millions de travailleurs. Un seul effet : plus d’ouverture ou de rechargement de droits pour les périodes en emploi de moins de six mois. Ces gens travailleraient, mais pas assez ! Regardez la réalité de ce que vous appelez le marché de l’emploi : en 2021, près de 15 millions de contrats de moins d’un mois ont été signés, ce qui représente 64 % des embauches réalisées. Selon l’Unédic, 1, 15 million de demandeurs d’emploi voient leur allocation mensuelle diminuer de 17 % en moyenne, ce qui n’est pas rien !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, comptez sur notre mobilisation : il n’y aura pas d’acte II de la réforme de l’assurance chômage, car c’est l’un des piliers de notre modèle social.
La réforme des retraites est une réforme injuste, brutale, de l’avis de toutes les organisations syndicales. Heureusement, elle n’a pas encore eu lieu. Loin de la réforme systémique, abandonnée après un mouvement social d’ampleur et grâce à une majorité de rejet, une réforme paramétrique avec un report de l’âge de départ à la retraite à 65 ans est réapparue dans la campagne présidentielle.
Il faudrait travailler plus longtemps pour financer les cotisations d’un nombre de retraités plus important. Je vois que vous hochez la tête, monsieur le ministre. Pour moi, il s’agit d’un dogme : 35 % des 50-64 ans sont déjà au chômage ! Les faire travailler plus longtemps va réduire les versements de l’assurance vieillesse au détriment de l’assurance chômage et plus l’âge reculera, plus le chômage augmentera. La belle affaire !
Il n’y a pourtant aucune urgence, comme le Conseil d’orientation des retraites ne cesse de le rappeler. Les dépenses de retraite vont en effet baisser jusqu’à atteindre 11 % du PIB en 2035, soit l’un des plus bas niveaux en Europe. Et l’on devrait enregistrer des excédents à partir de 2070, grâce aux mutations démographiques.
Bref, mes chers collègues, la réforme des retraites n’a pas vocation à combler le déficit des retraites, mais à financer d’autres dépenses sociales. Bruxelles et les marchés financiers le demandent et le Gouvernement s’en réjouit.
Enfin, en conditionnant le RSA à une quinzaine d’heures de travail, nous allons créer des travailleurs parmi les plus précaires d’Europe, payés en dessous du SMIC. Comme si les allocataires du RSA se complaisaient dans la pauvreté ! Il est pourtant évident, monsieur le ministre, que 575 euros, c’est désincitatif ! Remettons les gens au travail, quoi qu’il leur en coûte, voilà votre doctrine…
Le Haut Conseil des finances publiques vous le dit : « L’impact de ces réformes paraît nettement surestimé, puisqu’il est présumé se manifester dès 2023, alors que toutes les réformes comparables entreprises dans le passé ont non seulement nécessité du temps pour leur formalisation et leur mise en œuvre, mais également pour produire des effets durables sur la population effectivement en emploi. »
Alors, monsieur le ministre, nous sommes là parce que satisfaire Bruxelles et les marchés financiers sur le dos des travailleurs, sur le dos des Français, est une orientation politique aux antipodes de nos valeurs et de nos aspirations.
Pourtant, vous n’avez pas conservé une proposition favorable que la Commission européenne avait formulée : taxer les superprofits. Là-dessus, fin de non-recevoir ! Ce n’est pas un programme de stabilité, c’est un programme de gouvernement des droites.