Intervention de Patrick Chaize

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 14 septembre 2022 à 9h30
Proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce — Désignation d'un rapporteur

Photo de Patrick ChaizePatrick Chaize, rapporteur de la mission conjointe de contrôle sur la sécurisation de la chasse :

Je vous remercie, madame la présidente, d'avoir rappelé le cadre de notre mission et l'esprit dans lequel nous avons travaillé. En effet, si, au terme de ce travail, je propose une trentaine de mesures pour faire progresser la sécurité à la chasse, c'est sur le fondement d'un diagnostic approfondi d'un état des lieux et des pratiques.

Je vais vous faire une présentation synthétique du rapport, mais nous pourrons en approfondir tel ou tel point autant que vous le désirerez, mes chers collègues.

Je veux commencer par dresser un rapide état des lieux des accidents de chasse et des réponses qui ont déjà pu être apportées.

Notre premier constat est que les accidents de chasse sont en forte baisse et restent marginaux si on les replace dans l'accidentologie générale en France, même s'ils sont encore trop nombreux.

Selon le rapport de Santé publique France de janvier 2020, la chasse représente 4 % des accidents traumatiques liés au sport, soit dix fois moins que la montagne et beaucoup moins que les autres catégories de sports. De même, les collisions avec les animaux sauvages sur la route causent plus de victimes que la chasse. Enfin, la part des accidents liés à l'alcool est également plus faible à la chasse que sur la route : 9 % contre 13 % à 28 % selon les circonstances.

Néanmoins, chaque accident est un accident de trop et les accidents de chasse ont deux spécificités : l'implication d'armes à feu et le fait que 12 % des victimes sont des non-chasseurs. Ce pourcentage est même monté à 26 % cette année, sans que l'Office français de la biodiversité (OFB) puisse apporter une explication à ce résultat inquiétant, bien qu'heureusement exceptionnel sur les vingt dernières années.

Concernant les accidents de chasse et selon les dernières données de l'OFB, en vingt ans, le nombre des accidents de chasse a baissé de 46 % et le nombre de morts de 74 %, alors que le nombre des chasseurs diminuait de 29 % et le nombre de grands gibiers tués augmentait de 75 %. La baisse des accidents a donc été beaucoup plus rapide que celle des chasseurs et plus importante encore au regard de la pression de chasse.

Quelque 55 % des accidents ont en effet eu lieu à l'occasion d'une battue au grand gibier - sanglier, chevreuil ou cerf - et plus des deux tiers des accidents résultent de fautes graves contre les règles élémentaires de sécurité : tir dans l'angle de 30 degrés, tir dans la traque, tir vers des routes ou des habitations, tir sans identification ou encore faute de manipulation. À cela s'ajoutent une centaine d'incidents par an, c'est-à-dire des tirs sur des véhicules ou des maisons qui auraient pu avoir des conséquences dramatiques et des tirs sur des animaux domestiques ou d'élevage. Si l'OFB pense ne pas avoir connaissance de la totalité des incidents et considère donc avec prudence l'évolution de leur nombre, ceux-ci doivent être pleinement pris en compte.

Les accidents de chasse font l'objet de poursuites judiciaires systématiques. Il n'y a aucune impunité des chasseurs. Selon les ministères de l'intérieur et de la justice, le taux de réponse pénale est de 90 % à 95 %. Les accidents de chasse sont réprimés comme des homicides ou des blessures involontaires. Par ailleurs, aucun élément ne vient accréditer un phénomène de refus de plainte, le dépôt de plainte étant d'ailleurs possible n'importe où, directement auprès du procureur ou en ligne sous forme de pré-plainte.

En ce qui concerne la prise en charge des victimes directes et indirectes, le principe est celui de l'indemnisation intégrale et sans plafond du préjudice physique comme psychologique par l'assurance de responsabilité civile. En effet, en matière de chasse, l'assurance est légalement obligatoire et systématiquement vérifiée, elle n'a pas de limitation de montant et la responsabilité du tireur est présumée. Si ce dernier ne peut être identifié, le fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) prend en charge la victime. Je n'ai pas identifié de faille dans ce domaine.

En matière de contrôle des armes et de renforcement de la sécurité à la chasse, il faut tenir compte du fait que la législation a déjà été significativement renforcée au cours des dix dernières années.

Depuis 2014, l'examen pratique du permis de chasser est axé sur la sécurité. Toute faute en la matière est éliminatoire et, de fait, environ 30 % des candidats échouent ; ce n'est pas négligeable.

De plus, depuis 2019, la loi a imposé des règles de sécurité pour la chasse en battue, avec le port d'un gilet fluorescent et la mise en place de panneaux d'information. Elle a rendu obligatoire une formation décennale sur la sécurité, a renforcé les pouvoirs de l'OFB et a créé un fichier national du permis de chasser.

Ce nouveau fichier national doit pouvoir être interconnecté avec les deux fichiers consacrés au contrôle des armes. Le premier est le fichier national des interdits d'acquisition et de détention d'armes (Finiada), fichier automatisé nominatif créé en 2011 et répertoriant toutes les personnes qui, en raison d'une condamnation ou d'une infraction, sont interdites de possession d'armes sur le fondement d'une décision de justice ou administrative. Le second est le système d'information sur les armes (SIA), qui est en cours de déploiement et qui a pour but d'assurer la cohérence de l'ensemble, en réalisant un inventaire complet des armes légalement en circulation en France et en s'assurant des droits de leurs détenteurs. Dans ce domaine, il faut que le droit en vigueur s'applique. Je ne proposerai donc que des évolutions mineures, visant à corriger quelques manques qui nous ont été signalés par les services compétents.

Malgré les résultats très encourageants que je viens de vous présenter et qu'il nous faut saluer comme le fruit du sérieux des chasseurs, j'ai la conviction, comme Maryse Carrère l'a souligné, que les chasseurs doivent encore progresser. C'est une question de crédibilité et de confiance vis-à-vis des non-chasseurs, mais c'est aussi une attente des chasseurs eux-mêmes, qui sont les premières victimes des accidents. Si le risque zéro n'existe pas - cela a été dit -, cela ne doit pas empêcher d'adopter le « zéro accident » comme objectif. Les chasseurs doivent adopter une culture de la sécurité, à l'instar de ce qui se fait dans l'industrie pour la sécurité au travail, et ils doivent s'inscrire dans un processus d'amélioration permanente.

J'ai distingué, dans les améliorations que je vous propose, celles qui devraient être prises avant la chasse et celles qui touchent au déroulé de la chasse elle-même.

Concernant la sécurité avant la chasse, je veux insister sur trois aspects : la formation, l'aptitude médicale et l'alcool, et le besoin d'un audit de sécurité des territoires de chasse.

Il convient tout d'abord d'améliorer la formation des chasseurs. En ce qui concerne le permis de chasser, l'examen devrait mieux prendre en compte la place croissante de la chasse au grand gibier et la diffusion des armes semi-automatiques, plutôt que la chasse au petit gibier avec un fusil basculant à deux canons. L'examen devrait aussi intégrer une épreuve vérifiant l'habileté au tir. Il s'agit non pas de transformer les chasseurs en tireurs d'élite, mais de vérifier leur pleine maîtrise de leur arme, au-delà des gestes élémentaires de sécurité. Je vous propose ensuite de développer le tutorat des jeunes permis, mineurs ou non, afin de faciliter la transmission et l'assimilation des règles de sécurité. Les chasseurs devraient aussi être en capacité de réaliser les gestes de premiers secours et de disposer des moyens adéquats pour le faire, les accidents intervenant le plus souvent loin de tout centre de secours.

Je vous soumets trois autres propositions, tournées vers les chasseurs expérimentés. La première consiste à généraliser la formation des organisateurs de battue, qui est déjà obligatoire dans la plupart des fédérations et qui semble constituer un élément essentiel. Il s'agit ensuite de compléter la formation décennale obligatoire sur la sécurité d'un volet pratique, afin de garantir l'assimilation de la partie théorique - nous avons constaté que ce que signifie et implique le respect de l'angle de 30 degrés est encore souvent mal compris. Enfin, les gestes dangereux pourraient entraîner une obligation de formation, un peu à la manière des stages de récupération de points pour le permis de conduire.

Par ailleurs, il convient également de s'assurer de manière plus approfondie de l'aptitude des chasseurs à détenir une arme et à s'en servir en sécurité dans la nature. À cet égard, il faut envisager d'aligner la chasse sur les sports se pratiquant avec une arme - tir sportif, ball-trap et ski-biathlon -, donc d'exiger un certificat médical annuel. Actuellement, pour la chasse, un certificat est demandé une seule fois pour passer le permis et seulement depuis 2005. Nombre de chasseurs n'en ont donc jamais présenté.

Il est également nécessaire d'interdire formellement la chasse en état d'ébriété ou sous l'emprise de stupéfiants, en retenant les mêmes règles que sur la route. De nombreux chasseurs ne veulent plus être stigmatisés en raison de l'attitude d'une petite minorité.

Enfin, je vous propose de promouvoir des audits de sécurité des territoires de chasse. Certains évoquent l'instauration de distances de sécurité autour des habitations ou des routes, mais cela conduirait, compte tenu de la portée des armes, à interdire la chasse dans une grande partie de la France et cela poserait en outre des problèmes de régulation, en créant des zones refuges. En réalité, les accidents résultent de tirs mal maîtrisés et d'une prise en compte insuffisante de l'environnement. Il convient donc d'agir en amont et de mener des audits de sécurité des territoires pour mieux déterminer quand, où, comment et avec quelle arme et quelle munition chasser. L'Office national des forêts (ONF) et plusieurs fédérations ou associations de chasseurs se sont déjà engagés dans cette démarche de longue haleine. Il convient de l'amplifier.

J'en viens à la sécurité pendant la chasse. Je vous propose d'inciter à des progrès dans trois domaines : les règles et dispositifs de sécurité, la déclaration des battues et la police de la chasse.

La plupart des règles de sécurité figurent aujourd'hui dans les schémas départementaux de gestion cynégétique (SDGC), élaborés par les fédérations des chasseurs, mais ces schémas ne sont pas homogènes et certaines règles fondamentales n'y figurent pas ou y figurent seulement sous forme de recommandations, ce qui empêche l'OFB de sanctionner leur non-respect, voire entraîne l'annulation des sanctions par le juge. Une harmonisation, au besoin par la loi, est nécessaire. Ce serait par exemple le cas de l'angle de sécurité de 30 degrés et de sa matérialisation.

Le développement des postes de tir surélevés pour garantir un tir fichant sécurisé fait également partie des évolutions qu'il faut promouvoir. Je vous propose d'ailleurs que le vol, le sabotage ou la destruction de tels outils de sécurité soient plus gravement punis. Des méthodes de chasse alternatives à la battue pourraient, en outre, être popularisées, comme la traque-affût, qui, là où elle peut être organisée, présente de nombreux avantages.

J'en viens à l'organisation des battues. Vous le savez, la loi exige que les battues au grand gibier soient signalées par des panneaux, mais les autres usagers en prennent souvent connaissance trop tard, voire risquent d'être déjà sur place lors de la pose de ces panneaux. Les maires demandent également à être informés des chasses. Ainsi, après des expérimentations menées avec succès dans des départements aussi divers que la Seine-et-Marne ou l'Isère, il me paraît possible de généraliser la déclaration préalable systématique des battues, via notamment des applications mobiles, pour garantir la pleine information de tous.

En contrepartie, les maires pourraient prendre plus souvent des arrêtés d'interdiction des zones de chasse, lorsque la sécurité le justifie. C'est déjà le cas lors de chasses en semaine, dans certaines forêts périurbaines par exemple. D'autre part, pour éviter que ces déclarations ne soient utilisées pour faire obstruction à la chasse, la mission demande la création d'un délit d'entrave, que le Sénat avait déjà proposé en 2019.

Enfin, il faut renforcer la police de la chasse dans tous ses aspects. Cela passe par un renforcement du rôle du préfet dans l'élaboration des SDGC et par la possibilité de limiter les jours et heures de chasse pour garantir la sécurité des personnes. Il convient également de conforter les effectifs et les moyens juridiques de l'OFB, mais il faut surtout renforcer les compétences d'autres acteurs, plus nombreux. C'est la raison pour laquelle je propose de donner aux policiers municipaux la même compétence que les gardes champêtres en matière de chasse et de clarifier les prérogatives des agents de développement des fédérations et des gardes particuliers.

Enfin, les peines complémentaires à la condamnation pénale que sont la suspension ou le retrait du permis de chasser devraient être graduées en fonction de la gravité des faits. Par exemple, en cas d'homicide par tir direct, le retrait du permis pourrait être systématique et l'interdiction de le repasser portée à dix ans.

Pour finir, je désire aborder les questions de cohabitation entre chasseurs et non-chasseurs. Nous sommes face à une question de « vivre-ensemble », qu'il faut restaurer.

Je vous propose d'opter pour ce qui peut favoriser la cohabitation plutôt que le partage. Vous le savez, certains pensent qu'instaurer un ou plusieurs jours sans chasse serait censé assurer la tranquillité des autres usagers et le partage de la nature, mais cette idée de partage entraîne l'exclusion de certains au profit d'autres. D'ailleurs, la plupart de fédérations de sport d'extérieur et de nombreux autres acteurs s'y opposent, craignant un « saucissonnage » de la nature et l'exacerbation des conflits dont ils sont déjà les témoins. Les chasseurs soulignent, pour leur part, qu'ils ne monopolisent pas l'espace, les jours et lieux de chasse étant limités, qu'ils exercent ce loisir sur leur propriété ou contre un loyer et qu'ils doivent réguler le gibier dont ils paient seuls les dégâts.

Je ne vous propose donc pas de retenir une règle nationale uniforme, mais je suis convaincu que, localement, des demandes doivent être entendues. C'est pourquoi je souhaite favoriser la cohabitation et un cadre de dialogue pour qu'émergent les solutions adaptées. La chasse ne peut se pratiquer dans les mêmes conditions aux abords des métropoles et dans les départements ruraux ; c'est une évidence. L'ensemble des propositions déjà présentées doit contribuer à faire émerger des convergences locales.

Cela dit, je veux également vous proposer d'autres outils pour faire progresser ce dialogue.

Dans ce but, je crois nécessaire d'objectiver et de traiter les incidents et conflits d'usage autour de la chasse. Plusieurs associations de défense des non-chasseurs ont réalisé des enquêtes d'opinion faisant ressortir les craintes et les conflits que suscite la chasse. Certaines ont mis en place des plateformes de recueil de témoignages. Néanmoins, bien souvent, ces démarches ne permettent pas de vérifier les faits. Elles alimentent les réseaux sociaux, mais non le réseau de sécurité à la chasse animé par l'OFB. C'est pourquoi je souhaite que cet office crée une plateforme de recueil des incidents et conflits d'usage, afin d'en avoir une vision globale et objective.

Il faut enfin des outils et des lieux pour dialoguer. D'ores et déjà, la Fédération nationale des chasseurs (FNC) et des fédérations départementales des chasseurs (FDC) ont signé des chartes dans ce but avec d'autres usagers de la nature. Cela pourrait être amplifié. Ensuite, les FDC pourraient être membres des syndicats mixtes des parcs naturels régionaux et des commissions départementales des espaces, sites et itinéraires (CDESI). Enfin, la mission propose que le ministère des sports intègre les chasseurs au réseau Suricate de signalement des incidents et pollutions dans la nature, puisqu'ils sont gestionnaires de sites et jouent déjà le rôle de sentinelles de l'environnement dans d'autres domaines.

Vous le voyez, mes chers collègues, notre mission a permis, d'une part, de dresser un état des lieux complet de la sécurité à la chasse et de démonter certaines idées fausses et, d'autre part, de formuler des propositions tirées de l'expérience de terrain pour répondre au défi de l'amélioration de la sécurité à la chasse. C'est une évolution nécessaire à laquelle tous doivent s'atteler.

Je souhaite que, si ces propositions sont adoptées, elles puissent être débattues et nourrir un texte législatif, au besoin d'origine parlementaire, pour répondre à l'attente de changement en la matière. Travailler en ce sens a été le fil rouge de la mission.

Je suis prêt à répondre à vos questions.

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