Intervention de Valérie Létard

Commission des affaires économiques — Réunion du 19 juillet 2022 à 15h40
Bilan de la politique de la ville — Examen du rapport d'information

Photo de Valérie LétardValérie Létard, rapporteure :

Ce fut un bonheur et un plaisir de travailler de concert avec Viviane Artigalas et Dominique Estrosi Sassone. Cet échange de regard nous a amenées à voir les choses de manière plus constructive.

Évaluer l'application de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dite « loi Lamy », c'est interroger deux outils centraux : la géographie prioritaire et le contrat de ville.

Comme nous l'avions montré avec Annie Guillemot il y a cinq ans, la géographie prioritaire issue de la loi de 2014, qui est fondée sur un seul critère, la concentration de la pauvreté par carreau de 200 mètres de côté, est à la fois une grande avancée et comporte d'importantes limites.

L'avancée, c'est d'avoir beaucoup simplifié et clarifié les choses et d'avoir concentré les moyens. Les limites, c'est d'avoir laissé de côté, sans vraie solution, des poches de pauvreté diffuses ou localisées. Le bassin minier en est le meilleur exemple.

Cinq ans plus tard, nous déplorons l'absence d'actualisation de la géographie prioritaire alors qu'elle aurait dû avoir lieu en 2020. C'est donc la première urgence. Ensuite, le problème des quartiers laissés-pour-compte a pris de l'ampleur. Les maires s'en plaignent et cela pose parfois de graves problèmes politiques. Nous proposons donc de laisser une plus grande latitude aux maires et aux préfets pour ajuster le zonage sur le fondement des analyses de besoins sociaux. Nous demandons également d'étudier un rapprochement avec le programme « Action coeur de ville », car, en dehors des métropoles, beaucoup de villes sont éligibles aux deux.

Nous voulons également rendre les contrats de ville beaucoup plus opérationnels. Comme la géographie prioritaire, ils n'ont pas été actualisés depuis 2014. Il faut également les assouplir pour que les EPCI puissent choisir leurs priorités, et décliner des objectifs concrets et mesurables quartier par quartier. Nous plaidons également pour adjoindre aux contrats de ville un volet investissement. Cela aurait particulièrement du sens dans les quartiers qui ne sont pas éligibles aux aides de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).

Enfin, nous souhaitons pérenniser l'abattement de 30 % de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), qui s'achève en 2023, au profit des bailleurs sociaux sous réserve d'un meilleur contrôle et d'une meilleure compensation par et pour les communes.

J'en viens au dernier volet de notre travail qui portait sur l'entrepreneuriat. Nous avons bien conscience que tous les habitants des quartiers de la politique de la ville (QPV) ne vont pas devenir entrepreneurs et que l'on ne transforme pas un jeune qui n'est pas en emploi, en études ou en formation (Neet) en P-DG de licorne.

Pour autant, la promotion de modèles de réussite accessible a un vrai impact dans les quartiers. Elle rencontre l'aspiration de plus d'un tiers des habitants. C'est donc un levier pertinent. Le programme « Entrepreneuriat pour tous » de Bpifrance a, par exemple, permis la création de 5 000 entreprises les deux dernières années. Le programme combine le démarchage des personnes intéressées par la création d'entreprise, par exemple avec des bus, l'animation de communautés d'entrepreneurs et des modules d'accélération de développement. Ce programme mériterait donc, selon nous, d'être pérennisé au-delà de 2025.

Ces entreprises ne sont pas toutes des pépites technologiques. Elles ne sont pas toutes non plus des autoentreprises de chauffeurs Uber ou de restauration ethnique. Elles sont diversifiées. Les secteurs classiques sont bien présents. C'est pourquoi la Française des jeux et BNP sont, par exemple, présents auprès d'un fonds d'investissement, que nous avons rencontré, qui appuie l'installation de franchisés et de buralistes. Comme nous l'a dit son dirigeant, « ce n'est pas révolutionnaire, mais ça change des vies, ça crée de l'emploi et ça donne de la vie dans les quartiers ».

Nous souhaitons ensuite qu'un effort particulier soit fait sur l'entrepreneuriat au féminin dans les QPV, comme c'est le cas au plan national dans les actions de Bpifrance, en l'incluant dans l'accord-cadre avec l'État, et donc ses outils et statistiques. Les femmes des quartiers sont aussi intéressées que les hommes par la création d'entreprise. Mais souvent à la tête d'une famille monoparentale, moins soutenues financièrement et victimes de barrières sociales, elles concrétisent moins leur projet que les hommes.

Enfin, nous souhaitons que l'entrepreneuriat et l'accompagnement dans la durée des jeunes pousses des quartiers deviennent un enjeu territorial pour les pouvoirs publics en vue de leur insertion dans le tissu économique. Dans ce but, l'entrepreneuriat devrait être plus souvent inclus dans les contrats de ville. Il semble que ce soit exceptionnel aujourd'hui. Nous pensons aussi qu'il faut promouvoir des solutions ad hoc après la phase d'incubation, pour faciliter un suivi à la demande. L'utilisation des groupements de prévention agréés, qui ont particulièrement fait leurs preuves durant la crise sanitaire pour traiter en amont les difficultés des entreprises, pourrait être une piste.

De même, la création d'hôtels d'entreprises serait une solution intermédiaire à promouvoir entre l'incubateur et l'absence de suivi qui lui succède souvent.

Madame la présidente, mes chers collègues, voilà donc les principales conclusions et propositions de notre rapport. Nous voulons mettre en lumière, et soutenir les réussites et les dynamiques que vient initier ou appuyer la politique de la ville.

Comme les maires de France, dans leur contribution en vue de la présidentielle, et comme Olivier Klein et Hakim El Karoui dans leur rapport pour l'Institut Montaigne, nous pensons qu'il « se joue dans ces territoires une partie de l'avenir de la France, en particulier de sa jeunesse » et que « ces territoires s'ils cumulent des difficultés, sont aussi des ressources de vitalité et d'initiatives ». Encore faut-il actionner les bons leviers !

Nous n'avons pas mis sous le boisseau les difficultés. Nous n'en sommes que trop conscientes. Mais nous pensons qu'une partie des solutions se trouve dans ces dynamiques de terrain qu'il faut essayer d'amplifier. Il importe aussi de mettre un terme aux logiques descendantes et d'appels à projets pour aller vers des logiques faisant davantage confiance aux territoires. Ces derniers sont souvent porteurs d'initiatives originales fondées sur l'expérience.

Au cours de nos auditions et de nos visites, nous avons recueilli beaucoup de témoignages d'élus et d'habitants qui nous ont dit que c'était grâce à la politique de la ville qu'ils étaient aujourd'hui maires, dirigeants d'association ou, tout simplement, qu'ils s'en étaient sortis. Certains ont quitté leur quartier d'origine, d'autres pas. Selon l'expression de Mohamed Haddou, fondateur des Entrepreneurs affranchis, il faut « non seulement aider les gens à réussir, mais aussi aider les gens à enraciner la réussite ».

Si la politique de la ville pouvait demain mieux qu'aujourd'hui porter cette ambition pour chacun, ne serait-elle pas à la hauteur de la « promesse républicaine » ?

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