Intervention de Jean-Jacques Michau

Commission des affaires économiques — Réunion du 20 juillet 2022 à 8h40
Bilan de la politique de la ville — Examen du rapport d'information

Photo de Jean-Jacques MichauJean-Jacques Michau, rapporteur :

Depuis la constitution de notre mission d'information, nous avons auditionné 60 personnes issues de 30 organisations : les représentants des filières du nucléaire et de l'hydrogène, les organismes chargés de la régulation, de la sûreté et de la sécurité, de la recherche ou de la gestion des déchets, les associations environnementales ou encore les services de l'État. Nous avons échangé avec les élus concernés par la centrale de Fessenheim, sur son arrêt et son démantèlement, et le directeur de la centrale de Golfech, sur sa résilience climatique. Le déplacement de notre commission sur le chantier de l'EPR (European Pressurized Reactor, réacteur pressurisé européen) de Flamanville a aussi constitué un temps fort pour prendre conscience des réalités de terrain. Un chantier nucléaire, c'est une logistique impressionnante ! Nous avons échangé avec les ambassades d'Allemagne et de Belgique, les premiers sortant du nucléaire et les seconds s'y réengageant. Enfin, l'audition de l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN) nous a permis de connaître les meilleures pratiques internationales.

Si l'énergie nucléaire a été très dynamique, dans les années 1970-1980, elle a connu un net ralentissement, dans les années 2000-2010. Faute d'une politique ambitieuse et d'investissements suffisants, cette énergie est en déclin relatif. Jusqu'au début de l'année 2022, le Gouvernement a entendu fermer 14 réacteurs. En stoppant la centrale de Fessenheim en 2020, il a privé la France d'une puissance de 1,8 gigawatt (GW) et d'une production de 11 térawattheures (TWh). Au moins 640 salariés et 284 prestataires ont été affectés. De plus, le Gouvernement n'a pas lancé de nouveaux réacteurs. Les dernières autorisations remontent à 2007, pour l'EPR de Flamanville. Enfin, il a raboté la recherche et développement (R&D). Entre 2017 et 2021, le budget alloué par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) a baissé de 70 millions d'euros. Pire, le projet Astrid a été arrêté en 2019, alors que d'autres pays continuent d'investir, la Chine, la Russie ou l'Inde notamment.

Cet affaiblissement de la filière se constate sur le terrain. D'une part, on observe une faible disponibilité du parc nucléaire national. Cela s'explique par la densité du programme du Grand Carénage, le retard du chantier de l'EPR de Flamanville, l'impact de la crise de la Covid-19 sur le programme d'arrêts de tranches et le phénomène de corrosion sous contrainte. À la mi-mai, 30 réacteurs ont été mis à l'arrêt, dont 12 pour ce phénomène, selon l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) : les 4 réacteurs de plus de 1 450 mégawatts, 5 des 20 réacteurs de plus de 1 300 MW et 3 des 32 réacteurs de 900 MW. Il ne s'agirait pas d'un phénomène lié au vieillissement, ce qui est rassurant.

Cependant, 35 soudures ont été expertisées et 105 doivent encore l'être, un procédé de contrôle par ultrasons, plus rapide, étant attendu. Dans ce contexte, le groupe EDF a révisé sa production pour la fixer entre 280 et 300 TWh en 2022, un minimum historique. C'est 15 % de moins que prévu, que nous devrons compenser par des importations d'électricité ou sa production par des centrales à charbon !

D'autre part, on assiste à une flambée des prix en Europe. Cette flambée des prix, née sur le marché gazier, se répercute sur celui de l'électricité, en raison du principe du coût marginal. D'abord tirée par la reprise de l'économie mondiale, au sortir de la crise de la Covid-19, elle est maintenant due à la guerre russe en Ukraine, où circulent deux gazoducs. Pour remédier à cette flambée, le 8 mars 2022, la Commission européenne a présenté le plan RePowerEU, qui prévoit une sortie de la totalité des importations russes de charbon d'ici à août et de 90 % de celles de pétrole d'ici à décembre. S'agissant du gaz, la Russie a déjà cessé certaines livraisons - notamment à l'Allemagne et la France - et pourrait les arrêter totalement cet hiver.

Cette situation met à l'épreuve notre système électrique. Tout d'abord, son efficacité est érodée, avec des indisponibilités, des importations et des prix élevés. En 2021, on a dénombré 78 jours d'importation, contre 25 en 2019. La situation pourrait être pire en 2022, les prix ayant atteint 3 000 euros le 4 avril dernier, en raison du regain de froid. En outre, l'équilibre du système électrique est mis à l'épreuve, avec des risques sur la sécurité d'approvisionnement. Réseau de transport d'électricité (RTE) a ainsi placé la France en situation de « vigilance particulière » jusqu'en 2024. S'il n'anticipe pas de black-out, il a identifié comme « probable » à « certain » le recours à des moyens post-marché, dont des coupures, en cas de vague de froid, de situation de très faible production éolienne ou de dégradation de la disponibilité du parc.

À plus long terme, l'énergie nucléaire fait face à des perspectives très complexes. Cette énergie est indispensable pour atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050 : le Groupement d'experts intergouvernemental sur le climat (GIEC) l'a fait figurer parmi ses options d'atténuation, tandis que l'Agence internationale de l'énergie (AIE) envisage son doublement. Rien que pour réaliser le paquet Ajustement à l'objectif 55, la Commission européenne anticipe une multiplication par deux de la production d'électricité. Or, le parc nucléaire fait face à un double défi, selon RTE : d'une part, la consommation d'électricité pourrait croître jusqu'à 90 % en cas de réindustrialisation ; d'autre part, les réacteurs actuels devraient tous arriver en fin de vie, avec un « effet falaise » de 400 TWh, dès la décennie 2040. Par ailleurs, le renouvellement du parc nucléaire est limité par des délais incompressibles et par les capacités industrielles. Pour RTE, seule une décision politique pour la construction de nouveaux réacteurs au cours de l'année 2022 ou 2023 permettrait de disposer de nouvelles tranches à l'horizon 2035.

Enfin, la situation d'EDF est très tendue. Grevé d'une dette de 43 milliards d'euros, le groupe a perdu 18,1 milliards d'euros avec le phénomène de corrosion sous contrainte et 10,2 milliards d'euros avec le « bouclier tarifaire ». Or, il doit financer de lourds investissements : 65 milliards d'euros pour le Grand Carénage sur 2014-2028 et 88,7 milliards d'euros sur le chantier des EPR : Flamanville, Hinkley Point C et les 6 nouveaux !

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