– Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très honorée de m’exprimer devant votre commission pour vous présenter ma candidature au poste de directrice générale de l’Office national des forêts et ma vision des enjeux stratégiques pour cet établissement.
Vous l’avez dit, madame la présidente, ingénieure du génie rural, des eaux et des forêts de formation, j’ai exercé au ministère de l’agriculture, puis de l’écologie, en administration centrale, deux fois en cabinet et dans les services déconcentrés de l’Aisne et des Yvelines.
Mon parcours s’est construit principalement autour de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques publiques agricoles, forestières et environnementales au niveau européen et au niveau national, avec toujours une composante partenariale forte.
Mes fonctions de secrétaire générale et de directrice m’ont également amenée à assumer la responsabilité des ressources humaines, à pratiquer le dialogue social et à conduire des projets de transformation des organisations.
Durant mon parcours, j’ai eu l’occasion de m’investir dans plusieurs dossiers importants pour la filière et la forêt : les plans d’aide au nettoyage et à la reconstitution des forêts à la suite des terribles tempêtes Lothar et Martin de décembre 1999 et Klaus de janvier 2009 ; la loi d’orientation forestière de 2001, votée à l’unanimité du Sénat et de l’Assemblée nationale et qui a inscrit le principe de multifonctionnalité dans la loi, ou, plus récemment, le volet forestier du plan de relance, qui accompagne l’adaptation de la forêt et de la filière au changement climatique, au travers notamment d’un soutien au renouvellement forestier ; enfin, les Assises de la forêt et du bois, qui ont été l’occasion d’un large débat sur les enjeux de la filière et dont les conclusions – je parle sous le contrôle de madame la rapporteure – ont été rendues en mars 2022.
Si votre commission et celle de l’Assemblée nationale donnent leur accord à ma nomination, je serais heureuse de mettre mon expérience au service de l’Office.
Gestionnaire de plus de 11 millions d’hectares de forêts en métropole et en outre-mer, l’ONF incarne pour moi les valeurs d’intérêt général de long terme au cœur des enjeux du développement durable : un enjeu économique, avec la contribution à la compétitivité d’une filière qui représente 440 000 emplois dans nos territoires ; un enjeu environnemental, qui est celui de l’adaptation de la forêt française au changement climatique pour préserver le patrimoine forestier, mais aussi les ressources naturelles et la biodiversité qui y sont associées et contribuer à l’atténuation du changement climatique ; enfin, un enjeu social d’accueil du public, puisque 700 millions de visiteurs sont accueillis chaque année dans les forêts françaises.
Au-delà des enjeux qu’il porte, l’ONF est un magnifique établissement ancré dans les territoires, entretenant des liens forts avec 11 000 communes, propriétaires de 60 % de la forêt publique. C’est une très belle maison, construite par des générations de forestiers passionnés, aux compétences reconnues dans des domaines et des métiers variés, et profondément engagés au service du bien commun.
Cet attachement des personnels au service de la forêt publique, que je partage pleinement, est un élément fort de motivation, qui engage et oblige un directeur général.
Nous avons vécu, au cours de cet été 2022, un moment particulier, dramatique par certains aspects, qui rend visibles les enjeux portés par l’établissement. Tout d’abord, de terribles incendies ont détruit plus de 60 000 hectares de forêt. Cela fait prendre conscience à tous de la fragilité de nos forêts et de leurs écosystèmes et de la nécessité de renforcer la politique de prévention, mais aussi de préparer la forêt française de demain.
Par ailleurs, le tragique conflit ukrainien montre la nécessité de réduire la dépendance aux énergies fossiles, en renforçant l’intérêt du bois comme matériau de construction ou comme source d’énergie de substitution.
Enfin, l’accord obtenu par la présidence française de l’Union européenne en juin dernier sur les principaux textes du paquet climat européen marque l’engagement de notre pays en faveur de la lutte contre le changement climatique. Ces textes se traduiront en particulier par un objectif de stockage pour notre puits carbone, rendant nécessaire d’investir dans le renouvellement forestier et le développement de l’utilisation du bois dans la construction.
Madame la Première ministre a indiqué que la forêt serait l’un des trois premiers secteurs de la planification écologique. J’ai la conviction que l’ONF peut jouer un rôle moteur dans cette transition, en œuvrant pour des forêts résilientes, puits de carbone et réservoirs de biodiversité, dont la gestion durable participera à la décarbonation de notre économie, à notre souveraineté et à la vitalité de nos territoires.
Dès lors, trois grands objectifs stratégiques se présentent, à mes yeux, pour l’établissement.
Premier objectif, faire de l’ONF un acteur central de l’adaptation des forêts au changement climatique. Avec les épisodes répétés de canicule et de sécheresse, un tiers de la forêt française est fragilisé, et avec elle tous les services environnementaux associés, ainsi que le potentiel économique des territoires et des entreprises qui vivent de la forêt.
Le puits de carbone et la stabilité à terme de l’approvisionnement de la filière sont aujourd’hui menacés par la baisse de l’accroissement naturel, la progression de la mortalité des peuplements et le risque incendie. En tant que gestionnaire de 25 % de la forêt française en métropole et en tant que gestionnaire de la forêt d’Outre-mer, l’ONF devra jouer un rôle majeur dans la stratégie d’adaptation de la forêt française, pour assurer la transmission du patrimoine forestier écologique aux générations futures.
Cette stratégie doit se décliner dans son activité de recherche et développement, en collaboration avec la recherche française, les partenaires européens et les partenaires de la forêt privée, dans son activité de surveillance des peuplements, pour élaborer des diagnostics et des solutions à partager avec l’ensemble des acteurs et, enfin, bien sûr, dans sa mission de gestionnaire, en charge des aménagements et du renouvellement forestier dans les forêts publiques, pour adapter les forêts les plus vulnérables.
Je considère que cette expertise et ce travail d’expérimentation de l’opérateur national ont vocation, comme le soulignait madame la rapporteure dans son rapport de 2019, à être partagés avec les partenaires de la forêt privée du CNPF, le Centre national de la propriété forestière, ainsi que des coopératives forestières, au bénéfice de toute la forêt française.
Deuxième objectif, accompagner la filière bois, dans une perspective de développement d’une économie verte et de création de valeur dans les territoires.
L’ONF, en tant qu’opérateur national, dispose de la capacité de mutualiser les ressources des forêts publiques sur des bassins d’approvisionnement qui dépassent les limites administratives et de garantir des clauses de vente harmonisées et une équité d’accès pour les acheteurs privés. Cela lui confère un rôle structurant et stabilisateur pour la filière, que renforcera encore le développement de la contractualisation inscrite dans le contrat État-ONF.
Le développement de la valorisation locale de la matière première brute par nos entreprises, objectif porté par la Fédération nationale du bois et l’interprofession, est un enjeu de vitalité de nos territoires ruraux. Je m’inscris complètement dans cet objectif, que je m’engage à soutenir.
Troisième objectif stratégique, conforter le rôle de l’ONF dans la prévention des risques et la gestion des crises. Les incendies de l’été ont montré que l’expertise et l’appui de l’ONF étaient reconnus et nécessaires aux partenaires comme aux acteurs de la protection civile. Les événements extrêmes de nature climatique ou sanitaire seront de plus en plus intenses et de plus en plus fréquents. Dans ce contexte, le maillage territorial de l’ONF et sa capacité à mutualiser les moyens et à mobiliser des renforts sont des atouts qu’il convient de préserver.
Les missions d’intérêt général comme celles qui sont relatives à la défense de la forêt contre les incendies, mais aussi la restauration des terrains de montagne, si importante pour les élus de montagne, ou la gestion des dunes, sont des missions prioritaires qui seront confortées. Tel était d’ailleurs le sens des recommandations du rapport d’information de votre assemblée.
Au regard de ces trois objectifs stratégiques, le régime forestier et l’ONF, qui le porte, constituent des pièces maîtresses de la gestion durable des forêts. J’observe que les événements récents et la rapidité avec laquelle nous sommes rattrapés par le changement climatique ont permis de recréer un relatif consensus autour de la pertinence du régime forestier et du statut de l’ONF. C’est aussi parce que je me retrouve dans ce consensus, que transcrit le contrat ONF, que je candidate aujourd’hui.
Dans ce cadre, j’insisterai sur quatre axes d’action, auxquels je crois, pour mettre en œuvre ces priorités stratégiques. Je les proposerai aux personnels de l’ONF, si vous m’accordez votre confiance.
Premier axe, il faut resserrer les relations avec les collectivités locales, qu’il s’agisse des collectivités propriétaires des forêts ou de celles qui, sièges de forêts, souhaitent que celles-ci participent à l’aménagement ou au développement de leur territoire. Si vous validez ma candidature, je préserverai le maillage territorial et je m’emploierai à conforter la confiance des élus, au travers d’une transparence accrue, d’une écoute de leurs attentes, d’une offre de services adaptés et d’un accès facilité des élus aux données de leurs forêts.
La mise en place de la nouvelle comptabilité analytique de l’ONF et du comité d’audit dans lequel siègent les communes forestières vise à donner aux communes des garanties de transparence sur le modèle économique de l’établissement. Je m’engage à ce qu’il dispose des données nécessaires pour mener son travail.
Madame la rapporteure, vous insistez, dans votre rapport de 2019, sur le lien de confiance, crucial, entre l’ONF et les élus, notamment des communes forestières. Ce renforcement des liens, je prends l’engagement, si vous validez ma candidature, de le porter et de le développer, tout comme je m’attacherai à amplifier les partenariats avec les collectivités régionales.
Deuxième axe, il convient de construire un dialogue transparent et confiant avec les partenaires et la société civile, dialogue avec les partenaires historiques que sont les représentants de l’aval et les représentants des chasseurs, acteurs centraux de l’équilibre forêt-gibier, mais aussi dialogue à approfondir avec les citoyens, les associations environnementales et les représentants des usagers de la forêt.
Multifonctionnelle, la forêt suscite de nombreuses attentes, qui sont diverses et parfois difficiles à concilier.
Si l’on veut optimiser la séquestration de carbone dans les sols et dans la biomasse, les orientations sylvicoles doivent être expliquées et partagées avec les citoyens, pour réussir à dégager des consensus sur la gestion durable de la forêt, adaptés à la spécificité de chaque territoire, car il n’existe pas de solution unique, prête à l’emploi.
L’urgence climatique et le risque incendie sont paradoxalement un levier pour faire émerger une vision partagée. Je suis ainsi favorable à une plus grande association des ONG et des citoyens au choix sylvicoles, sur la base d’outils et d’indicateurs rendant compte de cette gestion et dans le cadre d’une évaluation indépendante. Je suis également favorable à un renforcement des attributions et de la visibilité du comité scientifique de l’établissement.
L’accueil des jeunes publics est aussi un moyen de développer ce dialogue, tout comme le service civique en forêt est un moyen d’impliquer nos concitoyens.
À l’instar de ce qui se fait dans l’agriculture, la traçabilité du bois, de la forêt vers le consommateur, pourrait aussi être une ambition portée par l’établissement.
Troisième axe, il est nécessaire de conforter l’établissement, en le transformant. Les priorités que j’entends fixer en matière de ressources humaines visent à assurer le renouvellement des générations, en maintenant les compétences et en s’adaptant aux besoins nouveaux, à bâtir des parcours professionnels innovants et à ouvrir des perspectives pour les personnels, en particulier pour ceux dont les missions sont amenées à évoluer.
Alors que le changement climatique apporte son lot de questions, voire d’inquiétudes, ces évolutions ne pourront être menées que grâce à un dialogue social de qualité, avec les personnels et leurs représentants syndicaux, dans le respect des instances représentatives et dans le souci de renforcer la communauté de travail, dans sa diversité de statuts, de métiers et de compétences.
Je pense également à une transformation digitale, afin de faciliter la vie des personnels de l’ONF et des partenaires externes et permettre une plus grande responsabilisation des échelons de management intermédiaire.
Enfin, évidence ou défi qui s’impose à tout candidat à la direction de l’ONF, il s’agit de consolider le modèle économique de l’établissement. Si les moyens budgétaires consacrés par l’État à l’ONF sont en augmentation constante depuis vingt ans, ils n’ont pas permis d’éviter, vous le savez, l’augmentation de l’endettement de l’établissement, confronté à une baisse structurelle des prix du bois et à une augmentation des charges. À un moment où l’urgence climatique renforce les attentes à l’égard de l’ONF, la question de l’équilibre de son modèle économique est cruciale, ainsi que celle du niveau de ses effectifs pour assurer ses missions, j’en ai pleinement conscience.
Sur le plan des charges, les marges d’optimisation des processus de production et de commercialisation et la transformation numérique, pour utiles qu’elles soient, ne seront sans doute pas à la mesure de l’enjeu du redressement financier, d’autant que le changement climatique risque de rendre plus complexes les aménagements et d’augmenter les besoins en matière de recherche, prévention, surveillance et reconstitution.
Sur le plan des recettes, le changement climatique et la décarbonation de notre économie devraient en revanche se traduire par un rééquilibrage structurel au profit du bois. Les financements carbone sont également une nouvelle opportunité de ressources propres. L’établissement pourra également bénéficier des financements mis en place pour poursuivre la dynamique du plan de relance, dans le prolongement des conclusions des Assises de la forêt et du bois.
Je n’aurais pas candidaté pour le poste de directrice générale de l’ONF si je n’étais pas convaincue que cet établissement porte des missions essentielles d’intérêt général, qui justifient pleinement qu’il dispose des moyens humains et budgétaires nécessaires pour mener ses missions. Je me mobiliserai en ce sens.
En conclusion, madame la présidente, madame la rapporteure, c’est donc bien consciente des enjeux qui attendent l’établissement, de ses difficultés, mais aussi de ses atouts, que je me présente devant vous. Ma candidature est le fruit d’un engagement sincère. Si vous donnez votre accord à ma nomination, je serai heureuse de porter ce beau projet d’intérêt général, avec l’ensemble des équipes de l’ONF et, bien sûr, avec son président, dont l’expérience et la présence sont une chance pour l’établissement.
Je mènerai mon action avec enthousiasme, détermination et dans le respect des personnes, les équipes de l’établissement comme les partenaires, élus, professionnels ou associations.
Si je suis nommée, je serai toujours à la disposition du Parlement, pour échanger sur les enjeux de l’établissement et rendre compte de mon action en toute transparence.