Intervention de Rémy Rioux

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 21 septembre 2022 à 10h30
Audition de M. Rémy Rioux candidat proposé par le président de la république aux fonctions de directeur général de l'agence française de développement

Rémy Rioux, candidat aux fonctions de directeur général de l'Agence française de développement :

Je suis très honoré de me présenter devant vous. J'ai eu au cours des six dernières années l'occasion d'échanger avec nombre d'entre vous. J'ai ainsi été auditionné par les parlementaires, sur cette période, à plus de 50 reprises.

Je commencerai par dresser le bilan de mon action.

Comme je m'y étais engagé en 2016 devant votre commission, et avec votre soutien constant, l'AFD est devenue plus grande et a été dotée de 4 milliards d'euros de fonds propres supplémentaires. Elle a géré en six ans 11 milliards d'euros de crédits budgétaires - 14 milliards si l'on prend en compte les crédits européens que nous allons chercher avec force, dès qu'ils sont disponibles. L'activité de l'Agence a doublé - celle d'Expertise France a même triplé - , représentant 7, puis 9, puis14 milliards d'euros entre 2015 et 2019, avant de se stabiliser à 12 milliards d'euros. Cette stabilisation n'était d'ailleurs pas une mauvaise nouvelle, car une telle croissance suppose ensuite de réformer et de consolider, ce qui n'est pas possible lorsque l'on pousse l'ambition et que l'on recrute aussi massivement.

L'AFD est aujourd'hui capable d'accompagner 1 100 projets par an, dans 130 pays.

Vous aviez également souhaité - c'est la lettre de la loi - qu'un effort important soit accompli sur les dons. Le portefeuille de dons de l'Agence a doublé en exécution, de 6 à 12 milliards d'euros en cours de mise en oeuvre, dont les deux tiers dans les pays les moins avancés. Nous concentrons notre action au maximum sur l'Afrique, qui bénéficie de la moitié des financements de l'AFD, soit environ 6 milliards d'euros par an, dont quasiment 60 % sont consacrés à l'Afrique francophone. L'Afrique bénéficie des trois quarts du total des subventions, conformément au pilotage défini par le Gouvernement, après avis du Parlement, dans le contrat d'objectifs et de moyens.

Cette forte croissance nous a permis d'avoir de l'impact sur les grands sujets. Dès 2017, l'AFD a été la première des institutions internationales à s'aligner sur l'accord de Paris, et elle a tenu très scrupuleusement l'engagement pris par la France à la COP21, puis un objectif rehaussé correspondant, chaque année, à 6 milliards d'euros de finance climat. La France est l'un des sept pays à avoir tenu l'engagement pris en 2015, et nous en sommes très fiers. Je me suis efforcé de placer l'Agence à la pointe de l'action sur la protection de la biodiversité, question intimement liée aux problématiques du climat et des océans.

Nous nous engageons de nouveau dans le domaine social. La France est le deuxième bailleur bilatéral pour l'éducation, après l'Allemagne et devant les États-Unis, en lien étroit avec le Partenariat mondial pour l'éducation.

Nous avons répondu à l'urgence covid au travers de l'initiative « Santé en commun ». Nous sommes aussi sur les terrains de la sécurité alimentaire, en participant à l'initiative européenne FARM (Food and Agricultural Resilience Mission), et de l'égalité entre les femmes et les hommes, la moitié de nos financements contribuant précisément à à réduire les inégalités de genre.

Notre activité est jugée bonne, en transparence, par des évaluateurs extérieurs. Nous avons aussi renforcé, comme votre commission y est attachée, notre politique d'évaluation des projets, et nous rendons désormais des comptes beaucoup plus précis, allant jusqu'à l'impact sur les populations. Depuis 2016, grâce à la France, 200 millions de personnes ont bénéficié d'un accès aux soins ; 80 millions d'enfants ont été scolarisés ; 30 millions de foyers ont accédé à l'électricité et 10 millions à l'eau ; 82 millions d'hectares ont été restaurés et 6 millions d'exploitations agricoles familiales ont été soutenues.

J'avais pris l'engagement de rendre l'Agence plus agile et plus innovante. Nos délais d'instruction, de signature et de versements se sont nettement améliorés, à hauteur de plus d'un trimestre s'agissant de la signature des conventions de financement, lesquelles déclenchent les actions.

Des procédures adaptées aux territoires en crise ont été mises en place, notamment dans le Sahel. Un fonds d'innovation pour le développement, présidé par Esther Duflo, a été mis en place. Dans ce cadre, nous travaillons sur les moyens d'associer création culturelle et actions de développement. Une attention croissante est portée à l'entrepreneuriat et au digital, avec une capacité accrue de financement des projets de petite taille.

L'AFD, enfin, est devenue nettement plus partenariale. Nous avons été à l'initiative de l'Alliance Sahel, qui est forte désormais de 26 membres, dont les États-Unis. Nous sommes à l'origine des Équipes Europe, soit le rassemblement autour de la Commission européenne des agences nationales de développement.

Je préside le club IDFC (International Development Finance Club) et le mouvement Finance en commun, qui regroupe 550 banques publiques de développement au niveau mondial - l'une de ces nouvelles coopérations que le Président de la République appelait de ses voeux, hier, à la tribune des Nations unies.

L'AFD s'est aussi systématiquement tournée vers les acteurs français : le guichet pour la société civile est passé de 65 à 165 millions d'euros chaque année ; le nombre de projets pour les collectivités locales est passé de 5 à 74, des projets qui ont été financés par les collectivités, la Caisse des dépôts et consignations, les établissements publics, les entreprises et qui le seront bientôt par des philanthropes.

Nous sommes partenaires officiels des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, parce que le sport est un accélérateur de développement, mais également de l'audiovisuel extérieur, auquel vous êtes très attaché : les projets en cours avec le groupe France Médias Monde (FMM) et, en son sein, avec CFI, l'agence française de développement médias, représentent plus de 50 millions d'euros.

J'ai veillé à ce que cette transformation profonde soit réalisée avec sérieux et en préservant nos équilibres financiers et de gestion. Nos risques sont maîtrisés, malgré cette forte croissance. Nos comptes sont tenus : nous avons dégagé l'année dernière le résultat net le plus élevé de l'histoire de l'Agence, soit 300 millions d'euros, et l'année en cours est bonne - nous approuverons demain les comptes semestriels.

Oui, monsieur le rapporteur Temal, notre cadre social a été modernisé et une réforme du statut du personnel a été engagée. Des gains d'efficacité ont ainsi été obtenus et le rapport qualité-prix proposé par l'AFD est bien meilleur que celui d'autres canaux, souvent multilatéraux. Il n'a pas été facile d'atteindre cet avantage comparatif, mais nous l'avons fait en favorisant le dialogue social. Nous avons signé 11 accords collectifs au cours des deux dernières années, davantage si l'on remonte à 2016. Les instances fonctionnent ; j'en remercie tous les personnels de l'AFD, ainsi que les organisations syndicales.

Nous avons eu un débat et un désaccord sur la réforme du statut des personnel, laquelle relève d'un arrêté du ministre des finances. Nous avons eu de longues discussions, au cours de cinq ans de travail et d'une trentaine de réunions. J'ai souhaité qu'il s'agisse non pas d'une négociation, mais d'une discussion, car on ne saurait négocier un acte réglementaire. Certaines des cinq organisations syndicales de l'AFD n'ont pas validé le résultat de cette concertation. Nous discutons désormais des accords collectifs découlant de ce nouveau statut. J'ai rencontré toutes les organisations syndicales avant de me présenter devant vous et j'ai bon espoir que nous reprenions un dialogue social apaisé pour poursuivre les réformes.

Cette entreprise et ses salariés respectent scrupuleusement les objectifs du contrat d'objectifs et de moyens fixé avec l'État : les indicateurs fixés ont été atteints à plus de 90 %.

Je signale aussi la profonde transformation de notre corps social. La parité totale entre les femmes et les hommes a été atteinte cet été, à toutes les strates de notre management, y compris au niveau des directrices et des directeurs d'agence que vous rencontrez très régulièrement sur le terrain ; j'en suis très fier.

Ce bilan, qui n'est qu'une étape, sera, je l'espère, une base solide sur laquelle nous pourrons construire l'étape suivante.

J'en viens donc à mon deuxième point : l'étape des trois prochaines années, dont vous avez fixé la ligne, très claire, au travers de la loi du 4 août 2021 et du rapport annexé. Cette loi fonde un nouveau récit, beaucoup plus partenarial, une nouvelle position que vous avez souhaitée et qui nous oblige, fixant les priorités à respecter. Il en est découlé une nouvelle organisation gouvernementale avec la nomination, depuis le mois de mai dernier, d'une secrétaire d'État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux, et une tutelle de l'AFD exercée par Catherine Colonna, ministre des affaires étrangères, Bruno Le Maire, ministre des finances, et Jean François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer.

Première orientation : je souhaite qu'au cours des trois prochaines années, l'Agence soit plus pertinente et s'adapte très rapidement aux évolutions géopolitiques majeures ; je pense notamment à la guerre en Ukraine. Il sera encore plus important à l'avenir de raisonner et d'agir en « 3D » - diplomatie, défense et développement, pilier à part entière de notre politique étrangère. Nous avons commencé à agir en ce sens dans le Sahel : nous avons compris que cette crise avait des racines sociales et économiques très profondes et que le changement climatique exacerbait encore les tensions politiques et de sécurité. Cette crise, de long terme, suppose une action dans la durée et en profondeur. Je propose de mobiliser cette capacité unique que possède l'Agence française de développement d'agir en faveur des autres et de tisser des liens avec un grand nombre de partenaires, en usant d'influence et d'amitié. Nous devons le faire plus efficacement dans la zone indo-pacifique, en Amérique latine, autour de l'Union européenne, dans les Balkans. Il ne faut pas oublier non plus la question chinoise, structurante et de plus en plus difficile.

En Afrique, qui sera toujours notre priorité, il faut d'abord lutter contre la pauvreté, qui augmente dramatiquement. Je souhaite que l'on insiste sur l'investissement dans le secteur privé et pour la création d'emplois. Le défi est gigantesque : en 2050, un jeune sur trois de moins de 25 ans dans le monde sera africain. Chaque année, 30 millions de jeunes - originaires du Cameroun, de la Côte d'Ivoire, de Madagascar... - arrivent sur le marché du travail en Afrique ; seuls 10 % d'entre eux y trouvent un emploi formel. Sans soutien à l'entrepreneuriat et aux industries nouvelles, l'instabilité politique grandira et les mouvements migratoires s'amplifieront à l'intérieur de l'Afrique et au-delà.

J'entends donner une grande place aux outre-mer et à la zone indo-pacifique, compte tenu des difficultés auxquelles ces territoires font face mais aussi de leur positionnement absolument unique. L'AFD a bâti la stratégie « trois océans » pour travailler avec ces territoires, ce qui est une étape, et avec leurs voisins. Cette stratégie doit être approfondie et nous devons disposer de nouveaux instruments outre-mer, y compris des subventions, afin d'y déployer toutes les capacités de l'Agence. Le ministère chargé des outre-mer s'y emploie, et je l'en remercie.

Il convient par ailleurs de mieux comprendre l'articulation de plus en en plus complexe entre les fractures géopolitiques et les questions globales. L'indice de développement humain (IDH) a subi une très sévère dégradation l'année dernière, pour la première fois depuis trente-deux ans : il est en baisse dans 9 pays sur 10 dans le monde, ce qui est le niveau de 2016. Cet élément ainsi que la crise climatique aggraveront les vulnérabilités dans le monde, y compris au plan politique. Nous sommes à votre disposition pour vous faire mieux comprendre les liens entre ces crises auxquelles nous faisons face.

Ma deuxième orientation est un engagement de qualité, pour faire de l'AFD la première agence 100 % d'objectifs de développement durable (ODD) d'ici à 2025. Cet engagement n'a rien de théorique : il s'agit de nourrir, de soigner, de former, de construire des infrastructures, d'apporter de l'eau, de gérer des déchets, de scolariser les jeunes filles, de renforcer les systèmes de santé de base. Il faut le faire mieux, en combinant la demande qui nous est adressée et la question climatique, en maximisant la qualité des projets et en contribuant à la définition de bonnes politiques publiques. Nous travaillons, à cet égard, à ce que l'AFD devienne la première institution à se financer exclusivement par des obligations vertes et durables sur les marchés financiers. Le niveau est de 50 % aujourd'hui ; nous allons essayer d'atteindre les 100 % dans trois ans, ce qui serait un signal très fort.

Avoir 100 % d'ODD, cela concerne aussi les droits humains, notamment les droits des enfants - vous avez eu ce débat lors de l'examen de la loi : c'est le troisième objectif que vous nous avez fixé, avec la lutte contre la pauvreté et les biens publics mondiaux. Ce point est assez nouveau pour l'Agence et nous réfléchissons, avec votre aide, aux questions des institutions, de la gouvernance et des droits de façon renouvelée, en passant « par le bas », c'est-à-dire par les projets. Nous voulons ainsi démontrer à nos partenaires que le fait de donner des droits aux femmes entraîne davantage de développement, par exemple. Et pourquoi ne pas encourager les changements de cadre législatif ? Dans certains pays, ce ne sera pas possible ; dans d'autres, il faudra s'efforcer de vaincre une certaine timidité dans ce domaine. Sur ce point, je crois à la force de la diplomatie parlementaire.

Si vous le souhaitez, monsieur le rapporteur, je mobiliserai l'AFD pour appuyer beaucoup plus fortement à l'avenir votre action internationale. Nous avons de multiples liens, notamment au sein du conseil d'administration de l'AFD. Il est important de recueillir vos attentes. Des travaux parlementaires, réalisés avec l'aide de nos équipes, sur la stratégie globale ou certaines stratégies géographiques pourraient nous guider. Les visites de terrain conjointes sont également précieuses. La conclusion, hier, d'un partenariat avec l'Assemblée parlementaire de la francophonie (APF) va dans le même sens.

Troisième orientation : je souhaite, d'ici à 2025, déployer pleinement le groupe AFD, composé de l'Agence française de développement, de sa filiale Proparco et d'Expertise France, un groupe fort de ses 3 500 collaborateurs.

Il faut cesser de voir l'AFD uniquement comme une institution financière et de mesurer son succès aux seuls grands volumes ou aux seuls chiffres. Il convient d'évaluer, de façon plus précise, notre capacité à combiner des interventions financières et des interventions non financières, plus humaines, en termes de formation et de renforcement de capacités : tel est l'apport d'Expertise France. Nous allons beaucoup travailler sur le sujet de la formation, notamment via notre campus de Marseille et en mobilisant le budget de formation de l'AFD. L'idée est de former ensemble nos salariés, nos clients, nos partenaires et tous ceux, y compris au sein de l'État, qui veulent constituer une filière des métiers du développement.

Nous souhaitons renforcer notre capacité à mobiliser d'autres acteurs, notamment des organisations internationales qui voudrait collaborer avec nous. Notre déménagement à la gare d'Austerlitz, probablement en 2026, pourrait être l'occasion de les accueillir. Par ailleurs, je veux vous rassurer : cet investissement immobilier est une façon d'optimiser considérablement nos coûts de gestion, et c'est un très bon investissement patrimonial.

Dernier point : la communication sur la politique de développement doit être beaucoup plus importante, et l'AFD pourrait y contribuer en apportant les preuves concrètes du caractère positif de l'engagement de la France. Il faudrait ainsi viser les jeunes de 15 à 25 ans, à un moment où la diffusion de messages anti-français et l'inquiétude de nos concitoyens face aux dérèglements internationaux, géopolitiques et climatiques augmentent fortement. Nous pourrions travailler à cette fin avec le monde du volontariat, davantage encore avec la société civile, avec les collectivités locales, avec les parlementaires.

Tels sont les axes possibles du mandat que je sollicite pour les trois prochaines années. Je crois disposer d'une expérience et d'amitiés partout dans le monde qui me permettront de servir utilement la politique de développement et d'achever cette grande transformation de l'AFD, pour donner à la France un outil puissant, agile et efficace.

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