Intervention de Rémy Rioux

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 21 septembre 2022 à 10h30
Audition de M. Rémy Rioux candidat proposé par le président de la république aux fonctions de directeur général de l'agence française de développement

Rémy Rioux, candidat aux fonctions de directeur général de l'Agence française de développement :

Vous l'avez dit, les institutions de développement sont prises depuis 2015 dans une très forte tension, liées à la volonté d'allouer le maximum de ressources pour financer ce que personne ne finance, aller dans les territoires les plus reculés et auprès des populations les plus défavorisées, et lutter contre la pauvreté. N'ayez aucun doute sur le fait que c'est bien la volonté de cette agence. Nous sommes heureux d'être revenus dans le Sahel, dont nous avions disparu trop longtemps, faute de moyens en subventions : dans ces territoires ou dans les domaines sociaux, il faut des dons, évidemment, et il en faut plus ! Pour autant, parmi les objectifs de la politique de développement fixés par la loi, figure la mission consistant à mobiliser le maximum d'acteurs pour lutter contre le changement climatique. Les deux missions sont liées, d'ailleurs, d'autant que nous devons aussi, en toute occasion, veiller au respect des droits humains. La difficulté du travail de l'AFD est d'arriver à concilier ces trois objectifs. Elle a besoin pour cela d'une clarification politique, apportée par vos travaux et par le contrat d'objectifs et de moyens.

Il faut plus de dons, je le répète, et nous sommes désormais en mesure de gérer des volumes significatifs, y compris dans des situations très difficiles, et par de la coopération décentralisée. Au Mali, nous avons interrompu les financements en lien avec le gouvernement, mais nous cherchons à maintenir des actions auprès de la société civile, des collectivités locales, de la population malienne, tout en garantissant la sécurité de nos agents. Cette coopération décentralisée atteint à présent 13 millions d'euros, en lien avec le ministère. Nous cherchons des projets à financer.

Le développement durable, nous ne pouvons pas le faire tous seuls ! Nos 12 milliards d'euros ne suffiraient pas. Nous essayons donc d'unir nos efforts avec ceux d'autres institutions financières publiques et d'autres banques publiques de développement. C'est le sens de l'International Development Finance Club, qui compte déjà 28 membres, y compris parmi les pays émergents, où se jouera la bataille de la transition énergétique, de l'arrêt du charbon, des énergies renouvelables, de la baisse des émissions... Ce club investit quelque 200 milliards de dollars chaque année pour lutter contre le changement climatique. Depuis l'accord de Paris, nous avons dépassé les 1 000 milliards de dollars - à comparer aux 6 milliards d'euros par an de l'AFD ! Quant à Finance en commun, il a pour vocation de rassembler, au-delà de ces 28 membres, toutes les caisses des dépôts du monde pour travailler sur les bonnes méthodologies et orienter leurs investissements, le plus rapidement possible, vers le développement durable. Dans ces enceintes, que j'ai découvertes ces six dernières années, je n'ai jamais rencontré quelqu'un avec qui je n'étais pas d'accord.

À l'AFD, nous voulons faire le plus possible, avec les moyens que vous nous donnez, là où il n'y a personne, et faire le plus possible avec le moins de moyens possible, en démultipliant notre action par l'association avec d'autres institutions financières publiques.

Le 3D, pour moi, c'est le retour de la politique de développement. Quand j'en parlais, en 2016, avec des collègues, certains me disaient qu'il n'y avait que deux D. La politique de développement a pu être considérée comme l'instrument d'autres politiques... La loi le dit désormais clairement : c'est une politique publique dont l'agence est l'opérateur, tout simplement. Cela ne signifie pas qu'elle ne doit pas s'articuler avec les autres politiques publiques, dès lors que ses moyens ont été restaurés et que sa fonction est claire pour tout le monde. Mais elle n'est pas subordonnée à d'autres politiques publiques, elle est un pilier de notre action internationale, à pondérer avec nos autres capacités et visages à l'international.

Dans le Sahel, c'est très important d'avoir le troisième D. On a peut-être cru qu'on allait stabiliser le Sahel et y rétablir la situation rapidement, ou qu'on allait y faire du développement, de façon un peu mécanique. Nous nous sommes prêtés à ce jeu. Le ministre de la défense a bien expliqué les limites de son action et la nécessité de renforcer les moyens du développement. À l'évidence, nous sommes passés à une autre étape, maintenant, qui rend encore plus nécessaire une action de long terme sur les causes sociales, économiques et climatiques de ces crises. Je le dis avec le plus de modestie possible, l'AFD est de retour dans le Sahel, où elle fait beaucoup de choses, avec beaucoup de partenaires, mais dans une situation très dégradée. Mais le développement, non plus que le militaire, n'est pas la seule solution.

Nous avons beaucoup augmenté nos financements dans les pays les moins avancés : ils ont crû de près de 80 % dans les pays prioritaires de l'aide française depuis 2016. Je voudrais faire plus, mais la tendance est positive.

Vos questions portaient aussi sur des pays plus avancés, comme l'Ukraine. À ce jour, l'AFD n'a pas de mandat en Ukraine. Nous y sommes intervenus en urgence il y a quelques semaines pour faire un premier prêt de soutien budgétaire à des activités civiles, sur les services de base, pour un montant de 300 millions d'euros. Nous serons peut-être appelés de le faire de nouveau. Expertise France y mène quelques actions, notamment sur la question des crimes de guerre et du renforcement de la justice. Proparco y avait quelques investissements, mais l'ensemble ne suffit pas à constituer un mandat ukrainien. Mais la question se pose, puisque nous agissons désormais en Moldavie, en Géorgie, dans le Caucase, dans les Balkans... La somme de ces interventions est-elle constitutive d'une stratégie autour de l'Union européenne, ou autour de la Russie ? Que signifie pour le troisième D la très grande fracture géopolitique qui s'est ouverte ? Dans ces pays, en tous cas, nous opérons surtout par des prêts, puisqu'ils sont relativement riches.

Quelles seront les conséquences de la crise ukrainienne sur les pays pauvres ? Nous sommes tous très inquiets sur les questions de sécurité alimentaire. Le Président de la République a annoncé hier que la France financerait l'exportation de céréales vers la Somalie, où la crise est très aiguë. Cela nous renvoie à la question des engrais, et à celle de la constitution de chaînes de valeurs plus courtes, avec un développement endogène, plutôt qu'une mondialisation qui, à l'évidence, doit être revue. Nous souhaitons être un instrument de cette redéfinition de façon très concrète, avec les entreprises françaises, qui sont souvent très adaptées à ces marchés, comme l'a dit le sénateur Cadic.

Vous avez posé la question des autres pays émergents avec lesquels les relations bilatérales sont complexes ou difficiles, comme la Turquie, le Brésil ou la Chine. En Turquie et au Brésil, l'essentiel de ce que fait l'AFD ne passe pas par le gouvernement central. En Turquie, par exemple, 75 % de nos financements transitent par les municipalités, le secteur privé, les banques publiques, ou d'autres acteurs. Au fond, cela relève d'un choix politique : il appartient aux autorités politiques de décider si l'AFD a un mandat en Ukraine, en Turquie, en Chine, ou non. Nous ne sommes qu'un instrument, qui permet à notre pays de tisser des liens, de repérer, d'accompagner des acteurs de façon assez profonde, au-delà des relations d'État à État. Au Brésil, depuis l'élection du président Bolsonaro, l'AFD fait beaucoup de financement, et même plus qu'avant, mais elle le fait avec les États fédérés, qui sont souvent d'un autre bord politique. Notre rôle contracyclique peut donc être complémentaire de celui de nos ambassades.

En Chine, le mandat fixé par le gouvernement est rediscuté périodiquement. Il l'a été il y a deux ans au conseil d'administration de l'AFD, et c'est un mandat très clair, correspondant au deuxième objectif de la loi, relatif aux biens publics mondiaux : nous sommes en Chine exclusivement pour des actions relatives au climat et à la biodiversité. Nous y avons des projets concrets, souvent avec des PME françaises, qui y développent des innovations qu'elles aimeraient ramener en France. Les financements concernés ne coûtent rien au contribuable français, puisqu'ils sont levés sur les marchés. Je me rappelle d'ailleurs avoir eu des propos maladroits à ce sujet...

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