Intervention de Gérald Darmanin

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 septembre 2022 à 16h00
Projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur et sur l'état et les moyens de la sécurité civile — Audition de M. Gérald daRmanin ministre de l'intérieur et des outre-mer

Gérald Darmanin, de l'intérieur et des outre-mer :

Je vous remercie pour votre invitation. Je voudrais d'abord excuser Jean-François Carenco, qui a dû se rendre en urgence en Guadeloupe pour les raisons que vous connaissez. Vous aurez certainement l'occasion de l'entendre prochainement sur la Nouvelle-Calédonie.

La loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur est une loi très importante qui tombe à point nommé, en début de mandat. Ce ministère a connu des lois d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, mais jamais un texte comme celui-ci, qui nous donne une visibilité sur cinq ans sur l'ensemble des missions traditionnelles du ministère de l'intérieur. Ce ministère dispose d'ailleurs désormais un périmètre inédit : sécurité, outre-mer, Corse, cyberespace, Grand Paris, bref, toutes les difficultés que notre pays peut connaître. Si, de par l'actualité, nous nous concentrons sur des problématiques à quelques jours, à quelques semaines voire à quelques mois, nous avons besoin aussi de prévisibilité à 5 ans. À cet égard, les 15 milliards d'euros prévus dans le projet de loi vont permettre une transformation profonde du ministère de l'intérieur. La moitié de cette somme ira au cyber et au numérique : la marche technologique que fait le ministre de l'intérieur sera, je l'espère, et toutes proportions gardées, semblable à ce que le ministère des armées a connu à la fin de la conscription et au début de l'armée de métier.

À ce stade, je tiens à rappeler qu'il y avait dans le premier texte déposé au Conseil des ministres des dispositions plus nombreuses sur le statut de l'image, souhaitées par la Cnil et par le Conseil d'État, pour adapter notre droit au développement de la vidéoprotection et à l'intelligence artificielle. Nous avons jugé plus sage de retirer ces mesures au profit d'un texte plus complet à venir, notamment pour tenir compte de travaux menés tant au Sénat que ceux à venir à l'Assemblée nationale. C'est un sujet fondamental à mes yeux dans la perspective de la Coupe du monde de rugby en 2023 et des jeux Olympiques en 2024.

Le premier article renvoie à un rapport annexé très dense, qui présente en détail l'ambition de cette loi. Il retient trois axes de transformation pour le ministère de l'intérieur.

Tout d'abord, pour faire suite aux discours du Président de la République à Roubaix et à Saint-Denis, nous proposons le doublement de la présence en voie publique des policiers et des gendarmes. Depuis les attentats de 2015, nos forces de sécurité se sont concentrées, avec succès, sur les interventions. Je rappelle que 39 attentats ont été déjoués depuis 5 ans. Par ailleurs, sur les 10 milliards d'euros alloués lors du quinquennat précédent à la sécurité intérieure et sur les 10 000 créations de postes, 40 % ont bénéficié à la DGSI et aux renseignements territoriaux. Cette stratégie a fonctionné, mais, en parallèle, on a pu constater une augmentation de la délinquance du quotidien à cause d'un manque de présence sur la voie publique. Il s'agit donc de poursuivre notre politique, entamée sous le quinquennat précédent, de recréation d'effectifs de sécurité publique. On a aussi constaté que l'augmentation des violences se fait davantage en zone gendarmerie qu'en zone police, ce qui ne paraît pas intuitif. Je pense au monde agricole, qui subit aujourd'hui beaucoup d'actes de délinquance. Aussi, un effort particulier sera fait au profit de la gendarmerie nationale, avec la création de 200 brigades supplémentaires, quand 500 d'entre elles avaient été supprimées depuis 20 ans. Je lancerai d'ailleurs la consultation pour la création de ces brigades la semaine prochaine dans le département du Cher. La nouvelle carte des gendarmeries sera proposée en février 2023. Nous proposons également la recréation de 11 unités de forces mobiles : 7 escadrons de gendarmerie mobile et 4 unités de CRS, plus les 7 qui sont à la préfecture de police et qui font aujourd'hui du gardiennage de bâtiments. Cela fait donc 18 unités de forces mobiles prêtes, notamment, pour les jeux Olympiques, puisque nous créerons l'intégralité de ces effectifs dans les deux premières années budgétaires.

Sont aussi prévues des réformes structurelles au sein du ministère de l'intérieur, avec la fin des cycles horaires et du vendredi fort, ainsi que des réformes de procédure pénale, qui nous permettront de mettre plus de monde sur le terrain. En résumé, le doublement de la présence en voie publique sera atteint si nous pouvons mener à bien toutes les réformes, dont la réforme de la police nationale.

La deuxième grande ligne directrice de la loi de programmation, c'est la transformation numérique et cyber du ministère de l'intérieur. Désormais, il n'y a quasiment plus de frontière entre le monde réel et le monde numérique dans la délinquance. La quasi-intégralité la délinquance, y compris de voie publique, se fait en grande partie désormais sur ou grâce à internet : vente de drogue, vente d'armes, escroqueries, violences sexuelles. Il faut que la voiture numérique ou technologique du policier ou du gendarme aille aussi vite que la voiture technologique des voleurs ou des délinquants. Nous avons commencé avec Pharos, qui compte désormais 54 enquêteurs et qui, 24 heures sur 24, lutte contre les mots de haine et les appels au meurtre sur les réseaux sociaux. Cette police du cyber ne sera pas une direction à part entière ; chaque direction doit avoir un bras dans le cyber et un bras dans le réel. Sur les 15 milliards d'euros, un peu plus de 7 milliards d'euros sont consacrés à cette transformation numérique, avec notamment la création d'une agence unique du numérique au ministère de l'intérieur. D'autres transformations seront nécessaires. Par exemple, nous proposons qu'il soit possible de saisir des actifs numériques comme des actifs physiques et les agents d'investigation connaîtront des formations poussées.

Nous allons également créer un réseau radio du futur, avec un budget de 2 milliards d'euros. Nous avons constaté que les réseaux radio de chacune des forces de sécurité étaient anciens et fonctionnaient mal. Il y aura à l'avenir un seul réseau radio pour tout l'appareil sécuritaire d'État, à la fois pour le son et l'image, chaque agent disposant d'un terminal unique. Ce sont des industriels français qui ont gagné l'appel d'offres et nous espérons pouvoir exporter notre savoir-faire après les jeux Olympiques.

Le troisième sujet, c'est évidemment une meilleure organisation du ministère de l'intérieur dans sa gestion des crises, notamment en sécurité civile, avec le renouvellement de nos hélicoptères - je pense aux 35 hélicoptères de la sécurité civile -, et l'augmentation des moyens donnés aux préfets en phase de gestion de crise pour bien identifier les responsabilités.

Permettez-moi de souligner les efforts que nous souhaitons faire pour l'investigation. Il y a de plus en plus d'interpellations, notamment de trafiquants de drogue, et un effort s'est porté sur les violences conjugales, de mieux en mieux prises en compte. Une fois les délinquants interpellés, il faut faire des enquêtes, donc nous avons besoin de plus en plus d'enquêteurs. Avant, les gardiens de la paix devaient attendre 3 ans avant de pouvoir passer le concours d'officier de police judiciaire (OPJ). Compte tenu de l'allongement de la formation initiale des gardiens de la paix de 8 à 12 mois, nous avons jugé que ce délai de 3 ans n'était plus nécessaire. Cela devrait contribuer à augmenter les effectifs des services d'investigation.

J'en viens à la sécurité civile. Depuis 1976, nous n'avions pas connu un tel épisode de déforestation par incendie. Heureusement, si j'ose dire, nous n'avons à déplorer aucune victime. Il y a eu assez peu de destructions d'habitations et pas de pillages signalés à la suite des évacuations.

Cependant, des conséquences sont à tirer. Le réchauffement climatique aggrave la propagation des feux, c'est indéniable, mais 9 feux sur 10 sont d'origine humaine, volontairement ou pas. Il faut aussi souligner que nombre de forêts sont mal entretenues.

Nous devons changer notre modèle de sécurité civile, sachant qu'il y a eu pratiquement autant d'incendies au nord de la Loire qu'au sud. J'entends bien, nous avons besoin d'avions, mais ceux-ci sont de peu d'utilité une fois que l'incendie s'est propagé. Certains départements, comme le Finistère ou le Jura, peu habitués à ces phénomènes, sont assez mal équipés, tout comme les départements pauvres. Il faut donc travailler sur le financement des SDIS, au besoin en imaginant une péréquation, ainsi que sur le statut des pompiers bénévoles et sur leurs relations avec leurs employeurs. Pourquoi ne pas imaginer une obligation pour les employeurs privés ou publics de libérer les pompiers volontaires en cas de sinistre important ?

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