Monsieur Daubresse, je vous confirme qu'il est de notre devoir de mettre en place des dispositions relatives au statut de l'image. La Cnil et le Conseil d'État nous ont enjoint de fondre les statuts existants dans un seul et même statut pour faire en sorte que les caméras de vidéoprotection de nos communes soient conformes aux prescriptions du règlement général sur la protection des données (RGPD).
Par ailleurs, il s'agit également de répondre au dossier de candidature de Paris en termes de traitement des images par intelligence artificielle.
Comme vous, je suis opposé à la reconnaissance faciale. Il faut écrire dans le droit français ce que l'on veut faire avec l'image de demain. Nous pouvons trouver un compromis, même s'il est toujours difficile d'y parvenir quand il s'agit de concilier liberté et sécurité.
Je voudrais rappeler à l'attention de la commission des lois que nous avons discuté de la question des drones pendant un an et demi pour arriver à une solution quelque peu étonnante : le ministre de l'intérieur peut ainsi faire voler des drones en renseignement, mais pas en judiciaire ! Il me semblait que l'autorité judiciaire était plus protectrice des libertés. Or, dans leur sagesse, le Parlement et le Conseil constitutionnel ont préféré laisser toute latitude au préfet pour protéger les libertés. On rentre parfois dans certains débats sans savoir quelle en sera l'issue... Le décret va bientôt sortir et je ne manquerai pas de le faire parvenir aux rapporteurs, notamment à M. Hervé. La question du statut de l'image va certainement nous réserver encore des discussions étonnantes...
Le Livre blanc, que mon prédécesseur avait commandé, consacre d'importants développements à la répartition des zones police et gendarmerie. Ce sujet est débattu depuis cinquante ans : tout le monde croit que l'herbe est plus verte ailleurs et ceux qui ont des gendarmes veulent des policiers et inversement. Or les gendarmes vivent souvent dans leur caserne et les policiers ne vivent pas dans leur commissariat, tout changement implique de nombreuses transformations et des coûts supplémentaires. Je ne crois pas que ces questions méritent l'énergie qu'on y dépense à deux ans des jeux Olympiques de Paris. Il peut y avoir des exceptions ici ou là, notamment en outre-mer, mais je n'ai encore accepté aucune transformation.
Je n'ai d'ailleurs pas besoin d'une disposition législative pour le grand soir des zones police et gendarmerie. Le code général des collectivités territoriales et le code de la sécurité intérieure posent un simple taquet de 30 000 habitants. Pour le reste, nous pouvons procéder aux changements sans consulter le Parlement.
Je me dois de souligner qu'aucune disposition légale n'interdit aux gendarmes d'aller en zone police et inversement. En fait, ces zones n'existent pas vraiment. Ainsi, 80 % des escadrons de gendarmerie mobile interviennent en zone police. De même, pour les événements sportifs à venir, Coupe du monde et Jeux Olympiques, il sera possible, par exemple, de demander aux gendarmes du Calvados de s'occuper temporairement du commissariat de Lisieux pendant que les agents de police nationale seront en Seine-Saint-Denis pour aider leurs camarades. Je n'ai pas besoin d'une loi pour ce faire.
L'exemple de Toulouse et de sa conurbation, dont la population augmente chaque année de 10 000 habitants est parlant. Les transports y sont coupés entre zone police et zone gendarmerie. Les policiers sont parfois obligés de descendre du tram ou du bus pour laisser les gendarmes prendre la suite, ce qui est absurde. Les gendarmes et policiers ont un droit de suite sur le territoire national. Plutôt que de penser en termes de territoires, je préfère raisonner en zone de délinquance. Il faut parfois faire des réunions pour savoir qui de la police ou de la gendarmerie est compétente pour faire des contrôles sur tel ou tel échangeur d'autoroute ! Je vais changer les choses en donnant des axes aux policiers et gendarmes plutôt que des territoires. La question de la transformation et de la mutualisation des forces de police et de gendarmerie me tient à coeur, mais je tire des conclusions différentes de celles des auteurs du Livre blanc.
En ce qui concerne le traitement des données et la jurisprudence européenne, ce domaine relève de la seule compétence du garde des sceaux. En résumé, les procureurs de la République ne pourront plus utiliser certaines données téléphoniques, dont les fameuses « fadettes ». Seul le juge pourra les obtenir, ce qui inquiète beaucoup les services enquêteurs et les procureurs. Je crois savoir que le garde des sceaux travaille sur cette question dans le cadre d'un projet de loi, que j'attends avec impatience. Les écoutes téléphoniques ont déjà un rendement décroissant dans la mesure où la plupart des gens utilisent des applications de messagerie instantanée et que le Parlement n'autorise les services enquêteurs à utiliser les moyens technologiques adéquats pour surveiller téléphones et données numériques que dans le seul cadre de la lutte antiterroriste. Si je pouvais utiliser ces moyens pour combattre la grande criminalité ou les trafics de stupéfiants, je pense qu'il y aurait beaucoup moins d'homicides à Marseille. Et si l'on ne peut plus utiliser les données de localisation ou d'appel, les choses vont encore se compliquer... Il appartiendra à M. le garde des sceaux de trouver les voies et moyens pour permettre aux services enquêteurs et aux procureurs de continuer à travailler sans alourdir la procédure malgré la décision européenne qui s'impose à nous.
Nous voulons sanctionner toute condamnation à moins d'un an de prison par une amende forfaitaire délictuelle, ou AFD, toujours sous l'autorité du procureur de la République. La première AFD que je vous ai proposée visait les consommateurs de stupéfiants. Elle a prouvé son efficacité : 225 000 amendes ont été dressées depuis septembre 2020 et les sanctions pour consommation de drogue ont augmenté de 30 %. Les AFD permettent aux services de police et de gendarmerie d'inscrire au traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) une amende pénale qui sera recouvrée automatiquement sur les comptes en banque des impétrants. L'AFD est ainsi mieux recouvrée que les amendes routières.
Nous voulons généraliser l'AFD à l'ensemble des petits délits - insultes, dégradations de l'espace public... - pour lutter contre le sentiment d'impunité. Mieux vaut simplifier certaines procédures pénales pour qu'il y ait une sanction financière et une inscription au casier judiciaire. En cas de récidive, une sanction pénale plus lourde trouvera à s'appliquer.
Le Conseil d'État a toutefois souhaité disjoindre cette disposition du projet de loi que nous présentons. J'ai préféré la maintenir pour permettre au Parlement de comprendre la volonté de l'exécutif. Si les rapporteurs trouvent une écriture juridique efficace, comme cela arrive souvent au Sénat, le Gouvernement sera très ouvert à porter cette disposition.
Monsieur Hervé, le ministère de la justice opère une distinction d'emploi entre le spécialiste du droit qu'est le juge d'instruction et le spécialiste du formalisme qu'est le greffier. Policiers et gendarmes ne disposent pas d'une telle distinction et une partie des procédures tombent en raison d'un défaut de forme. C'est que policiers et gendarmes font tout : accueil du gardé à vue, appel de l'avocat ou du médecin, fourniture des repas, photocopies... Ils perdent énormément de temps pour assurer le formalisme des procédures, alors que ce n'est pas essentiel au travail d'enquêteur. C'est la raison pour laquelle la création des assistants d'enquête, issus du personnel administratif du ministère de l'intérieur, nous semble particulièrement importante. Nous sommes tout à fait prêts, monsieur le rapporteur, à travailler à une meilleure définition de leur rôle. En ce qui concerne la police, les assistants d'enquête viendront des personnels administratifs, techniques et scientifiques ; pour la gendarmerie, il s'agira soit de personnel des corps de soutien militaire, soit de personnel civil. Selon nos estimations, la création d'un assistant d'enquête permettra de libérer 0,5 équivalent temps plein d'officier de police judiciaire.
Monsieur Bonnecarrère, on m'a reproché hier, à l'Assemblée nationale, de ne pas avoir mis plus de dispositions judiciaires dans ce texte. Nous avons décidé, en accord avec M. le garde des sceaux, que tout ce qui relevait d'une procédure pénale simplifiée, à hauteur des policiers et des gendarmes, méritait de figurer dans ce projet de loi. Le Président de la République a demandé à ce que certaines des simplifications issues du Beauvau de la sécurité soient mises en application, dont la fusion des cadres d'enquête préliminaire et de flagrance, qui sera portée par le garde des sceaux.
Le projet de loi que je présente ne propose pas de sanctions pénales alourdies et ne modifie donc aucunement le code pénal. Les entrées vers la procédure judiciaire concernent seulement le travail quotidien des policiers et gendarmes, qui agissent sous l'autorité du procureur de la République ou d'un autre magistrat.
Je veux effectivement transformer le ministère de l'intérieur, en retard par rapport à la délinquance en matière de technologie. M. Daubresse a pu évoquer un « Clemenceau 2.0 » et il a raison : nous allons créer les « brigades du Tigre numériques ».
Il s'agit également d'améliorer notre lien avec la population. Je souhaite que les policiers passent le moins de temps possible dans les commissariats. Ce texte comporte une disposition révolutionnaire qui vise à permettre le dépôt de plainte numérique par visioconférence. Voilà cinq ans, quand j'ai pris la tête du ministère des comptes publics, on m'a beaucoup dit qu'il n'était pas possible de mettre en place le prélèvement à la source. Je suis très fier de constater aujourd'hui qu'il s'agit de la réforme la plus appréciée du premier quinquennat d'Emmanuel Macron. On a changé la vie des agents des finances publiques et notre façon de vivre l'impôt. Cette transformation numérique est extrêmement importante.
De même, je souhaite dématérialiser permis de conduire et cartes grises pour lutter contre les usurpations d'identité et les fraudes aux véhicules. Personne ne sait précisément combien de points il lui reste sur son permis et le policier qui vous contrôle l'ignore également. On pourrait imaginer un permis ou une carte grise numériques sous forme de QR code, par exemple.
J'ai lu le rapport de la Cour des comptes, mais je ne partage pas ses conclusions sur l'opération Sentinelle. Les militaires engagés dans ce cadre participent à la sécurisation de notre pays. Si nous décidons que ces militaires ne doivent plus aider les policiers et les gendarmes, il faut alors créer de nouveaux postes à due concurrence. Depuis deux ans, nous réalisons chaque année 10 000 non-admissions d'étrangers en situation irrégulière aux frontières espagnoles et italiennes contre 3 000 en 2019. Ce résultat est en grande partie dû au fait que les militaires impliqués sont capables d'observer en altitude les mouvements des passeurs avec des moyens technologiques qu'eux seuls possèdent. Le Président de la République a évoqué, au cours de la campagne, la création d'une Border force à l'australienne : policiers, gendarmes, douaniers et militaires pourraient, en fonction de leur spécialisation, travailler ensemble pour tenir nos frontières. Nous aurons sûrement l'occasion de reparler de cette question pour répondre aux demandes de la Cour des comptes et du ministère des armées, qui souhaite récupérer une partie de ses effectifs.
Beaucoup de questions ont été posées sur la sécurité civile. Notre disponibilité aérienne n'a pas son pareil en Europe. Pour autant, la situation est-elle satisfaisante ? Assurément non. Nous disposons aujourd'hui de douze Canadair CL 415, de sept Dash 8 et de trois Beech-craft. Notre flotte d'hélicoptères sera intégralement renouvelée dans le cadre de la Lopmi. Or le problème n'est pas d'acheter des Canadair, mais de les produire. Les Canadair que nous avons commandés ne seront pas livrés avant 2027, car il faut d'abord construire l'usine qui les produira. Par ailleurs, nous envisageons de mutualiser ces trente-cinq hélicoptères avec la gendarmerie nationale hors des périodes de risque d'incendie.
Nous souhaitons porter de douze à seize le nombre de Canadair de notre propre flotte. Mme Cayeux était à Bruxelles, la semaine dernière, à ma demande, pour évoquer avec la Commission européenne la création d'une flotte européenne souhaitée par la Président de la République.
On a dénombré trente blessés à la suite de ces feux et deux pompiers sont décédés : je voudrais saluer leur courage et avoir une pensée pour leurs familles.
En ce qui concerne le numéro d'urgence, les décrets et arrêtés sont en train d'être rédigés. J'aurai l'occasion de les présenter samedi prochain, lors du congrès des sapeurs-pompiers volontaires. L'expérimentation ne dépend pas du seul ministère de l'intérieur, ce qui serait trop simple. D'autres ministères et régions sont impliqués.
J'entends parfois des présidents de SDIS réclamer davantage de moyens pour les pompiers. Or la décentralisation ne consiste pas à demander à l'État des moyens supplémentaires une fois les compétences transférées. La taxe sur les assurances a été créée pour financer les SDIS, mais elle est versée aux départements qui n'en reversent pas l'intégralité aux SDIS... Ne devrait-on pas verser directement le produit de cette taxe aux SDIS, quitte à créer une catégorie de collectivité particulière ? Faudrait-il plutôt assurer une sorte de miroir automatique pour que l'intégralité de ce produit aille aux SDIS ? La recette de cette taxe est-elle assez dynamique ?
En Gironde, moins de 10 % des pompiers locaux ont été mobilisés pendant les trois premiers jours de l'incendie. Il nous a fallu demander à des pompiers d'autres régions de venir en soutien. Sans doute y a-t-il des raisons compréhensibles à cette situation, mais cela montre bien que ce n'est pas toujours une question de moyens, mais aussi de disponibilité. L'argent ne fait alors rien à l'affaire.
Le grand avantage de la sécurité civile française repose sur la disponibilité des appareils. Les Canadair et les Dash ont besoin de beaucoup de maintenance pour pouvoir voler dans des conditions de forte pression. Cet été, les avions ont pu voler chaque jour, parce qu'ils étaient réparés la nuit. Cette logistique demande des techniciens spécialisés et du matériel de pointe. Et c'est parce que nous disposons d'une quinzaine d'appareils que nous y parvenons. Avec trente avions, nous pourrions imaginer avoir deux bases, mais ce n'est pas encore le cas. Aujourd'hui, il peut nous arriver de prédisposer des avions, notamment en Corse, en fonction des zones de risque.
Madame Benbassa, nous allons « démétropoliser » 1 500 emplois du ministère de l'intérieur en trois ans. Une vingtaine de villes seront concernées : Pharos ira à Lens, l'IGPN au Havre, le standard du ministère de l'intérieur à Limoges... J'avais déjà « démétropolisé » 4 000 emplois à Bercy pour assurer un meilleur cadre de vie aux fonctionnaires, pour mettre de l'emploi public dans des villes moyennes et pour permettre au ministère de réaliser des économies en louant ou en achetant des biens immobiliers à un coût moins élevé qu'à Paris. Tout est réalisé en totale concertation sociale et syndicale et sans aucune obligation pour les agents.