rapporteur. – Un constat est ressorti de nos auditions : le basculement d’un jeune dans la délinquance est multifactoriel, mais l’échec scolaire en constitue souvent un élément important. Lutter contre le décrochage scolaire constitue donc un axe majeur de la prévention de la délinquance des mineurs. Bien évidemment, toutes les mesures visant, en amont, à accompagner les élèves les plus en difficulté dans l’apprentissage des fondamentaux participent à cette prévention du décrochage scolaire. Mais nous avons choisi de concentrer nos travaux sur les actions mises en place pour les élèves décrocheurs, c’est-à-dire pour ceux dont la rupture est en train de se faire ou a déjà eu lieu.
Tout d’abord, on peut constater ces dernières années une forte mobilisation de l’Éducation nationale et des acteurs de l’insertion professionnelle. Un système interministériel de suivi d’échanges et d’informations des décrocheurs scolaires a été créé en 2011. Limitée pendant longtemps à deux campagnes par an, une transmission mensuelle de la liste des décrocheurs scolaires est prévue depuis février 2022 ; mais cet outil reste largement perfectible. Des outils en faveur de la persévérance scolaire ont également été développés, en lien avec les acteurs territoriaux de l’insertion et de la formation professionnelles. Enfin, la loi pour une école de la confiance a instauré une obligation de formation pour les 16-18 ans. Selon les premières estimations, 95 000 jeunes de cette tranche d’âge, sortis de tout système de formation, sont concernés par cette obligation. Malgré ces progrès, force est de constater la nécessité de rendre plus efficiente la lutte contre le décrochage scolaire. Actuellement, quelque 89 000 jeunes quittent chaque année le système scolaire sans diplôme ou au plus le brevet.
Nous constatons un foisonnement d’acteurs dont le rôle de chacun n’est pas forcément connu : structures de retour à l’école (SRE), régions, missions locales, plateformes de suivi et d’appui aux décrocheurs (PSAD), réseaux Formation Qualification Emploi (Foquale), associations, centres de formation des apprentis, points jeunesse… Il existe désormais également une mission de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS) dans chaque académie, mais il n’est pas toujours évident de savoir qui fait quoi.
Par ailleurs, le partage d’informations reste perfectible. Le système de croisement des informations connaît des dysfonctionnements majeurs. L’objectif d’une transmission en temps réel fixé pour 2023 semble difficilement atteignable. Des problèmes d’interopérabilité demeurent entre l’Éducation nationale et les missions locales, chargées du respect de l’obligation de formation des 16-18 ans. Le système ne permet pas de couvrir l’ensemble des situations : les données liées au suivi des apprentis en décrochage restent ainsi à consolider.
Nous avons également constaté un manque de porosité dans la prise en charge des jeunes décrocheurs, voire une approche en silo. À de nombreuses reprises, nos interlocuteurs ont regretté une perception trop binaire par l’Éducation nationale : soit l’élève est scolarisé et relève de la compétence de l’éducation nationale, soit il ne l’est pas et il relève alors des missions locales. Or la situation est plus complexe.
La notion même de décrocheur scolaire, au sens de l’éducation nationale, interroge : le « décrocheur » doit avoir indiqué « démissionner de sa formation par une lettre signée de ses représentants légaux ». Mais dans de nombreux cas, le jeune ne vient plus en cours, sans aucune démarche formelle. Il est donc toujours considéré sous statut scolaire, empêchant une contractualisation avec la mission locale. D’où notre recommandation visant à assurer l’interopérabilité des systèmes d’information de suivi des jeunes décrocheurs, afin de permettre une prise en charge au fil de l’eau et un suivi entre les différents intervenants plus performants.
Enfin, il nous paraît essentiel de mieux prendre en charge le décrochage scolaire avant seize ans. Malgré l’obligation de scolarité jusqu’à cet âge, un certain nombre de jeunes arrête l’école bien avant. Selon les chiffres de l’Insee, 2 % des jeunes de quinze ans sont inactifs. Cela représente près de 15 500 jeunes !
Paradoxalement, l’obligation scolaire rend plus difficile la prise en charge des jeunes de moins de seize ans en rupture avec l’école. Les missions locales ne peuvent pas les accueillir avant cet âge. Quant aux parcours aménagés de formation initiale (Pafi), ils ne sont pas ouverts aux jeunes de moins de quinze ans. Nous recommandons de lever ce blocage.
Il existe des initiatives réussies qui permettent de trouver des moyens alternatifs de remobilisation et d’apprentissage. L’apprentissage par le « faire » permet d’aborder autrement des notions fondamentales et de redonner le goût d’apprendre. L’évaluation de ces dispositifs doit se faire à moyen terme. Il faut leur laisser le temps de faire leurs preuves, face à un public très difficile et en rupture scolaire depuis longtemps.
Enfin, la prévention de la délinquance passe par le déploiement d’actions complémentaires au milieu scolaire. Une prise en compte de tous les temps de l’enfant est nécessaire. Cette action sera d’autant plus efficace qu’elle s’appuiera sur un travail partenarial avec tous les acteurs de terrain. Nous avons eu un exemple intéressant de cette collaboration avec l’école des Quinze, une école de rugby de la deuxième chance qui travaille en partenariat avec les établissements scolaires qui présélectionnent des enfants en fragilité scolaire. Ces derniers sont alors accompagnés par l’association douze heures par semaine, associant temps scolaire, social et sportif. Les élèves concernés sont regroupés dans une même classe pour disposer d’un emploi du temps permettant une prise en charge en fin d’après-midi par l’association. Les responsables de l’association participent aux conseils de classe.
Depuis le 1er janvier 2022, les services de la jeunesse et des sports sont rattachés aux services académiques. Un regard commun sur les temps de l’enfant doit désormais émerger. Nous avons eu aussi l’occasion de rencontrer les acteurs de la cité éducative du Grand Parc à Bordeaux, qui répond à cet objectif de prise en compte globale des temps de l’enfant. L’une des clés du succès d’une cité éducative est la coconstruction avec les acteurs du territoire. Pour cela, des moyens et du temps pour se connaître et élaborer ensemble un projet sont nécessaires.