rapporteure. – Le temps du placement judiciaire doit être un temps d’apprentissage. Les témoignages convergent sur le fait qu’une proportion très importante de jeunes suivis par la PJJ sont déscolarisés ou en échec scolaire. Les acteurs de terrain ont exprimé la nécessité de profiter d’un passage en centre éducatif fermé (CEF) ou en détention « pour remettre le pied à l’étrier » par la formation et l’insertion professionnelles.
L’État a, envers le mineur détenu, les mêmes devoirs qu’envers les autres élèves : il est tenu de lui proposer jusqu’à ses dix-huit ans une formation.
En milieu carcéral pour mineurs, les apprentissages se font par groupe de quatre à sept mineurs. Ils sont pris en charge, selon les activités, par un enseignant de l’éducation nationale ou un éducateur de la PJJ. Ces groupes devraient en théorie prendre en compte le profil des élèves, leur parcours scolaire, la durée prévisible de détention. Dans les faits, c’est surtout la capacité des jeunes d’un même groupe à vivre ensemble qui prime.
Nous avons rencontré, notamment en prison, des équipes d’enseignants et d’éducateurs extrêmement mobilisées, dont le travail doit être salué. Certaines portent des projets particulièrement innovants, qui se heurtent parfois à des logiques institutionnelles en décalage avec les besoins.
Un certain nombre de freins aux apprentissages doivent être levés. Les textes fixent un objectif de 12 heures de cours pour les jeunes en quartier pour mineurs et 20 heures pour les jeunes en établissement pour mineurs : or rien ne justifie une telle différence. Surtout, l’organisation des enseignements reste trop souvent calée sur le calendrier de l’éducation nationale, avec une suspension des cours pendant les vacances scolaires. À la maison d’arrêt de Nanterre, la durée médiane de détention est d’environ cinq mois : si la détention du jeune inclut la période estivale, c’est 40 % de son temps d’enseignement potentiel qui se retrouve amputé. Une adaptation du service public de l’enseignement scolaire doit être trouvée pour tenir compte de la situation de ces élèves.
En outre, tout personnel de l’Éducation nationale intervenant en détention doit a minima suivre une formation d’adaptation à l’emploi, avant sa prise de fonction. Celle-ci comporte une découverte et une acculturation au milieu pénitentiaire. Il ne peut être fait l’économie de cette formation obligatoire pour tout enseignant, y compris vacataire, tant l’organisation des enseignements et le profil des élèves sont spécifiques en milieu carcéral.
Enfin, la sortie de détention est un moment sensible : une sortie sèche peut faciliter la récidive. Il n’est pas rare que le domicile du jeune soit éloigné de son lieu de placement. Les actions de préparation de sortie et de réinsertion, en lien avec les acteurs du territoire se trouvent ainsi mises à mal ; de même, pour le passage des examens ou diplômes. Dès lors, il est regrettable que cette dimension soit parfois oubliée. Si la période d’emprisonnement doit être la plus courte possible, l’intérêt du mineur peut nécessiter d’aménager sa sortie de détention pour lui permettre de passer les épreuves d’un examen ou de préparer au mieux sa sortie.
La prise en charge des mineurs délinquants incombe à titre principal à la PJJ. Les presque 30 000 mesures éducatives décidées en matière pénale par les juges et mises en œuvre chaque année par la PJJ sont le cœur de son activité et la première forme de prise en charge de la délinquance. S’il est trop tôt pour évaluer l’impact de l’importante rationalisation des mesures à laquelle a procédé le code de la justice pénale des mineurs, nous avons pu constater la permanence des difficultés anciennes et peut-être structurelles qui entravent l’action de la PJJ.
La première difficulté réside dans le manque d’éducateurs spécialisés et parfois de moyens dédiés que connaissent certains territoires, comme l’Île-de-France – particulièrement la Seine-Saint-Denis – et les outre-mer. Ils conduisent à des délais de mise en œuvre des mesures, parfois de plusieurs mois, surtout quand il s’agit de stages, qui peuvent donner le sentiment d’une réponse pénale insuffisante et conduire à une dégradation de la situation des mineurs.
Comme l’ont noté déjà les rapports du Sénat, la focalisation sur les CEF est excessive. Comme pour les adultes, ce n’est pas en multipliant les places de prison que l’on résout la question de la délinquance. Ces centres peuvent incontestablement être efficaces pour permettre une prise en charge renforcée hors cadre pénitentiaire, mais ils nécessitent une conjonction de facteurs de réussite – équipe, équipement, articulation avec le milieu ouvert – qui s’avère difficile à réunir.
Une attention plus grande doit être portée aux autres solutions proposées par la PJJ, plus limitées, mais parfois plus efficaces et territorialisées. La mise en place d’une méthodologie d’évaluation des résultats nous semble indispensable. Il ne s’agit pas du tout de standardiser des procédures, car nous savons que la difficulté de prise en charge de jeunes au parcours déjà complexe impose de faire de la « dentelle » pour connaître véritablement l’impact sur la récidive et l’insertion. Cette évaluation, dont les critères devront être définis avec les acteurs concernés, pourrait conduire à la réorientation des moyens prévus pour la création de nouveaux CEF vers les nombreux dispositifs existants plus pertinents.
Enfin, malgré la qualité de son action, la PJJ souffre encore parfois de l’absence de prise en compte des solutions qu’elle propose par les magistrats et l’Éducation nationale – nous avons pu le constater lors de notre déplacement à Avignon. Il convient donc d’améliorer l’information et de mettre en place des labellisations communes PJJ–Éducation nationale pour faciliter et pérenniser le travail de la PJJ. Il faut une approche interdisciplinaire globale pour mettre tout le monde autour de la table. Nous retrouvons là le cœur de nos constats, il vaut mieux coordonner les acteurs au niveau territorial et mieux évaluer les dispositifs mis en place pour mieux prendre en charge les mineurs délinquants.
D’où six recommandations : mettre en place un programme d’évaluation des différentes mesures éducatives dont les CEF ; réorienter les moyens destinés à la création de nouveaux CEF vers le financement de la mise en œuvre des mesures existantes ; attribuer une labellisation par l’Éducation nationale pour une durée minimale de deux ans à toutes les structures éducatives mises en place par la PJJ dans le cadre d’un dialogue avec le rectorat ; renforcer les partenariats entre la PJJ et l’Éducation nationale ; aligner le nombre d’heures d’enseignement des détenus en quartier pour mineurs sur celui des établissements pour mineurs et assurer une continuité des enseignements y compris pendant les vacances scolaires ; mieux prendre en compte les conséquences de la libération du mineur délinquant sur son insertion, du fait de la rupture des activités d’insertion.
M. Lucien Stanzione. – Je tiens à féliciter les rapporteurs pour cet excellent travail. Notre groupe est très favorable à la labellisation par l’Éducation nationale pour une durée de deux ans au moins, dans un souci de pérennisation.
Les partenariats entre la PJJ et l’Éducation nationale doivent également être renforcés. Dans le Vaucluse, un projet d’école numérique des apprentissages a vu le jour à l’initiative de la PJJ. Les rapporteurs ont d’ailleurs rencontré les acteurs concernés sur place. Mais quelques semaines après votre visite, la directrice académique a décidé de retirer deux postes budgétaires affectés à ce projet, qui ne peut désormais plus fonctionner… On le voit, la coopération sur le terrain est compliquée et il n’y a aucune concertation.
Le nombre d’heures d’enseignement en établissement pénitentiaire doit être aligné sur celui des établissements scolaires. Une meilleure collaboration entre les deux ministères est indispensable, y compris sur le volet de la réinsertion du jeune.
La solution de l’enfermement ne peut être l’unique solution. Le jeune a besoin d’un projet d’insertion construit par et pour lui et évalué en continu. Ce projet doit être établi sur la base d’une autoévaluation comme cela se fait à l’aide sociale à l’enfance (ASE) et dans les établissements de la Sauvegarde de l’enfance.
Les mesures éducatives doivent être évaluées et nous devons privilégier le renforcement financier des structures existantes.
Le groupe socialiste et républicain soutient les propositions formulées par les rapporteurs.
Mme Brigitte Lherbier. – Merci pour cette excellente étude.
L’amélioration de l’articulation entre l’Éducation nationale et la PJJ est nécessaire.
N’oublions pas les enfants de l’aide sociale à l’enfance (ASE), qui sont victimes de leur situation : leur suivi scolaire doit être renforcé. Or, ils sont souvent déplacés d’école en école, de famille en famille. L’Éducation nationale ne devrait-elle pas porter un regard particulier sur ces enfants ? Certes, dans certains départements, des chartes existent, mais cela n’est ni systématique et ni très contraignant pour les acteurs.
Mme Nathalie Delattre. – Je salue l’excellent travail de nos quatre rapporteurs sur un sujet majeur. Je tiens également à rappeler l’immense travail réalisé à la commission des lois par notre ancienne collègue Josiane Coste, membre du groupe RDSE.
Certes, nous avons besoin d’un suivi qualitatif, mais aussi statistique. Alors que les syndicats remettent en cause l’efficacité des CEF, dénonçant un taux de récidive de 70 %, nous avons besoin de statistiques fiables pour mesurer la pertinence de ces outils.
J’attire votre attention sur le recrutement dans les CEF. Les jeunes ont besoin d’y être encadrés, or on constate une crise des vocations et un fort turnover. Ces personnels doivent devenir des référents pour les jeunes.
Dans le cadre de la mission de contrôle de la commission des lois sur les mesures liées à l’épidémie de Covid-19, nous avions fait des recommandations sur l’école en prison. À Fresnes et Draguignan, les cours ont été suspendus pendant la crise. Bien souvent, les équipes sont très motivées, mais parfois les professeurs ne sont pas là. Comment motiver ces personnels afin qu’ils assurent une continuité pédagogique ? Les jeunes en prison à Draguignan ne sont pas plus de quinze, il suffirait que l’Éducation nationale acquière quinze ordinateurs…
Enfin, n’oublions pas que l’enseignement agricole fait partie intégrante de l’Éducation nationale et sait travailler avec les publics en difficulté. La PJJ et les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) devraient travailler plus étroitement avec l’enseignement agricole qui a un véritable savoir-faire et permet d’éloigner certains jeunes de leur milieu d’origine lorsque cela est préférable.
Le groupe RDSE s’associe aux recommandations de ce rapport.
Mme Marie Mercier. – Je vous félicite pour ce travail et la qualité des auditions.
Nous avons entendu le recteur de l’académie de Créteil qui nous a parlé des « cassés du collège » et rappelé qu’avant le décrochage, il fallait réfléchir d’abord à l’accrochage de ces enfants.
Nous avons également entendu Alain Bauer, qui fut percutant. Certes, il y a différents âges de minorité et de responsabilité, mais n’oublions pas que, bien souvent, ces enfants n’ont aucune référence parentale. Ils sont en situation d’exclusion sociale et familiale. Nous ne ferons pas l’économie d’un travail de fond sur l’aide à la parentalité, sans tomber dans l’angélisme.
Mme Dominique Vérien. – Je partage ce que viennent de dire Marie Mercier, sur la nécessité d’un accompagnement dès le plus jeune âge, et Brigitte Lherbier, sur l’association à ce travail des conseils départementaux, car la protection de l’enfance et de la jeunesse compte parmi leurs compétences.
Un mot en particulier sur l’un des volets de ce travail, celui des violences sexuelles : des mineurs sont victimes de telles violences, d’autres sont auteurs, certains sont à la fois auteurs et victimes. Si l’on veut éviter ce type de spirale, des thérapeutes doivent pouvoir prendre en charge les mineurs.
Dans mon département, qui est particulièrement touché par ce fléau, la PJJ a réussi à obtenir un thérapeute, mais chaque année il faut revenir à la charge : les financements ne sont pas pérennes. Or un suivi au long cours est important. Une politique publique de long terme serait donc absolument nécessaire en la matière : arrêtons avec ces financements sur un an, sans visibilité.
Mme Catherine Di Folco. – Je remercie nos collègues rapporteurs pour leur travail très intéressant et leurs propositions pragmatiques.
Je me contenterai d’une remarque : il me plaît vraiment de vous entendre appeler un chat un chat. Je m’explique : vous parlez de « mineurs délinquants », et non, comme j’ai pu l’entendre dans la bouche du Défenseur des droits de l’enfant, de « jeunes en conflit avec la loi ». Cette dernière expression dévoie les faits : un mineur, comme un adulte, d’ailleurs, ne saurait être en « conflit » ou en désaccord avec la loi car la loi ne lui a rien fait ; il doit tout simplement l’appliquer. À détourner les mots, on minore les faits et les responsabilités.
rapporteure. – Brigitte Lherbier a raison : 55 % des mineurs délinquants seraient suivis par la protection de l’enfance, d’après les chiffres que nous a communiqué l’association française des magistrats de la jeunesse et de la famille.
Je retiens en particulier de vos réflexions, mes chers collègues, l’importance du département. Cette importance ne nous avait pas échappé – nos auditions comme nos visites de terrain l’avaient fait apparaître –, mais nous aurions pu développer davantage cette question. Si le spectre de notre mission était large, en effet, nous avons choisi d’aborder le sujet au travers d’un prisme bien précis, celui de l’articulation entre délinquance des mineurs et décrochage scolaire. C’est ce qui explique, par exemple, que certains éléments relatifs à l’ASE ou à la structuration départementale des politiques publiques ne figurent pas dans le rapport.