Passons aux recommandations concernant l'Union européenne et l'Alliance atlantique.
L'Union européenne est largement présente en Méditerranée, mais cette présence est essentiellement économique. Ce biais économique risque de devenir un handicap dans le contexte de militarisation des relations internationales que nous venons de décrire.
Il est urgent que l'Europe prenne conscience de la nécessité de défendre non seulement ses intérêts, mais également ses valeurs, en utilisant tous les instruments dont elle dispose. Le monde méditerranéen de demain n'attendra pas ceux qui ont des états d'âme et qui ne sont pas prêts à se défendre.
Et pourtant - c'est notre conviction profonde - en Méditerranée, ce ne sont pas seulement nos intérêts économiques qui sont menacés, mais aussi nos valeurs communes. L'Union européenne doit impérativement démontrer sa capacité à s'adapter à un monde dans lequel le rapport de force se substitue à la libéralisation des échanges.
L'Europe doit aujourd'hui affronter trois défis en Méditerranée. Le premier est un défi stratégique, lié au retrait prévisible des Américains dans les années à venir. Le deuxième est un défi politique, lié à la difficulté des institutions de l'Union européenne à penser une défense européenne, enracinée dans une chaîne de décision politique concrète et cohérente. La France se situe, depuis plusieurs années, à la pointe de cette revendication. Nos interlocuteurs ont d'ailleurs manifesté leur forte attente à l'égard de notre pays, afin qu'il porte cette évolution à l'échelle européenne. Enfin, le troisième défi est idéologique. La pandémie de covid-19 a démontré le potentiel déstabilisateur des réseaux sociaux et de la manipulation de l'information qui s'y déploie. Les pays méditerranéens sont aujourd'hui un théâtre privilégié de cette lutte d'influence, qui vise à décrédibiliser l'Europe et ses valeurs. Si nous ne réagissons pas, les puissances hostiles présentes dans la zone risquent d'imposer, de manière durable, le récit d'une Europe indifférente au sort des populations de la rive sud du bassin.
C'est pourquoi nous formulons comme principale recommandation, à l'échelle de l'Union européenne, d'accélérer et de consolider le déploiement d'instruments de lutte contre la manipulation de l'information dans les Balkans et en Afrique du Nord. Alors que l'Union européenne fournit une aide substantielle à ces pays et y construit des partenariats mutuellement bénéfiques, nous perdons pour l'instant la « bataille des récits ».
Cette recommandation est complétée par deux autres. La première : d'assurer la solidarité des membres du Conseil européen face aux tentatives de déstabilisation en Méditerranée orientale. La seconde appelle à prolonger la présence militaire européenne en Méditerranée centrale.
La Méditerranée est depuis plusieurs décennies un théâtre d'intérêt pour l'Alliance atlantique, qui coopère avec ses alliés dans la zone au travers du Dialogue méditerranéen. L'adoption récente, en mars 2022, de la Boussole stratégique, premier livre blanc de défense européenne, démontre la convergence des analyses entre l'Union européenne et l'Otan (Organisation du traité de l'Atlantique Nord). Les deux organisations ont désormais clarifié leur intention de renforcer leur présence en Méditerranée afin de limiter l'expansion de l'influence des puissances concurrentes dans cette région. Toutefois, nous avons constaté que la convergence des analyses ne se traduit pas suffisamment par une coopération opérationnelle sur le terrain.
Nous recommandons de rationaliser ces relations entre l'Union européenne et l'Otan en Méditerranée, en commençant par adopter la nouvelle déclaration conjointe entre les deux organisations, annoncée initialement pour la fin de l'année 2021.