– Cette audition traditionnelle est l’occasion d’un échange sur l’actualité de notre institution toute neuve, née le 1er janvier dernier. Notre autorité est en ordre de marche depuis lors, grâce à un travail de préfiguration et une pleine adhésion des équipes de deux autorités fusionnées. Notre collège est désormais élargi à neuf membres, désignés par cinq autorités différentes, ce qui accentue encore son indépendance. L’organisation de l’institution a été revue pour marier les compétences des deux autorités, même si nous conservons notre présence en régions, pour être au plus près des médias locaux et de proximité. Nous rassemblons 355 agents autour d’un projet stratégique sur trois ans, qui va être très bientôt adopté par le collège.
Depuis sa mise en place, l’institution est à pied d’œuvre pour développer les nouvelles compétences que vous nous avez confiées.
La première est la lutte contre le piratage des contenus culturels et sportifs. Les dispositions législatives que vous avez adoptées remplissent pleinement leur rôle, face à un manque à gagner atteignant 1 milliard d’euros. Le nouveau cadre juridique nous permet d’agir plus vite en dialoguant avec le juge, les ayants droit et les fournisseurs d’accès. Nous pouvons ainsi intervenir très rapidement sur les manifestations sportives : les ayants droit peuvent saisir le juge, les fournisseurs d’accès opèrent le blocage et le déréférencement dès la décision et l’autorité administrative prend en charge les demandes de blocage des sites miroirs. Depuis le 1er janvier, 800 sites illicites ont ainsi été bloqués, limitant de 50 % le piratage des manifestations sportives. Nous sommes maintenant engagés dans une procédure d’automatisation de la chaîne pour aller encore plus vite.
Notre deuxième chantier est la supervision des plateformes en ligne, qui comprend la lutte contre la manipulation de l’information. Nous publierons bientôt le troisième bilan d’application de la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information, dite loi « Infox ». Cette régulation commence à porter ses fruits. Nos compétences ont été complétées par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, et cette démarche a pris une dimension européenne très forte, avec l’adoption prochaine du nouveau règlement européen sur les services numériques (DSA pour Digital Services Act) auquel nous avons activement contribué. Nous allons suivre de très près la mise en œuvre de ce texte, qui ouvre une nouvelle frontière en la matière. Nous souhaitons, pour notre part, que l’autorité de coordination française qu’il prévoit soit désignée rapidement. Ce choix relève de la compétence du législateur, et, si vous en décidiez ainsi, l’Arcom pourrait être cette autorité.
La dimension européenne de la régulation est croissante et un nouveau texte tout juste déposé par la Commission européenne concerne la liberté des médias, le European Media Freedom Act (Emfa). Nous serons impliqués dans le comité de pilotage du groupe des régulateurs européens, le European Regulators Group for Audiovisual Media Regulators (Erga) dès l’année prochaine, et je prendrai, début octobre, la présidence du réseau des régulateurs francophones.
Le troisième point nouveau sur lequel nous travaillons est lié à la publication d’un rapport du Sénat sur la pornographie. Nous avons mis en demeure sept sites contrevenant en particulier aux dispositions adoptées par des amendements du Sénat intégrés à la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales. Nous avons saisi le tribunal judiciaire et le juge a décidé de recourir à une procédure de médiation, que nous avons souhaité courte. À nos yeux, la balle est dans le camp des sites et cette médiation devra être l’occasion pour eux de proposer des dispositifs efficaces.
Nous déployons une autre mission nouvelle : la supervision de la lutte contre les contenus terroristes et pédopornographiques. Un membre du collège, une magistrate, prend en charge la mission de contrôle, de retrait et de déréférencement des sites terroristes après signalement de la plateforme Pharos. 130 000 contenus ont été vérifiés en 2021, un chiffre énorme et en augmentation.
Notre institution est donc pleinement en ordre de marche et mute pour s’adapter à l’époque.
L’Arcom a également été active sur ses missions traditionnelles.
2021 et 2022 ont été marquées par des échéances électorales de premier plan : élections régionales, troisième referendum en Nouvelle-Calédonie, élections présidentielle et législatives. Nous avons veillé au bon déroulement des campagnes sur les chaînes de radio et de télévision et nous nous apprêtons à publier un bilan qui comprendra pour la première fois un volet sur les plateformes en ligne, que nous avons réunies tous les quinze jours pendant le processus électoral, et nous notons de vrais progrès par rapport à 2017.
Les médias audiovisuels ont joué un rôle majeur, car le contexte pandémique a conduit à limiter le nombre de réunions publiques, et le débat a été concentré dans les médias audiovisuels, avec un volume de programmes significatif. Nous avons dû opérer quelques rappels, mais les choses se sont globalement correctement déroulées. Nous ferons quelques propositions d’amélioration des règles que nous appliquons ; celles-ci relèvent, certes, du législatif, mais certaines d’entre elles pourraient sans doute être revisitées. Nous pourrons en discuter à l’occasion du travail sur les sondages que le Sénat envisage de lancer.
Nous avons veillé à maintenir une vigilance constante concernant notre première mission, la protection de la liberté d’expression, de la rigueur de l’information et de la maîtrise de l’antenne. Nous avons opéré plusieurs interventions, mises en garde ou mises en demeure à ce sujet. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, nous avons contribué à la mise en œuvre des sanctions adoptées par le Conseil de l’Union européenne envers RT France et Rossiya 24 et nous avons mis Eutelsat en demeure de cesser la diffusion de NTV Mir.
Au-delà de ces missions, nous avons accompagné la transformation des médias, qui est très importante dans cette période.
S’agissant de la radio, le régulateur a ainsi accéléré le déploiement de la radio numérique, DAB+, une avancée importante et qui sera encore significative en 2023, année au cours de laquelle la couverture concernera 50 % de la population métropolitaine. Cette phase de déploiement représente toutefois une charge importante pour les très nombreuses radios associatives et locales, dont vous connaissez l’importance. Nous soutenons donc l’accompagnement de ces radios plus fragiles et nous avons, en outre, incité les acteurs à communiquer activement sur le DAB+.
Un dossier est en cours : l’évolution de la gouvernance et de la nature des activités radiophoniques du groupe Lagardère, à la suite de l’offre publique d’achat de Vivendi. Comme vous le savez, tout changement de contrôle d’un opérateur qui détient une autorisation doit faire l’objet d’un agrément.
S’agissant de la télévision, le projet de fusion entre TF1 et M6 est désormais abandonné après nous avoir mobilisés pendant plusieurs mois. Nous avons souhaité rendre public notre avis transmis à l’ADLC, même si celle-ci n’a pas eu à prendre formellement de décision. Pour nous, cette procédure ne constituait qu’une toute petite partie du dossier, la loi prévoyant une double procédure devant l’ADLC et devant l’Arcom, relative à l’agrément des changements de contrôle. Notre avis concerne donc exclusivement la problématique des marchés de la publicité, de la distribution, des droits, etc. S’agissant du contrôle, la partie de la procédure qui relève plus directement de nos compétences, nous étions prêts et nous comptions faire part de nos attentes en matière de pluralisme, au sens large. L’avis publié, c’est-à-dire celui qui répondait à la demande de l’ADLC, ne constitue donc qu’une partie du travail de l’Arcom, le processus nous concernant plus directement ayant été interrompu.
Nous sommes engagés dans la procédure de renouvellement des autorisations respectives de TF1 et de M6, qui arrivent à échéance au mois de mai 2023. Une consultation publique des acteurs du secteur est en court, nous leur avons laissé un peu plus de temps en raison du retrait de Bouygues ; nous allons élaborer notre étude d’impact, qui sera publiée, puis la procédure d’appel formel à candidature aura lieu, suivie de l’examen des candidatures et de la négociation des conventions. Le chantier est lourd, de longue haleine et porte sur un enjeu important.
En parallèle, le renouvellement de l’autorisation de Canal+ est en cours, nous sommes dans la phase de finalisation de la convention.
L’audiovisuel public est également engagé dans un processus de transformation, alors que la loi nous charge de veiller à son indépendance et à son pluralisme. Ce secteur représente 30 % de l’audience, 4,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, il est composé d’acteurs fondamentaux dans l’équilibre du paysage audiovisuel, notamment par un soutien décisif à la création. Nous sommes très attentifs au financement de l’audiovisuel public ; nous connaissons les choix opérés pour 2023 et nous serons très attentifs à l’avenir du secteur. Nous souhaitons que la période qui s’ouvre offre l’occasion de réfléchir à notre ambition en matière de service public sur les plans de l’organisation, de la gouvernance et du financement.
Quelques dossiers sont en cours, en matière de cohésion sociale, par exemple, avec la mise en œuvre des dispositions de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « Climat et résilience », concernant la signature de chartes d’engagement des acteurs de la publicité. Nous travaillons conjointement avec l’Arcep sur la réduction de l’empreinte carbone du secteur. Les acteurs concernés déposent leurs chartes sur le site du ministère de l’environnement.
Nous restons attentifs au soutien à la création française. Le cadre réglementaire a été révisé ; les décrets concernant les services de médias audiovisuels à la demande (Smad), la TNT et le secteur câble-satellite (CabSat) nous conduisent à revoir les conventions qui nous lient aux opérateurs. Le point central concerne les grands acteurs américains présents sur notre territoire. Nous traversons une phase de mouvement continu dans laquelle la chronologie des médias est un sujet important. Pour autant, ce qui est en œuvre ici est unique en Europe. Le niveau de financement issu de la transposition de la directive Services de médias audiovisuels (SMA) n’a pas d’équivalent. Le pays suivant est l’Italie, très loin derrière ; l’exception culturelle française a été très fortement défendue et préservée, nous devons nous en réjouir.
Depuis sa création, l’Arcom a donc rempli ses missions nouvelles tout en poursuivant ses missions historiques.
Depuis dix ans, l’autorité a travaillé à budget constant, mais nous avons sollicité un renforcement de nos moyens en vue de l’exécution de nos nouvelles missions. Le projet de loi de finances pour 2023 nous a entendus et je sollicite le concours de l’ensemble des formations politiques du Parlement pour appuyer notre action.