Je vous propose de répondre en regroupant les grandes questions qui ont été posées.
Je veux d'abord insister sur un principe. Je l'avais déjà affirmé lors de la discussion du PLFR : nous entrions avec 22 milliards d'euros de dépenses supplémentaires et nous devions sortir avec 22 milliards d'euros de dépenses supplémentaires. Cela vaut pour le PLF : nous entrons avec 5 % de déficit, nous sortirons avec 5 % de déficit. Je veux redire à quel point la France est à l'euro près.
J'entends bien toutes les remarques sur les collectivités locales, sur les services publics, sur des personnes qui seraient davantage protégées ou sur un bouclier pour les entreprises... Tout cela n'est tout simplement pas à la portée de la France. Il faut donc faire des choix.
À ceux qui veulent indexer la DGF sur l'inflation ou instaurer un bouclier tarifaire pour toutes les entreprises, je dis que ce n'est pas à la portée de notre bourse, et que nous devons tenir les 5 % de déficit public.
Il faut bien sûr protéger certaines entreprises exposées à la concurrence internationale. Les décolleteurs de la vallée de l'Arve, qui doivent vendre des pièces de véhicules automobiles en Asie, où il n'y a pas de flambée des prix, ne peuvent pas augmenter leurs tarifs et doivent être protégés. Mais d'autres commerçants, par exemple restaurateurs, peuvent faire passer une partie de la hausse dans leur prix de vente. Je ne rétablirai donc pas de mesures de « quoi qu'il en coûte », car ce serait dispendieux pour les finances publiques et ne ferait qu'augmenter un peu plus l'inflation dans les mois qui viennent.
Pour les communes, c'est la même chose : certaines doivent être aidées, d'autres sont moins en difficulté ou n'ont pas fait le bon choix de gestion au cours des deux ou trois dernières années. Est-il juste de traiter tout le monde de la même manière ? Je n'en suis pas certain, et il n'est pas sûr que nos compatriotes approuveraient une telle mesure.
Il faut donc regarder toutes les situations de près et tenir le déficit de 5 % du PIB, ce qui ne fait par ailleurs pas de nous les bons élèves de la zone euro. Nous ne faisons que respecter la trajectoire qui nous permettra d'atteindre les 3 % de déficit en 2027, seuil en deçà duquel nous serons l'un des derniers États européens à passer.
Je serai donc intraitable sur ce sujet, parce qu'il y va de la crédibilité de la France, de nos finances publiques, et qu'il n'y a aucune raison que la France accuse des déficits plus importants que ceux de ses grands voisins européens.
En ce qui concerne la croissance, je n'ai pas grand-chose à ajouter. Bien sûr que l'environnement est incertain, mais je constate qu'en 2021, la reprise a été plus forte que prévu. Parmi les grandes économies de la zone euro, le premier pays à avoir retrouvé son niveau économique d'avant-crise est la France, parce que sa politique de relance a été rapide, efficace et puissante.
Alors que les prévisionnistes disaient que nous ne pourrions pas dépasser 2,3 % de croissance en 2022, elle va s'élever à 2,7 %. Croyez-moi, je suis tout aussi surpris qu'eux par la vigueur de la demande, de l'activité touristique, du retour de l'activité des services dans notre pays, et tant mieux !
Le pire, même s'il faut s'y préparer, n'est pas certain. Mon rôle de ministre de l'économie - cela a été rappelé par le président Raynal - n'est pas de verser dans la prophétie autoréalisatrice, mais plutôt de pousser le pays vers ce qu'il peut accomplir de meilleur, c'est-à-dire 1 % de croissance en 2023.
Sur la CVAE, je veux commencer par dire au président du comité des finances locales, M. Laignel, dont j'ai lu les déclarations, que je trouve un peu révoltant de parler de cadeau au Medef. Ces propos ne sont ni dignes ni acceptables. Le ministre de l'économie et des finances ne prend pas des mesures pour faire plaisir à qui que ce soit, mais parce qu'il estime que c'est bon pour le pays.
Nous estimons, en conscience, que la reconquête industrielle ne se réalisera pas avec des impôts de production sept fois plus élevés que ceux de nos voisins. C'est maintenant que cela se joue ; il y a urgence. Si nous n'avions pas baissé les impôts de production de 10 milliards d'euros, jamais GlobalFoundries n'aurait investi chez ST Microelectronics à Crolles et à Grenoble, et la France ne compterait pas parmi les nations capables de maîtriser les technologies de semi-conducteurs, y compris dans les gravures les plus fines.
Nous pouvons, comme c'est le cas ici, discuter des procédés, échanger, contester nos approches, mais je n'accepte pas une stigmatisation maladroite, inappropriée et injuste.
Beaucoup de questions ont été posées sur le bouclier tarifaire ; c'est un enjeu majeur, la plus grande nouvelle dépense publique de 2023. Nous mettons 45 milliards d'euros sur la table, c'est ce que cela va nous coûter pour protéger nos compatriotes, y compris les entreprises.
Quand on dit du prix de l'électricité que c'est 15 % de hausse, je rappelle que le marché, c'est 100 % ! Donc si vous voulez qu'on fournisse de l'électricité et du gaz, il faut bien compenser les producteurs qui y perdent. C'est une réalité économique : il y a le marché et nous ne sommes pas seuls au monde. Si nous voulons du gaz et de l'électricité, nous devons le payer au prix du marché. Sinon, c'est la pénurie et la chute économique.
Cette compensation coûte 45 milliards d'euros. Cela pourra être plus si les prix augmentent ; cela pourra être un peu moins si les prix baissent.
À partir de là, nous avons des recettes : 19 milliards d'euros nous reviennent des énergies renouvelables. Je reviendrai sur la question de la taxation, qui est tout à fait digne politiquement et importante. Les énergéticiens qui ont réalisé des investissements coûteux sur le renouvelable, l'éolien ou le solaire, qui ne rapportaient pas beaucoup car les prix étaient bas, ont été remboursés pendant des années, en compensation, à hauteur de milliards d'euros. Quand le prix de l'énergie est supérieur à ce prix garanti, c'est nous qui récupérons l'argent. J'y suis très favorable, parce que c'est une rente et qu'il n'y a aucune raison qu'il y ait des rentes dans notre pays. Cela a rapporté 8 milliards d'euros en 2022, cela rapportera 19 milliards en 2023.
Là-dessus, vous retranchez encore 9 milliards d'euros de taxes intérieures de consommation finale sur l'électricité (TICFE) que nous ne prélèverons pas. Cela vous amène à 17 milliards d'euros. Vous retirez un milliard d'euros de recettes qui viennent de l'énergie hydraulique, qui n'était pas concernée jusqu'à présent, vous arrivez à 16 milliards d'euros de coût net. Mais ce que dépense l'État, en brut, ce qu'il met dans la poche des Français, c'est 45 milliards d'euros.
Donc personne ne peut dire que nous ne protégeons pas massivement, mais nous réduisons la note grâce à ce système de marché, qui a d'ailleurs été adopté par l'Union européenne.
Comme M. Savoldelli, j'aurai des propos modérés et enthousiastes : ceux qui travaillent en ont ras-le-bol de payer toujours plus d'impôts. Pour eux, la coupe est pleine. M. Savoldelli redoute une fronde sociale. En ce qui me concerne, je redoute la fronde de nos concitoyens qui estiment payer trop d'impôts. Je rappelle que 10 % des contribuables payent 70 % de l'impôt sur le revenu dans notre pays. Vous vous préparez à des jours difficiles avec les classes moyennes si vous voulez profiter de l'inflation pour récolter davantage d'impôts. Souvent, celles-ci ont été à l'origine des révolutions, car elles refusaient qu'on leur prenne trop. Avoir indexé le barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation est une décision juste.
La question de la taxation des superprofits n'est pas anodine. À juste titre, les Français considèrent que les entreprises faisant des bénéfices liés uniquement à la flambée des prix de l'énergie doivent participer à l'effort collectif. Je souscris à leur point de vue, puisque je récupère 19 milliards d'euros l'année prochaine, soit par l'intermédiaire du mécanisme de marché que je viens d'indiquer, soit via une contribution directe des entreprises, comme en témoigne la remise de 20 centimes d'euro à la pompe décidée par TotalEnergies. Le plafonnement des tarifs bancaires à 2 % profite directement à nos compatriotes. Notre position ne souffre d'aucune ambiguïté : les Français doivent bénéficier de l'argent des rentes.
En revanche, derrière le terme très séduisant de taxation exceptionnelle des superprofits se cache en réalité une taxation permanente de tous les profits de toutes les entreprises du CAC 40. J'ai examiné attentivement la proposition de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), qui consiste à taxer toute entreprise dont le résultat fiscal serait supérieur en 2023 de 25 % à la moyenne des résultats constatés entre 2017 et 2019. Toute entreprise dont les profits ont augmenté de 25 % sur cinq ans serait taxée. La logique est claire : dès que vous réussissez, vous êtes imposé. Je me bats depuis des années contre cette maladie française. On commence par taxer les profits des grandes entreprises et on finit par le faire pour toutes les sociétés, PME comprises. Les auteurs de cette proposition soutiennent que la mesure revêt un caractère exceptionnel. Or ce n'est pas le cas, puisque ses auteurs fixent son échéance à l'année 2025. Une telle réforme deviendrait alors permanente. Telle n'est pas la bonne solution : je lui préfère le dispositif européen, qui vise à prélever les énergéticiens uniquement en 2022 d'une taxe de 20 % lorsque les résultats de l'entreprise sont supérieurs de 20 % en 2021 par rapport à 2019. Ce dispositif est raisonnable. Chacun doit dévoiler la réalité de ses intentions dans le débat sur la fiscalité.