Intervention de Benoît Vallet

Commission des affaires sociales — Réunion du 28 septembre 2022 à 9h50
Audition de M. Benoît Vallet candidat proposé par le président de la république aux fonctions de directeur général de l'agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation de l'environnement et du travail anses

Benoît Vallet, candidat aux fonctions de directeur général de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail :

– La multiplicité des tutelles me semble plutôt une richesse qu’un inconvénient. L’interministérialité immédiate qu’elle implique permet des réponses croisées sur des sujets comme la répression des fraudes, le contrôle de l’alimentation, les questions environnementales ou sanitaires.

Quant au chef de file, il est désigné annuellement. Cette année, c’est le ministère de la santé, représenté par la direction générale de la santé, qui préside les réunions pluriannuelles des cinq directeurs généraux. Cela peut amener à partager les responsabilités entre ministères, notamment vis-à-vis des acteurs moins impliqués comme le ministère du travail.

De plus, cette interministérialité garantit la complétude des moyens donnés à l’Anses.

Au risque de vous surprendre, j’estime qu’il faut envisager de faire du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche une tutelle de l’Agence. Celle-ci conduit un important travail de recherche, elle est équipée de laboratoires de très haut niveau qui nourrissent l’expertise. En tant qu’organisation de recherche, l’Anses n’est pas aussi sollicitée que l’on pourrait le souhaiter, en comparaison de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ou du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Le directeur général actuel, Roger Genet, a engagé ce dialogue avec le ministère. La question de la tutelle se posera si vous me désignez pour lui succéder.

La loi de programmation de la recherche n’a pas introduit la santé et l’environnement dans les financements du ministère, ce qui est un manque considérable au regard des enjeux actuels.

Le directeur général doit-il venir du monde de la santé humaine ? Je ne me permettrai pas d’y répondre, étant en situation évidente de conflit d’intérêts sur cette question...

La défiance est en effet un sujet récurrent. Les règles déontologiques, pour les experts mais aussi pour les agents et les membres du conseil d’administration, garantissent autant que possible la transparence. Elle n’est pas absolue, puisque l’on ne dépasse pas le niveau déclaratif. Pour la santé, la base Transparence santé que j’ai contribué à installer en 2016 introduit néanmoins un contrôle. Peut-être les organisations parties prenantes pourront-elles s’en inspirer.

Le comité de déontologie de l’Anses est à nouveau en ordre de marche, il a récemment émis des avis, notamment sur le fait que n’apparaît pas, dans les déclarations publiques d’intérêts de l’expert, le soutien substantiel à certaines organisations dont celui-ci aurait pu bénéficier de façon indirecte.

Actuellement, le comité de déontologie ne peut être saisi que par le conseil d’administration et la direction générale. Mais certains des membres du conseil d’administration n’appartiennent pas à l’Anses et sont issus de la société civile. Si les règles de la saisine devaient évoluer, la question de l’externalité mériterait d’être examinée.

La complémentarité des agences m’a beaucoup préoccupé lorsque j’étais directeur général de la santé. Sur ma proposition, le Comité d’animation du système d’agences (Casa) a été créé par la loi. Son programme de travail consiste à favoriser le rapprochement des agences : Anses et Santé publique France, Anses et Agence du médicament. Mais le Haut Conseil de la santé publique, la Haute Autorité de santé en font aussi partie, ainsi que les directions des tutelles qui participent aux débats. Le Casa se réunit tous les deux mois, mais ces parties prenantes se rencontrent également chaque semaine, le mercredi matin, pour régler les questions d’urgence en matière de sécurité sanitaire.

L’Anses déporte ainsi certains de ses professionnels vers les sujets d’actualité de crise, notamment pour les analyses virologiques ou bactériennes en santé animale. Cela implique des permanences d’activité assez lourdes pour ces agents. L’Anses est une agence qui se mobilise en période de crise : il est important de le rappeler.

Les contributions de l’Anses et de Santé publique France au Nutri-score sont assez convergentes. Le premier avis de l’Anses sur les dispositifs d’affichage nutritionnels n’était pas très favorable, car les dispositions proposées étaient issues de résultats de laboratoire, et n’avaient pas encore été examinées en vie réelle. L’expérimentation en vie réelle, qui a eu lieu par la suite, a été entourée de grandes précautions scientifiques ; elle a donné lieu à la proposition d’un Nutri-score comme seul affichage susceptible de modifier les comportements d’achat des Français – qu’ils soient issus des classes aisées ou non, ce qui était un point très important de l’expérimentation, conduite en 2016.

La contribution de l’Anses au Nutri-score est réelle. Nous avons un conservatoire de la formulation des aliments : l’un des impacts importants du Nutri-score est la reformulation de certains produits par les industriels avant de l’afficher. En effet, en s’engageant dans la démarche Nutri-score – parfois pour des raisons de marketing – ils se contraignent à afficher l’ensemble de leurs produits. Cette reformulation a été conséquente. Certains éléments d’évaluation du Nutri-score seront diffusés dans le domaine public.

Mais le Nutri-score ne constitue pas à lui seul une politique nutritionnelle. Il présente également, comme tout dispositif, des fragilités. Ainsi, il ne tient pas compte des contaminants dans l’alimentation. Il a néanmoins eu, au moins de façon indirecte, un effet sur la qualité nutritionnelle dans notre pays.

Les saisines – plusieurs centaines par an – viennent principalement de nos autorités de tutelle, mais aussi d’associations, qui nous ont notamment sollicités sur les sols artificiels des terrains de sport. Les saisines d’associations ne représentent que 10 % du total, ce qui incite à un dialogue plus nourri avec la société civile. L’Opecst, qui a la capacité de faire des saisines, peut travailler avec nous sur ce sujet.

Le réseau Obépine a permis de déceler la présence du covid dans les eaux usées. Il a été pérennisé, avec des points de surveillance moins nombreux. La méthodologie est acquise, et le travail se fait conjointement avec Santé publique France, qui affiche les résultats sur son site. Obépine est principalement un outil d’alerte. Les tests demeurent plus efficaces pour nous informer sur la circulation virale. Cependant, le suivi de ce réseau, dans les périodes où nos préoccupations s’éloignent du covid, peut nous inciter à revenir, le cas échéant, à une situation de vigilance sanitaire.

Ce système a été utilisé dans les Hauts-de-France pour le suivi des eaux usées en aval des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) autour de Dunkerque, à une période de recrudescence de la covid. C’était donc un usage très ciblé.

M. Bernard Jomier. – Une autre préconisation du rapport cité par Mme Lassarade est que le directeur général de l’Anses soit auditionné en même temps que celui de Santé publique France par les commissions compétentes en amont de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Nous allons la mettre en œuvre dès cette année...

Le ministre de la santé – désormais également ministre de la prévention, ce qui est une très bonne chose – a annoncé un virage de la prévention en présentant le PLFSS, au travers de plusieurs actions relevant de la prévention médicalisée. Comment le directeur de l’Anses lirait-il un PLFSS qui porterait le virage de la prévention sur les questions de santé environnementale ?

– L’Anses aborde la prévention sous l’angle de la santé globale. Ainsi, la prévention ne doit pas être liée qu’aux comportements favorables à la santé, même si cette dimension reste importante : les professionnels du soin, dont les médecins, les pharmaciens et les kinésithérapeutes, doivent ainsi davantage s’en emparer. La formation restant trop timide, on reste en deçà des possibilités qu’offre cette puissante armée d’acteurs de la santé publique.

La santé est aussi environnementale, liée aux évolutions climatiques de l’anthropocène. Elle doit se colorer de ces éléments. Mme Firmin le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, a rappelé l’importance de la santé unique, ou One Health.

Il serait souhaitable d’assortir cela de moyens de recherche en santé publique, particulièrement populationnelle. Ainsi, le programme de recherche clinique de 1993, que je cite souvent, a donné des résultats considérables en matière de comparaison des pratiques et de soins. Nous n’avons pas l’équivalent en santé populationnelle : un prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale serait l’occasion de déclencher un vrai programme de recherche en santé publique comportant des éléments de santé environnementale. Ainsi, Roger Genet a signalé à Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, que la loi de programmation de la recherche ne traitait pas assez de cette question.

Les regards de Santé publique France et de l’Anses sont complémentaires. Une audition conjointe de leurs deux directeurs généraux me semble de bon aloi.

Mme Victoire Jasmin. – Vous avez parlé des maladies et des risques émergents, dont certains sont liés aux mutations de virus et de bactéries. Travaillez-vous avec les collectivités territoriales dans ce domaine ? De quels moyens disposez-vous pour les outre-mer, et singulièrement pour la Guadeloupe ? Sont-ils suffisants pour les actions de contrôle ? Il y a un véritable travail à faire dans ce domaine, car certaines personnes conditionnent elles-mêmes des produits alimentaires vendus sur la voie publique, parfois avec l’autorisation des collectivités, ne respectent pas les normes de sécurité alimentaire et d’hygiène, ce qui n’est pas sans conséquence, notamment avec des infections alimentaires. On observe aussi des problèmes de qualité de l’eau sur mon territoire.

Avez-vous la compétence et l’intention de travailler sur les produits, vendus en ligne et sur la voie publique, qui échappent à des contrôles et s’apparentent à une concurrence déloyale ?

Qu’en est-il des autorisations de vente de certains produits liés à l’environnement, conditionnés artisanalement mais mis en vente dans des entreprises officielles ?

Enfin, l’Anses est-elle concernée par la lutte antivectorielle ?

M. Alain Milon. – Nous avons déjà travaillé ensemble, monsieur Vallet. Je pense que votre nomination est une bonne chose pour l’Anses, dont personne ne devrait remettre en cause les recommandations.

Je reviens sur les affaires Lactalis et Buitoni. Dans les deux cas, les recommandations de l’Anses, tout comme les travaux des commissions d’enquête de l’Assemblée nationale et du Sénat, n’ont pas été suivis d’effets sur le terrain. Comment entendez-vous faire appliquer ces recommandations ?

M. Xavier Iacovelli. – L’Anses a eu un rôle clé dans le cadre de l’initiative européenne de biosurveillance humaine, notamment dans la définition d’indicateurs clés d’exposition à des substances toxiques. Quel serait le rôle de l’Anses dans cette coopération européenne, et quels en seraient les bénéficiaires nationaux ?

Ensuite, la sédentarité est un risque pour la santé, particulièrement entre 11 et 17 ans. Plusieurs programmes, comme « Mission : retrouve ton cap », contre l’obésité infantile, ont été lancées, notamment dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, que vous connaissez bien. Faudra-t-il renforcer les analyses sur ces problématiques pour développer des outils ciblés pour la santé des jeunes ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. – À la tête de l’ARS des Hauts-de-France, vous avez fait de l’amélioration des conditions de travail et de la qualité de vie au travail un levier du pacte de la refondation des urgences. Quelles sont vos intentions en la matière, pour le milieu hospitalier mais aussi pour les salariés en général ?

Dans les Hauts-de-France, on recense chaque année plus de 32 000 cas de cancers et 15 000 décès qui y sont liés, soit trois décès sur dix. C’est la première région métropolitaine en termes de mortalité du cancer. Qu’envisagez-vous pour améliorer la prévention, le dépistage, la qualité de vie et l’accès aux soins ?

Enfin, la qualité de l’eau est devenue un sujet sensible. La sécheresse et la sobriété énergétique cumulées renforcent le besoin de contrôle de la qualité de l’eau, ce qui est fait par des laboratoires agréés par l’ARS : cela nécessite-t-il une mise à jour des critères et des exigences ?

– Madame Apourceau-Poly, sur les cancers évitables, les comportements de santé sont importants, mais la prévention passe aussi, désormais, par la santé environnementale. La territorialisation de la prévention des cancers évitables et la coordination de l’offre de soins sont à la main des ARS. Nous avons d’ailleurs lancé notre feuille de route cancer, qui doit durer dix ans, il y a quelques jours. Ainsi, même si nous prévoyons de renforcer la campagne antitabac, nous resterons sans doute à 30 % de prévalence dans le pays, avec de probables mauvaises surprises associées à la crise covid. La lutte contre le surpoids, facteur de risque, est aussi fondamentale.

L’Anses n’a pas été saisie sur la covid en tant que maladie professionnelle. Les travaux montrent que le personnel des urgences est plutôt contaminé à l’extérieur, puisqu’il est protégé au sein de l’hôpital.

La qualité de l’eau, particulièrement au regard des métabolites de pesticides dont le chloridazone, héritage dans les Hauts-de-France de la culture betteravière intensive, est d’autant plus sensible qu’une partie de la solution est la dilution, et donc l’interconnexion entre les réseaux. Or, la sécheresse diminue les possibilités de dilution alors qu’on approche de 3 microgrammes par litre, niveau retenu par les autorités sanitaires pour prononcer la restriction de consommation. Il existe encore des solutions avant d’appliquer, après une campagne de surveillance renforcée au cours de l’été, une restriction de la consommation d’eau du robinet pour quelques centaines d’habitants des Hauts-de-France.

Je souligne la dynamique européenne de l’Anses : il faut de l’harmonisation car les pesticides, utilisés depuis des dizaines d’années sous diverses formes, sont présents dans tous les pays européens. La limite de qualité de 0,1 microgramme par litre pour les métabolites est fixée au niveau européen. Il faut définir des normes de gestion lorsque les limites de qualité sont franchies. Les métabolites de la chloridazone sont jugés pertinents par défaut : c’est un mécanisme excessif mis en place de précaution faute de connaître sa dangerosité réelle. Par exemple, en Allemagne, cette même valeur de trois microgrammes par litre n’est pas associée à des restrictions de la consommation d’eau. L’Anses peut favoriser l’établissement de ces valeurs sanitaires maximales, ou Vmax, au niveau européen.

La biosurveillance et le renseignement de l’exposome, c’est-à-dire la somme des expositions de chacun à son environnement tout au long d’une vie, sont mentionnés dans la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Certaines cohortes sont à la croisée des travaux de Santé publique France et de l’Anses, comme le montre l’étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban). Elles renseignent sur la présence de contaminants tels les métaux lourds et les pesticides. Les relations entre manifestations cliniques et maladies sont l’occasion d’amplifier les études sur les perturbateurs endocriniens et de préciser leur définition.

L’Agence travaille sur la toxicologie de référence interne, notamment sur la chlordéconémie dans les Antilles, madame Jasmin, et sur ses conséquences pour les populations exposées. Cela peut éclairer la façon dont l’agriculture ou la pêche, par exemple, peuvent se faire. Les résultats seront bientôt présentés, en décembre prochain, dans le cadre du plan chlordécone. Une importante réunion se tiendra à la Guadeloupe, j’y serai présent si j’ai votre confiance.

Mme Victoire Jasmin. – C’était d’ailleurs l’objet d’un de mes amendements, qui a permis qu’on en soit à ce stade.

– Précisément. Vos actions en tant qu’élus sont indispensables, y compris pour solliciter les agences. Ainsi, pour le dioxyde de titane, le travail des élus a été crucial, de même que pour le bisphénol A, pour lequel l’Anses a été exemplaire.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. – Cela n’entraîne-t-il pas le risque de conflits avec l’Europe ?

– Une telle situation peut arriver, car l’Europe reconnaît des règles de marché plutôt que de santé. Il faut construire l’Europe de la santé. Pour cela, l’Anses a des capacités d’influence au niveau européen, avec une présence objective dans le cadre par exemple du Partenariat européen pour l’évaluation des risques liés aux substances chimiques, doté de 400 millions d’euros.

Les contrôles ne sont pas le domaine d’expertise de l’Anses mais plutôt de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et de l’ANSM. En revanche, pour les produits artisanaux par exemple, les travaux de l’Anses pourraient déclencher des actions de gestion des ministères concernés. Nous travaillons avec les consommateurs pour la détermination du risque, avec des résultats parfois en contradiction avec l’apparence bénigne de certains produits comme cela a été le cas pour certaines essences.

Les autorisations de l’Anses sont surtout pour des produits phytopharmaceutiques, des médicaments vétérinaires et des biocides. Pour les premiers, la substance principale est évaluée au niveau européen et sa déclinaison au niveau national par l’Anses. Sa vigilance est d’autant plus grande que son expertise est sur l’évaluation des risques. Elle est ainsi bien placée pour retirer des autorisations afin de limiter la temporalité de la distribution des produits et donc l’exposition des personnes, ce qu’elle a fait à plusieurs reprises ces dernières années.

Monsieur Milon, la résolution de l’affaire Lactalis est le reflet d’une coordination forte des agences sanitaires et des tutelles. À la fin de l’année 2017, alors que j’étais encore directeur général de la santé, des pédiatres avaient fait parvenir à l’Institut Pasteur des échantillons de salmonelle de nouveau-nés et de nourrissons. L’identification de génotypes similaires dans toute la France a conduit Santé publique France à mener un travail d’épidémiologie pour identifier une source unique, le site de Lactalis à Craon, en Mayenne, où les services vétérinaires ont retrouvé des traces de salmonelle. Cela a été suivi par le travail du ministère de l’agriculture et de l’Anses, puis une action de la DGCCRF pour arrêter cette usine. La situation était semblable pour Buitoni.

La conclusion que j’en tire est que les autorités de tutelle peuvent renforcer leurs demandes de contrôle. En effet, les résultats des autotests des industriels ne sont fournis aux autorités sanitaires qu’à leur discrétion.

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