Intervention de Serge Merillou

Commission des affaires économiques — Réunion du 28 septembre 2022 à 9h35
Compétitivité de la ferme france – examen du rapport d'information

Photo de Serge MerillouSerge Merillou :

rappporteur. – Du côté de l’élevage, nous avons analysé les filières lait et poulet. Si tout semble les opposer, elles sont en réalité, elles aussi, confrontées à des difficultés communes de compétitivité.

Le modèle de la filière lait de vache – modèle familial employant directement 68 000 salariés, reposant sur 54 000 petites exploitations disséminées sur le territoire et offrant une grande diversité de productions, de grande consommation ou industrielles – peut être qualifié de « miraculeux ». Nos 3,4 millions de vaches laitières produisent environ 24 milliards de litres de lait chaque année, faisant de notre pays le deuxième producteur européen, derrière l’Allemagne. La production est tournée d’une part vers un marché intérieur très demandeur et d’autre part vers l’exportation à hauteur de 42 %. FranceAgriMer estime même que la France, dont l’excédent commercial était de 3,5 milliards d’euros en 2021, est le pays le plus compétitif du monde à l’export.

Le problème vient du fait que selon nous, la France doit sa compétitivité au seul fait que les éleveurs acceptent de compenser leurs handicaps concurrentiels par une baisse de revenu. De 2007 à 2017, le revenu des producteurs de lait a légèrement baissé, en opposition frontale à la dynamique observée chez nos voisins. Cet état de fait, bien connu dans nos campagnes, pose la question du renouvellement générationnel. Le nombre de chefs d’exploitations est en chute libre : il a été divisé par cinq en quarante ans, quand le cheptel a perdu 400 000 têtes en seulement quinze ans et devrait en perdre encore autant d’ici à 2030. Il en résulte une érosion de notre potentiel productif très importante et très inquiétante quant à notre souveraineté.

Par ailleurs, alors que, entre 2015 et 2021, la production européenne augmentait de 6 %, la production française déclinait de 2 %, faisant de la France le seul pays européen à ne pas avoir su tirer parti de la fin des quotas. Hormis la Bretagne et la Normandie, qui augmentent légèrement leurs volumes, toutes les autres régions françaises ont vu leur production décliner. Tout se passe comme si l’absence de politique de compétitivité conduisait les producteurs à être contraints de réduire leur revenu pour maintenir leurs parts de marché sur tous les segments.

J’en viens maintenant au poulet. Alors que le poulet devenait la viande la plus consommée au monde, la production française n’a augmenté que très légèrement, sans accompagner le doublement de la demande interne. En conséquence, le volume des importations a explosé et, chiffre à retenir, 50 % de notre consommation de poulet est aujourd’hui issue de l’importation. Parallèlement, les exportations françaises ont été divisées par deux depuis 1998, d’où un déficit commercial de 665 millions d’euros en 2021.

La production française se distingue par une forte présence du poulet label, qui plafonne à 20 % de la consommation. Cette spécialisation dans des poulets entiers au poids plus faible que la moyenne a certes trouvé son public, mais elle détourne les producteurs du marché le plus en croissance, celui du poulet à la découpe. Sur ce marché, notamment là où le critère prix est essentiel, en restauration hors foyer ou dans les plats transformés, la France a décroché.

Cette défaite du made in France sur le marché de masse s’explique essentiellement par un manque de politique de compétitivité. Au terme du processus de production, le poulet français est plus cher que celui de ses concurrents, tout en étant 20 % plus petit. Cela s’explique par des coûts de main-d’œuvre plus élevés au stade de l’abattage et par des charges fixes plus élevées en raison d’élevages plus petits : la capacité moyenne en France est plus de deux fois inférieure à la moyenne européenne ou à celle de la Belgique, quatre fois inférieure à celle de l’Allemagne, cinq fois inférieure à la moyenne hollandaise et britannique et vingt fois inférieure à celle de l’Ukraine.

De ces cinq histoires, nous retenons un message : l’absence de politique de compétitivité en matière agricole est une erreur stratégique. Ne nous méprenons pas : nous ne remettons nullement en cause les stratégies ciblées de montée en gamme qui sont rémunératrices. De même, nous n’incriminons aucune filière, aucun acteur agricole ni aucun mode de production : la France agricole est riche d’une diversité qui doit être conservée, car elle est source d’enrichissements mutuels. Nous remettons toutefois en cause le choix de l’État : la montée en gamme pensée comme une solution globale applicable à tous les problèmes de compétitivité de notre agriculture n’est pas une bonne stratégie. Je pense surtout aux risques qu’elle fait peser sur les familles les plus modestes, condamnées à terme à ne consommer que des produits importés plus accessibles, pendant que d’autres pourront se permettre de manger français.

La solution unique du « tout montée en gamme » aboutit à trois effets néfastes. Le premier est l’effet « emmental » qu’a connu la filière lait, quand l’absence de politique de compétitivité affaiblit le revenu des agriculteurs et mite toute la filière, aboutissant à la décapitalisation du cheptel et au non-remplacement des départs à la retraite. Pour tenter d’y échapper, l’État a misé sur une montée en gamme centrée sur le marché intérieur, avec pour conséquence – l’exemple des filières farine et pommes l’a montré – un renversement de situation : les exportations chutent, tandis que sur le marché cœur de gamme, les importations explosent. À la fin, les producteurs ont perdu sur les deux tableaux. C’est ce que nous avons appelé l’effet « tarte Tatin », ou quand l’État raisonne à l’envers.

D’effet « emmental » en effet « tarte Tatin », les producteurs tombent, au terme du processus de montée en gamme intégrale, dans l’effet « repas du dimanche », quand les productions françaises sont, compte tenu de leur prix, réservées à une consommation occasionnelle et que les importations sont privilégiées pour la consommation de tous les jours, comme on le voit dans le cas du poulet et de la tomate.

Particulièrement en ces temps de crise du pouvoir d’achat, mener une politique de compétitivité est un impératif. Il reste néanmoins possible de monter en gamme et de mieux segmenter les filières, tout en accompagnant les agriculteurs.

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