Intervention de Sophie Primas

Commission des affaires économiques — Réunion du 28 septembre 2022 à 9h35
Compétitivité de la ferme france – examen du rapport d'information

Photo de Sophie PrimasSophie Primas :

présidente. – J’y vois une légère ironie !

M. Henri Cabanel. – Vous mettez en cause la surtransposition. En caricaturant, devrions-nous autoriser certains produits phytosanitaires au prétexte qu’ils ne sont pas interdits dans d’autres pays européens ? Votre rapport n’évoque pas assez, à mon sens, la problématique de la santé alimentaire.

Vous évoquez par ailleurs le coût de la main-d’œuvre. Il est certes inférieur au Maroc, mais comparons ce qui est comparable ! Voulons-nous que les salariés français vivent comme les salariés marocains ? On parle de « charges », mais cela inclut, pour rappel, l’assurance maladie, la retraite, etc. Il s’agit pour la France d’un atout énorme que d’autres n’ont pas.

Vous opposez ensuite les exploitations familiales aux grandes exploitations d’autres pays. Faut-il pour autant revenir à l’agriculture intensive ?

Si je partage un certain nombre des recommandations du rapport, je rejoins l’interrogation de M. Montaugé : quel modèle agricole souhaitons-nous pour demain ? Au vu du contexte géopolitique et du changement climatique à l’œuvre, les choses vont évoluer selon moi à l’échelle planétaire. Les modèles d’agricultures compétitives vantés aujourd’hui seront-ils les modèles de demain ?

En matière d’emploi, vos recommandations visant à revaloriser les métiers au travers des lycées agricoles ne me semblent pas de nature à attirer de nouveaux salariés. Le nœud du problème se situe au niveau du revenu agricole et de notre capacité à installer des jeunes.

Concernant l’assurance, je suis très heureux qu’on ait pu mettre en place ce système d’indemnisation, mais je doute qu’il permette d’atteindre une agriculture résiliente. Nous devons nous pencher effectivement sur la question de la moyenne olympique.

Sur la question de l’eau, il faudra en effet permettre à l’agriculture de recueillir l’eau qui tombe en abondance et qui, pour les trois quarts, va à la mer. Nous sommes, dans nos régions, habitués aux épisodes cévenols : il peut ne pas pleuvoir du tout pendant tout un été et tomber 300 millimètres en deux heures. Or sur ces 300 millimètres, le sol ne profite que de 20 millimètres environ. Il y a là une réflexion à mener, de même que sur la structuration des sols, si nous voulons lutter contre la sécheresse. En la matière, nous manquons encore de solutions.

Bien que « décoiffant », ce rapport a le mérite d’ouvrir le débat.

M. Joël Labbé. – Je voudrais tout d’abord saluer le travail de fond réalisé par les rapporteurs. Ceux-ci, d’une manière assumée, défendent un modèle agricole, sur lequel vous connaissez mon point de vue. On se doit de reconnaître qu’il existe et assure une part importante de l’alimentation. Mais s’il est une agriculture durable et vertueuse, tout le monde l’admet, c’est l’agriculture biologique. Il y aurait tout de même une analyse à mener sur ce sujet, au moment où un jeune sur deux aspire à devenir un exploitant agricole « bio », où 19 % des agriculteurs travaillent dans ce secteur pour 10 % des surfaces agricoles françaises. Or l’agriculture biologique souffre d’un manque d’aides, ce qui explique d’ailleurs le coût des produits qui en sont issus. Hier, j’ai assisté à Rennes à un colloque sur un sujet essentiel, la protection des eaux via les périmètres de captage ; sur ces périmètres, au moins, on doit pratiquer une agriculture durable et vertueuse.

N’opposons pas les systèmes ! Prenons-les tous en compte ! Donnons les moyens au secteur émergent de l’agriculture biologique : il n’y a pas de raison d’aider les uns plus que les autres !

M. Patrick Chauvet. – Ce rapport est, certes, décoiffant, mais il est factuel et décrit parfaitement la réalité actuelle de l’agriculture française. À ce sujet, je voudrais faire un parallèle avec le secteur de l’énergie : nous pourrions reproduire la même erreur stratégique que nous avons faite dans ce secteur !

La France, avec sa diversité de produits, est un merveilleux pays pour l’alimentation. Mais la question alimentaire dépasse de loin notre pays et, au regard des perspectives démographiques mondiales, deviendra de plus en plus prégnante dans les années à venir, le réchauffement climatique et le faible potentiel agronomique de certains pays risquant d’entraîner des flux migratoires importants.

Parmi les sujets à creuser se trouve la question de la simplification. Un travail complémentaire me semble pouvoir être réalisé concernant les démarches d’accompagnement des agriculteurs. Prenons l’exemple d’un jeune accueilli dans un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) dans le secteur laitier. L’entreprise de collecte laitière lui propose de produire 300 000 litres de lait pour essayer de maintenir le cap. Cette proposition lui fait dépasser l’effectif de 150 vaches laitières de 12 vaches, ce qui engendre un nouveau processus administratif de déclaration et de contrôle. Deux fois sur trois, lorsqu’un jeune dans ce cas envisage la possibilité d’arrêter la production laitière, on se rend compte qu’il y gagne. Il faut mettre un terme à cette « compliquite » !

M. Bernard Buis. – Ce rapport est effectivement décoiffant. Le secteur agricole est en déclin, subissant une forte perte d’emplois depuis 1975. Néanmoins, j’ai tendance à voir le verre à moitié plein : le déclin très fort que nous connaissons depuis les années 2000 semble enrayé et la situation française se redresse.

Les rapporteurs ont écarté un peu rapidement le « bio », qui peut, selon moi, faire partie des réponses. La France est le leader européen de production biologique, devant l’Espagne. Aujourd’hui, il faut jouer cette carte, comme le recommande la Cour des comptes dans un rapport de juin 2022. Cela manque dans le présent rapport, qui m’apparaît plutôt à charge.

M. Olivier Rietmann. – Je ne trouve ce rapport ni choquant ni décapant. Il met en exergue la réalité, à savoir que notre agriculture se trouve dans une situation catastrophique. Le seul modèle agricole qui vaille est celui qui permet, tout en produisant les produits les plus sains possible, d’alimenter l’ensemble de la population, d’offrir aux agriculteurs les moyens de vivre de leur activité et d’exporter les productions. Ce qui se passe, c’est que nous avons oublié la notion de business, de commerce, de vente – certes, un produit doit être sain, mais il doit aussi intéresser les clients et être abordable –, et nous avons été les seuls à le faire. Pendant ce temps, nos voisins ont continué à évoluer, sans jamais omettre ces notions. Nous nous retrouvons de ce fait avec une agriculture particulièrement vertueuse, pourvoyeuse de produits-modèles, certes, mais inaccessibles à toute une partie de notre population et n’intéressant pas les autres pays. La question n’est donc pas d’opposer deux modèles, ce qui nous ferait courir à la catastrophe ; il s’agit de provoquer un choc réel, de changer nos priorités. Sans cela, la chute sera rapide et vertigineuse. Je caricature, mais nous en sommes là ; il n’y a qu’à voir l’état de notre cheptel bovin !

La situation est critique. Notre agriculture ne remplit plus ses fonctions, ne nourrissant ni la population ni les agriculteurs. Ce rapport propose des mesures de bon sens. Encore faut-il de la volonté politique !

M. Jean-Jacques Michau. – Je souhaiterais juste une précision sur vos préconisations en matière de type d’exploitations agricoles. En début de présentation du rapport, vous avez indiqué que la petite taille des exploitations était un frein ; plus loin, vous avez loué l’intérêt des exploitations familiales. Qu’en est-il précisément ?

M. Daniel Gremillet. – Je félicite nos trois rapporteurs. La photographie qu’ils nous offrent est un peu différente de ce que l’on avait imaginé. La similitude est complète entre le dossier énergétique et celui-ci. Si je fais ce parallèle, c’est pour souligner qu’il faudra du temps pour corriger le tir !

Dans l’échec de la stratégie de montée en gamme, il faut aussi mentionner les conséquences en matière d’impact carbone. Si celui-ci est limité pour une production saisonnière, il peut être très élevé pour une production collectée tous les deux jours, comme le lait. En scindant les collectes, entre lait « bio », lait sous label et autre lait, c’est plus de camions mis sur les routes !

Territoires et agriculture sont mariés. Il faut redonner à notre administration française un rôle de « bâtisseur des territoires ». D’ailleurs, il est incroyable de parler de malbouffe en France ! Pas un produit mis à disposition des consommateurs n’enfreint les règles sanitaires de notre pays ! Il ne faut pas faire de confusion entre qualité et conditions de production...

Je suis très inquiet sur l’avenir de l’élevage. On ne mesure pas les conséquences des décapitalisations, notamment en lien avec les territoires.

Par ailleurs, avez-vous pu établir comment l’Allemagne avait pu aussi rapidement nous détrôner sur un certain nombre de marchés ? Mon constat en tant qu’élu, c’est que la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), en donnant une partie des financements aux collectivités régionales, a abouti à des politiques d’accompagnement très différentes d’une région à une autre. Mais surtout, dans le cadre de la politique de modernisation de l’agriculture, quand les länder allemands étaient au taux maximal autorisé par Bruxelles, soit 40 % des investissements, nous étions, nous, limités à 90 000 euros !

Merci, encore une fois, pour cette photographie, dont l’intensité risque de s’accroître avec la situation inflationniste que nous connaissons. J’insiste sur le fait que l’agriculture française doit être capable de nourrir notre population les jours de fête, mais aussi au quotidien et dans le respect de la diversité de cette population !

Mme Martine Berthet. – Ce rapport, très intéressant, met en avant plusieurs de nos faiblesses, faiblesses que nous avons nous-mêmes créées à force de vouloir laver « plus blanc que blanc ». Sur un sujet qui me préoccupe, la perte en cheptel, accentuée, cette année, par la sécheresse, le rapport mentionne, dans sa recommandation n° 14, la problématique du stockage d’eau. Que faudrait-il faire en plus ?

S’agissant du « bio », on constate, au-delà des prix de ces produits, que le consommateur préfère aussi acheter local. Il a ainsi une vision précise des conséquences de son acte : limitation du transport, impact sur les paysages ou l’emploi local, etc.

Mme Anne-Catherine Loisier. – Je mesure toute l’importance du travail de nos rapporteurs. Il suffit d’avoir pris part à quelques comices agricoles cet été pour savoir que la situation est catastrophique et que les éleveurs sont dans une détresse immense. Les seuls qui s’en sortent à peu près sont ceux qui ont mis en place une méthanisation et l’ont intégrée complètement dans leur système d’exploitation. Le facteur énergétique est donc essentiel pour la pérennité des exploitations.

S’agissant des perspectives d’avenir, je m’inquiète de l’évolution des fameuses clauses miroirs, tout autant que de la taxation aux frontières. J’ai récemment entendu que les États-Unis seraient en mesure d’éviter le projet européen d’imposition de droits de douane, en raison de la similitude de leur objectif climatique avec l’Union européenne. Avez-vous exploré ces questions ? Qu’en pensez-vous ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. – Les Italiens font une promotion très poussée de leurs produits à l’étranger. Ils ont notamment créé le made in Italy. N’est-ce pas toute la politique de positionnement de nos produits agricoles à l’étranger qu’il faudrait repenser et revoir ?

M. Daniel Salmon. – Merci aux rapporteurs pour ce travail, qui présente un certain état des lieux de la production agricole française et de la compétitivité de ce secteur. Il me semble que cette notion de compétitivité est abordée avec une focale trop réduite et que d’autres sujets doivent être pris en compte, comme la durabilité des modèles, le réchauffement climatique, l’érosion de la biodiversité, la santé publique ou l’épuisement des ressources. Si nous en sommes là, aujourd’hui, c’est du fait des modèles qui ont été développés pendant des années !

Le cinquième axe me semble pertinent, puisque nous faisons face aujourd’hui à une concurrence déloyale, permise par des traités de libre-échange qui nous ont mis à nu devant des pays ne se préoccupant absolument pas de l’écosystème terrestre. Par conséquent, il va falloir protéger notre agriculture, mais également se poser la question du juste prix des denrées alimentaires, dont la part dans le budget des ménages n’a cessé de baisser. On parle des gens qui ne peuvent pas se payer du « bio » ; parlons de la paupérisation de la population ! La question est bien de savoir pourquoi la population dans son ensemble ne peut pas se payer une alimentation de qualité, étant précisé qu’il y a tout de même des liens scientifiquement prouvés entre certains problèmes de santé publique et la malbouffe.

Quel modèle durable souhaitons-nous ? Voulons-nous une agriculture familiale et paysanne, ou autre chose ? Pouvons-nous lever un certain nombre de barrières pour revenir à une sorte d’âge d’or où l’on pouvait s’affranchir de certaines préoccupations environnementales ? Cela me semble problématique !

M. Claude Malhuret. – Je voudrais à mon tour remercier les auteurs de ce rapport, même s’ils risquent de me faire passer une mauvaise journée avec leurs conclusions préoccupantes. S’agissant du troisième axe 3, nous retrouvons les difficultés, affectant aussi d’autres domaines en France, pour passer de la recherche à l’innovation et de l’innovation à la production. Vous évoquez notamment le sujet des new breeding techniques, les NBT. Est-ce un sujet anecdotique ou une véritable révolution ? Vous semblez craindre une interdiction de principe dans ce domaine. Pouvez-vous faire un point sur l’avancée du débat au niveau européen ? Allons-nous une fois de plus être les dindons de la farce, en constatant que le reste du monde utilise ces innovations inventées en Europe, tandis que nous les aurons interdites ?

M. Sebastien Pla. – Je remercie à mon tour les rapporteurs de l’important travail réalisé. Je regrette simplement que tous les secteurs agricoles n’aient pas été abordés. Je pense notamment à celui de la viticulture, qui m’intéresse tout particulièrement. Malgré ses 15 milliards d’euros d’excédents sur la balance commerciale, celui-ci subit de plein fouet certaines crises et perd des marchés. Il n’est pas dans une situation plus simple que les autres secteurs agricoles et demande à être protégé.

Un choix a été fait dans le rapport : celui de promouvoir un modèle plutôt que l’autre, l’agriculture intensive plutôt que la biologique. Les deux doivent cohabiter, les deux doivent faire l’objet d’un travail fin et poussé. Elles cohabitent dans le secteur viticole et c’est la raison pour laquelle celui-ci fonctionne.

S’agissant enfin de la gestion de la ressource en eau, il ne faudrait pas que, demain, on ait un choix cornélien à faire entre une agriculture vivrière et une agriculture de loisirs. L’eau va manquer. Il va falloir faire des choix !

Ce rapport présente une photographie : c’est très bien ! Mais celle-ci est peu reluisante et les solutions mises sur la table ne sont pas à la hauteur.

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