La police nationale fait face à de nombreux défis grâce à la capacité d'adaptation, au courage et à l'engagement de ses personnels, dans un environnement toujours plus complexe et particulièrement exposé, comme l'actualité nous le rappelle malheureusement trop régulièrement.
Les efforts budgétaires exceptionnels consentis par la Nation au cours des deux derniers exercices et dans le cadre du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), dans l'hypothèse où ce texte serait adopté par le Parlement, permettent de disposer de moyens et d'équipements qui nous rendent plus performants et nous conduisent à envisager l'avenir avec confiance. Nous avons donc le devoir d'être encore plus efficaces.
La réforme de l'organisation de la police judiciaire s'inscrit dans une réforme plus vaste et ambitieuse de l'organisation et de la gouvernance de la police nationale, importante non seulement pour ses agents, mais aussi pour toutes celles et tous ceux qui aspirent légitimement à bénéficier du meilleur service public dans le domaine de la sécurité intérieure.
La dernière grande réforme de la police nationale remonte à 1966, lorsqu'a été actée la fusion de la sûreté nationale et de la préfecture de police pour créer la direction générale de la police nationale. Plusieurs adaptations ont été réalisées depuis cette date, mais la structuration de la police nationale n'a pas été fondamentalement modifiée. Notre organisation actuelle, avec des directions centrales assez autonomes et un fonctionnement très vertical, est peu adaptée aux défis auxquels nous devons faire face, qui appellent un pilotage coordonné de chacun des métiers, un nécessaire décloisonnement et davantage de déconcentration pour travailler le plus possible autour de problématiques territoriales.
L'unification de la police nationale au niveau départemental avait déjà été tentée dans les années 1990. Certaines directions n'y étaient pas associées, comme la direction centrale de la police judiciaire. Je ne m'engagerai pas dans l'analyse des raisons de l'échec de cette tentative qui était aussi la conséquence d'une alternance politique. Le constat d'une organisation qui peut être améliorée est partagé depuis longtemps par de nombreux acteurs ou observateurs des questions de sécurité intérieure. Le Livre blanc de la sécurité intérieure, publié à l'automne 2020, aborde notamment le sujet de l'organisation de la police nationale, résumé en quelques phrases dans la synthèse du document final : « les forces de sécurité intérieure doivent appréhender leur mission selon une approche plus intégrée ».
D'autres institutions ont pu établir un constat identique et appeler à une réforme des structures. Le rapport de la commission d'enquête du Sénat relative à l'état des forces de sécurité intérieure, conduite en 2018 sous la présidence de Michel Boutant, dont le rapporteur était François Grosdidier, avait émis de nombreuses propositions sur la base du constat d'une organisation « en tuyaux d'orgue ». Il avait souligné que « la police nationale souffre de sa forte segmentation et d'un manque patent de cohésion qui pèse, au quotidien, sur les agents comme sur l'efficacité des services », constaté qu'« un tel cloisonnement se vérifie également au niveau territorial », et déploré que ce fonctionnement en silos nuise indéniablement à l'exercice d'un véritable pilotage ainsi qu'à la définition d'une stratégie globale d'emploi des forces de police sur le territoire.
Dans le rapport du 3 juillet 2019 sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, les députés Jean Michel Fauvergue et Christophe Naegelen ont également évoqué la nécessaire réorganisation sur la base du constat d'un morcellement des services préconisant la restructuration des forces de sécurité en grandes directions par métiers pour mettre fin au fonctionnement en tuyaux d'orgue tout en redonnant des marges de manoeuvre aux responsables locaux.
Je peux également mentionner le référé de la Cour des comptes du 22 décembre 2014 relatif à la fonction de police judiciaire dans la police et la gendarmerie nationales, qui notait un fonctionnement cloisonné des services d'enquête de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) et de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) et prévoyait de ne pas écarter l'hypothèse d'une réforme de l'organisation territoriale de la police nationale visant à intégrer dans un même réseau les services de la DCSP et de la DCPJ, en les dotant localement d'un commandement commun selon le modèle en vigueur à Paris et dans sa petite couronne.
Forte de près de 150 000 personnels, dont plus de 30 000 à la préfecture de police et 4 700 à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la police nationale - direction générale de la police nationale (DGPN) et préfecture de police comprise - traite environ 70 % de la délinquance générale et plus de 83 % de la grande criminalité.
Je n'aborderai pas, dans le cadre de votre mission, le cas particulier de la préfecture de police de Paris, qui n'est pas concernée par cette réforme et qui présente une organisation proche de ce que nous voulons mettre en place, même si elle n'est pas aboutie en raison du traitement d'une partie de la délinquance par une direction un peu équivalente à la direction centrale de la sécurité publique : la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne.
Pour ce qui concerne les services placés sous mon autorité directe, deux directions couvrent l'essentiel des missions de police judiciaire.
La première est la direction centrale de la sécurité publique, direction généraliste qui est la plus grande direction active de la police nationale en termes d'effectifs - plus de 65 000 personnels, dont 17 400 sont affectés à la filière judiciaire, répartis dans 280 circonscriptions de sécurité publique et 92 directions départementales de la sécurité publique - et qui traite quantitativement la part la plus importante des infractions enregistrées par les services de police.
La seconde est la direction centrale de la police judiciaire, direction spécialisée chargée de lutter contre la criminalité organisée, le terrorisme, la cybercriminalité, ainsi que les formes graves et complexes de la délinquance spécialisée. Elle est composée de 5 640 personnels, dont 3 800 enquêteurs répartis dans des services centraux et territoriaux, services centraux organisés autour notamment de quatre sous-directions opérationnelles : la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée, la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière, la sous-direction antiterroriste, la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité, ainsi que l'Office anti-stupéfiants rattaché directement au directeur central de la police judiciaire.
L'organisation territoriale de la DCPJ compte 7 directions zonales, 18 directions territoriales et 39 services de police judiciaire. Je ne peux pas ne pas mentionner le service national de police scientifique - 1 245 personnels - qui pilote l'ensemble de la police technique et scientifique de la police nationale, et les laboratoires de police scientifique qui concourent à l'efficacité de tous les services d'investigation.
À ma connaissance, personne ne semble contester le fait que notre organisation est cloisonnée et très centralisée, entraînant de fait la cohabitation sur un même territoire de services qui relèvent de directions différentes, avec chacun son directeur et son état-major, des bases de données qui ne sont pas toutes partagées, des outils métiers différents, des priorités et une stratégie qui leur sont propres. Il en découle des conflits de compétence, positifs ou négatifs, des doublons et parfois des logiques de concurrence qui nous font perdre en efficience. L'organisation de la police nationale est difficilement compréhensible par nos partenaires et nos interlocuteurs, en particulier les élus et la population.
Par ailleurs, l'exercice d'une même mission aujourd'hui répartie entre plusieurs directions rend par exemple très compliqué, voire impossible, de concevoir une stratégie globale, en particulier pour la mission de police judiciaire. Pour surmonter cette difficulté, nous avons donc signé des protocoles entre les services de la police nationale pour tenter d'harmoniser nos pratiques et coordonner nos actions. Le dernier d'entre eux date du 12 avril 2016 et porte sur la doctrine de coordination de l'investigation entre les services territoriaux de la sécurité publique et de la police judiciaire. Je ne suis pas certain qu'il ait été vraiment mis en oeuvre. Même si ces protocoles ont apporté un peu de fluidité, leur multiplication est révélatrice de la faiblesse de notre organisation.
On peut trouver de bonnes raisons de conclure des protocoles avec la gendarmerie, les polices municipales, l'éducation nationale ou les pompiers, mais protocoliser dans la même institution est bien l'illustration d'un défaut d'organisation.
Cette réforme est donc particulièrement nécessaire pour la filière police judiciaire, qui est confrontée à de grandes difficultés. Les causes de la crise que connaît cette filière sont multiples, dues notamment à une complexification excessive et toujours plus grande de la procédure pénale et une politique des ressources humaines peu adaptée aux spécificités de ces métiers, causes que nous avons identifiées en 2020 dans le cadre d'une initiative de la direction générale de la police nationale rassemblant tous les services autour d'une coordination nationale de l'investigation.
Un certain nombre de facteurs ont contribué à ce que la filière investigation de la police nationale soit malheureusement moins efficace qu'elle n'a pu l'être dans le passé. Sur la période 2010-2019 - je ne prends pas en considération l'année 2020, qui est singulière en raison de la crise sanitaire -, le volume global de la délinquance traité par les services de police a varié assez peu avec une moyenne de 2,4 millions de faits enregistrés par an. Il convient de souligner que la direction centrale de la sécurité publique traite l'essentiel de la délinquance enregistrée par la police nationale, y compris pour les faits relevant de la criminalité organisée : 59 % de l'agrégat de la grande criminalité pour la DCSP contre seulement 8 % pour la DCPJ et 29 % pour la préfecture de police.
Toujours sur la période 2010-2019, les taux d'élucidation ont baissé de manière constante et significative, quel que soit l'agrégat concerné : atteintes aux biens, atteintes aux personnes ou délinquance économique et financière : moins 12 points pour les violences non crapuleuses, moins 15 points pour les violences sexuelles, moins 2 points pour les atteintes aux biens, qui sont déjà très faiblement élucidées, moins 16 points pour les infractions économiques et financières. Cette évolution n'est donc pas la conséquence d'une augmentation du volume des faits à traiter. La baisse de la performance globale de la filière contribue aussi en partie à la constitution de stocks de procédures dans les services généralistes. Au mois de juin 2022, le nombre total des procédures en portefeuille pour les services de la direction centrale de la sécurité publique s'élevait à plus de 1,5 million, soit une moyenne de 104 procédures par enquêteur, avec de fortes disparités selon les départements.
Par ailleurs, j'entends certains magistrats dire publiquement que la qualité des procédures est en baisse et exprimer le constat d'un retrait de l'encadrement, officiers et commissaires, dans la conduite des enquêtes. Il est vrai que les policiers du corps d'encadrement et d'application, qui constituent aujourd'hui l'ossature de la filière investigation des services de la sécurité publique, ne sont pas assez formés et insuffisamment encadrés. Ce dernier point est à mettre en relation avec le faible taux d'encadrement des services d'investigation généralistes : 5 % pour la direction centrale de la sécurité publique, contre environ 30 % pour la direction centrale de la police judiciaire, conséquence directe de la déflation des corps d'officiers et de commissaires. En général, la réponse attendue aux difficultés s'exprime souvent sous la forme de demandes de renforts, qui sont parfois nécessaires même s'ils ne sont pas tous porteurs de la solution.
En effet, en ce qui concerne l'investigation, on observe que la hausse des effectifs des enquêteurs - de 17 % entre 2015 et 2020 - n'a pas été suffisante pour enrayer cette crise. Hors préfecture de police, la filière investigation de la direction générale de la police nationale était ainsi composée de 21 300 enquêteurs en 2020, contre 17 800 en 2015, cette hausse concernant non seulement la direction centrale de la sécurité publique, mais aussi la DCPJ avec une augmentation de l'ordre de 20 %. On ne peut donc pas réduire la question de la crise à la seule question des moyens alloués à la filière. La question de son pilotage global doit être posée et ne pourra se résoudre dans le cadre de notre organisation actuelle, qui doit impérativement évoluer.
Je ne veux pas laisser penser que ce constat n'est que négatif, l'activité des services d'investigation de la police nationale ayant été très fortement dirigée vers la lutte contre les trafics de stupéfiants et contre le terrorisme pendant cette période très singulière.
Cette démarche de transformation de la police nationale a été entreprise dès le mois de janvier 2020 avec la création de trois directions territoriales de la police nationale en outre-mer. Des directions territoriales de la police nationale ont ainsi été mises en place le 1er janvier 2020 à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie et en Guyane, département qui comptait alors une direction départementale de la sécurité publique, une direction départementale de la police aux frontières, une antenne de police judiciaire et une antenne de l'Office anti-stupéfiants, puis à La Réunion, en Guadeloupe, en Martinique et en Polynésie française le 1er janvier 2022.
Les raisons avancées à l'époque conservent toute leur pertinence, puisqu'il s'agissait notamment d'améliorer l'efficacité de la gouvernance en développant un pilotage et une vision uniques de l'activité policière, cette unicité de commandement permettant de dépasser l'organisation en silos des directions centrales et de fonctionner davantage dans une logique métier sur ces territoires délimités.
Des enseignements sont tirés de ce qui relevait donc non pas d'une expérimentation, mais bien d'une mise en oeuvre concrète : davantage de solidarité entre les services et de fluidité dans le travail quotidien, une simplification, représentée par le fait de n'avoir qu'un seul interlocuteur pour toute la police nationale qui dispose de l'ensemble des leviers et des métiers de la police pour répondre aux préoccupations, la disparition des logiques de concurrence entre services et une meilleure prise en charge des victimes grâce à des services territoriaux de police judiciaire mieux organisés et plus réactifs, un meilleur suivi des dossiers et une plus forte implication de la chaîne hiérarchique dans la gestion des portefeuilles de toute la filière permettant de rétablir localement des situations en s'appuyant sur le savoir-faire de la police judiciaire en ce qui concerne la Guyane.
La police nationale dispose désormais, dans ces territoires, d'une capacité de mobilisation plus importante sans que l'expertise de la police judiciaire soit remise en cause ou que ces moyens soient réorientés vers le traitement de la délinquance de masse.
En métropole, huit expérimentations à droit constant sont menées dans le Pas-de-Calais, les Pyrénées-Orientales et la Savoie, depuis le mois de janvier 2021, et dans le Calvados, l'Hérault, l'Oise, le Puy-de-Dôme et le Haut-Rhin depuis le mois de février 2022. La particularité est que nous procédons à ces expérimentations à droit constant, avec un fonctionnement moins intégré, l'efficacité du dispositif reposant principalement sur la bonne volonté des personnes concernées. Nous enregistrons cependant des progrès opérationnels significatifs grâce à un regroupement des différents états-majors en un seul, compétent pour toute la police nationale, avec un partage exhaustif des informations entre les filières et la capacité de mettre en place une stratégie globale à l'échelle du territoire et des opérations associant mieux les diverses spécialités de la police, avec la mise en place d'une conférence radio unique pour toutes les directions, de façon à mutualiser les moyens et accroître le nombre de patrouilles disponibles en cas d'intervention complexe, et enfin avec la prise en charge de déferrements au tribunal par des effectifs en tenue, alors que jusqu'à présent les enquêteurs avaient l'obligation de les assurer.
Un des objectifs de cette réorganisation est de rendre le travail de tous les policiers plus simple et plus fluide : pas de concurrence entre services, un renoncement à la conduite d'actions sur la base d'informations parcellaires détenues par chacune des directions, des réponses plus rapides de la chaîne hiérarchique, des possibilités d'évolution professionnelle à l'intérieur d'une filière ou entre filières en fonction des aptitudes et de la motivation, une politique de formation continue plus proche des besoins du terrain, de véritables parcours de carrière pour disposer de profils plus diversifiés et polyvalents, des capacités de renfort plus importantes en cas de coup dur opérationnel. Nous aspirons à une police plus efficace, plus proche des victimes, capable de réaliser des enquêtes de qualité, quelle que soit la nature des infractions.
La future organisation permettrait un pilotage coordonné de la filière police judiciaire, non seulement pour orienter l'activité opérationnelle des services mais également pour améliorer la conception et la mise à la disposition de tous les enquêteurs de référentiels professionnels communs et d'outils numériques qui seront de nature à simplifier leur activité ; l'identification précise des besoins en formation et la mise en place de modules de formation en adéquation avec ces besoins ; le suivi des portefeuilles d'affaires pour identifier rapidement les services en difficulté et mettre en place des dispositifs de soutien.
Ce pilotage unique, difficile à mettre en place actuellement en raison de l'éclatement des services, sera également de nature à accélérer la modernisation de nos méthodes de traitement du renseignement criminel et plus largement de la circulation de l'information opérationnelle. Il nous permettra par ailleurs de garantir une bonne allocation des moyens grâce à une vision plus précise des niveaux d'activité et des charges des services. On ne peut pas négliger non plus que la mutualisation des états-majors, des structures d'analyse et des fonctions support pourra conduire à la réalisation d'économies dans le domaine de l'équipement et à des gains sur des fonctions redondantes.
Enfin, nous souhaitons moderniser la gestion des ressources humaines (RH), créant de nouvelles perspectives d'évolution professionnelle pour tous grâce à une RH unifiée, offrant des parcours plus diversifiés et plus enrichissants avec un processus de décision plus rapide.
Dans l'attente du projet définitif, les grandes lignes de cette réorganisation ont été affinées à partir des retours du terrain. Le niveau des directions nationales doit être un échelon non plus de gestion des personnels mais essentiellement de stratégie et de pilotage. C'est la raison pour laquelle les directions centrales deviendront des directions nationales chargées de définir et d'animer l'activité des quatre grandes filières métiers de la police nationale : la sécurité et la paix publique, le renseignement territorial, la police judiciaire, les frontières et l'immigration irrégulière. Les directeurs disposeront d'une capacité de pilotage stratégique sur l'ensemble du métier concerné. Ils auront également, placées directement sous leur autorité, des entités nationales opérationnelles.
En ce qui concerne la future direction nationale de la police judiciaire, les offices centraux et les autres services à compétence nationale ou de soutien opérationnel seront maintenus, certains d'entre eux, comme l'office cyber, verront leurs attributions et leurs moyens renforcés. Ces filières seront déclinées au niveau zonal et au niveau départemental dans des configurations différentes d'un territoire à l'autre, tenant compte des spécificités de la criminalité et des enjeux sécuritaires locaux.
Le niveau zonal permettra à la direction générale de la police nationale d'avoir un relais territorial pour animer et coordonner l'action des directions départementales dans le strict respect - j'insiste sur ce point - des prérogatives des préfets et de l'autorité judiciaire. Pour la filière police judiciaire, il est envisagé d'y implanter certaines structures de soutien opérationnel, comme les brigades de recherche et d'intervention, le service interministériel d'assistance technique, des fonctions cyber qu'il est difficile de multiplier à l'infini, l'aspect saisie des avoirs criminels, et un service chargé des enquêtes sur les atteintes à la probité.
Le directeur zonal sera assisté d'adjoints en charge des filières métiers, dont un pour la police judiciaire qui veillera à ce que tous les services territoriaux de police judiciaire fonctionnent selon les règles fixées par une doctrine. Les quatre futures filières métiers disposeront chacune d'une doctrine d'emploi et de fonctionnement, permettant ainsi de connaître précisément le périmètre des missions assignées.
Cette méthode de la doctrine a été instaurée en 2013, pour définir le cadre d'action du renseignement territorial. Jusque-là, ce service ne disposait d'aucune doctrine, ses missions et son organisation fluctuant au gré des priorités. Ce document a ainsi permis d'empêcher que certains directeurs départementaux soient tentés de confier aux policiers de ses services des missions qui ne relevaient pas de leur compétence.
Enfin, le niveau départemental sera l'échelon territorial de référence pour l'animation et la coordination opérationnelle de l'action de l'ensemble des services implantés sur ce territoire, sans préjudice de la compétence interdépartementale des futurs services de police judiciaire qui sera préservée.
En ce qui concerne le service interdépartemental de la police judiciaire, qui verrait ses marges de manoeuvre anormalement contrariées par le DDPN du lieu de son implantation, le directeur zonal de police judiciaire (DZPJ) aura pour mission de veiller au respect des règles de fonctionnement.
La chaîne hiérarchique, en lien étroit et permanent avec l'autorité judiciaire, devra garantir la meilleure réponse possible aux départements limitrophes, dont les capacités d'enquête pourraient être limitées.
Sous l'autorité des directeurs départementaux de la police nationale, les circonscriptions de sécurité publique deviendront des circonscriptions de police nationale. Ce regroupement des missions de police judiciaire dans une seule filière favorisera le meilleur niveau de spécialisation des services d'enquête en tout point du territoire national.
Le maintien de l'empreinte territoriale et de l'expertise de l'actuelle direction centrale de la police judiciaire est essentiel, car elle dispose en effet de pôles d'excellence.
Alors que la direction actuelle est constituée de 5 000 agents, la future direction nationale de la police judiciaire animera et pilotera le travail de plus de 23 000 enquêteurs, ce qui apportera une vue et une approche globales qui ne pourront qu'être bénéfiques à l'ensemble.
Contrairement à ce qui peut être dit ou écrit, les structures de la police judiciaire ne disparaîtront pas ; elles seront maintenues partout où il existe une implantation d'un service de police judiciaire.
Le parquet ou le juge d'instruction choisira évidemment toujours librement la formation qu'il souhaite saisir. L'autorité judiciaire continuera d'exercer sa mission de direction et de contrôle de la police judiciaire. La réforme évitera le risque de conflit négatif de compétence auquel les parquets sont parfois confrontés lorsqu'aucun des services d'enquête du ressort ne souhaite traiter une saisine.
Enfin, les directeurs départementaux de la police nationale seront choisis pour leur aptitude à prendre en compte toutes les filières métiers de la police nationale. Les DDPN de demain ne seront pas systématiquement les directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP) d'aujourd'hui : des profils seront identifiés au sein de toutes les directions actuelles pour exercer un nouveau métier, celui de chef de police.
Notre système d'évaluation des cadres de la police nationale a été renforcé en nous inspirant du dispositif du Conseil supérieur de l'appui territorial et de l'évaluation (CSATE), c'est-à-dire une évaluation à 360 degrés, en vigueur pour les membres du corps préfectoral. Le choix des femmes et des hommes qui dirigeront ces directions départementales est en effet déterminant pour la réussite de cette transformation.
Afin de dissiper certaines inquiétudes, j'ai tenu à adresser un courrier à chacun des agents de la direction centrale de la police judiciaire pour expliquer le sens de la réforme et prendre des engagements que je vais rappeler devant vous.
Les enquêteurs de la police judiciaire continueront à agir en dehors de leur territoire d'affectation, sur la base de compétences judiciaires élargies ; les capacités opérationnelles spécialisées dont dispose aujourd'hui la direction centrale de la police judiciaire seront renforcées ; la doctrine garantira les capacités d'initiative et la préservation du temps long nécessaires à l'aboutissement des affaires les plus complexes ; les effectifs relevant actuellement du périmètre de la direction centrale de la police judiciaire ne seront pas mis à contribution pour traiter les stocks de procédure. Enfin - j'insiste là-dessus -, aucun agent de la police judiciaire ne sera contraint de changer de métier ou de résidence administrative.
Nous souhaitons que cette nouvelle organisation soit mise en place au cours de l'année 2023, soit plus de deux ans après le début des travaux, et avant l'échéance de l'année, sans doute difficile pour les forces de sécurité intérieure, des jeux Olympiques et Paralympiques.
En conclusion de ce propos introductif, je veux être très clair et ferme à propos de la direction centrale de la police judiciaire et de ma détermination intacte et totale à lutter contre la criminalité organisée et à faire traiter les faits les plus graves par les services spécialisés.
Toute réforme suscite des inquiétudes, des interrogations : je les entends et je les comprends. Elles ne doivent cependant pas nous faire perdre de vue l'essentiel : la réforme de l'organisation de la police nationale est nécessaire pour permettre aux agents d'accomplir leur mission dans les meilleures conditions possible, aux magistrats de disposer de services encore plus efficaces, capables de produire des procédures de meilleure qualité, quelle que soit l'infraction concernée, et aux victimes d'être prises en charge à la mesure du préjudice et du traumatisme qu'elles subissent.
Ce projet de réforme se fonde sur des constats, des rapports et des expérimentations.
Ayant servi pendant trente années au sein de la police judiciaire dans des services opérationnels, territoriaux et centraux, spécialisés dans la lutte contre la criminalité organisée ou le terrorisme, ma conviction est très personnelle.
Je suis entré dans la police pour faire un travail de police judiciaire. Je connais la valeur des femmes et des hommes avec qui nous avons fait face à des situations très difficiles, et résolu bon nombre d'affaires très complexes. Je n'imagine pas les trahir et renoncer à l'idéal que nous avons partagé et qui m'anime toujours.
Je peux donc vous l'affirmer : non, les services de la direction centrale de la police judiciaire ne vont évidemment pas disparaître. Dans certains territoires et pour certains contentieux, ils seront même renforcés.
Oui, l'autorité judiciaire aura toujours la même capacité à choisir la formation qui lui paraît être la mieux à même de traiter un dossier et d'exercer son contrôle sur les services de police chargés de l'investigation.
Nous allons bâtir une organisation qui nous permette de mettre un terme aux défauts relevés par toutes les institutions qui se sont penchées sur notre fonctionnement, afin de répondre encore mieux aux nombreux défis que nous imposent l'exigence de protection des personnes et des biens, les aspirations légitimes des victimes et la protection des libertés individuelles et collectives.