Intervention de Frédéric Veaux

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 28 septembre 2022 à 9h30
Proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce — Examen du rapport et du texte de la commission

Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale :

Madame la rapporteure, concernant le calendrier, je vous indique que nous n'avons pas arrêté de date. Cette réforme est compliquée à mettre en oeuvre, notamment sur le plan réglementaire. Nous devons terminer la cartographie budgétaire, la cartographie des emplois, et laisser un peu de temps aux échanges. Je peux simplement vous dire qu'elle interviendra avant le 31 décembre 2023 pour que nous puissions nous consacrer uniquement aux jeux Olympiques et Paralympiques en 2024.

Je distingue ce qu'il se passe en outre-mer et en métropole. Curieusement, la mise en place de cette réforme en outre-mer n'a suscité aucune réaction. Nous étions pourtant confrontés aux mêmes enjeux et éventuelles difficultés que c'est le cas aujourd'hui en métropole.

La Guyane fait en quelque sorte office de laboratoire, car sa situation est proche de celles dans lesquelles nous pouvons nous retrouver en déclinant cette réforme en métropole.

Après quelques difficultés, que l'on rencontre à l'occasion de tout changement de méthode et de responsabilités exercées, la chaîne est désormais très fluide. Les cadres de la police judiciaire s'impliquent dorénavant dès la prise de plainte ou les constatations au moment où un fait se déroule.

L'un des objectifs de cette réforme est d'aborder cette chaîne du traitement des infractions de la constatation ou de la prise de plainte jusqu'au moment où l'affaire peut devenir extrêmement complexe et rebondir sur des enjeux que l'on n'avait pas imaginés au départ, tels que des règlements de compte ou des trafics très élaborés.

J'ai auprès de moi, à la direction générale de la police nationale, un chef de la mission outre-mer qui se trouve être l'ancien directeur interrégional de la police judiciaire Antilles-Guyane. Il se déplace souvent et connaît très bien ces territoires et me fait état de retours extrêmement positifs, surtout pour les enquêteurs, qui sont en première ligne et constataient jusqu'à maintenant un abandon de la chaîne hiérarchique - je l'ai indiqué précédemment, le taux d'encadrement pour la sécurité publique est très faible.

Au premier niveau du traitement de la délinquance, les enquêteurs sont souvent un peu livrés à eux-mêmes, insuffisamment pilotés, formés et accompagnés, alors que ce sont eux qui traitent au quotidien avec le magistrat du parquet qui les a saisis.

Le premier effet bénéfique, c'est donc la prise en compte de cette chaîne, essentielle pour le fonctionnement quotidien de la police judiciaire.

Par ailleurs, les affaires complexes se nourrissent aussi de tout petits faits du quotidien et de la connaissance du terrain. Donc, en matière de partage de renseignements, c'est aussi un progrès considérable : nous avons dorénavant des bases communes pour exploiter les renseignements et effectuer des rapprochements entre différents faits.

Je ne dispose pas de retours négatifs sur l'expérimentation en outre-mer. Nous constatons de nombreux effets positifs sur d'autres métiers de la police nationale, tels que l'ordre public ou le traitement de l'immigration irrégulière.

Pour ce qui est de la métropole, ces expérimentations reposent largement sur la personnalité des préfigurateurs et sur la manière dont les choses s'organisent localement. Nous avons des départements où cela fonctionne très bien, et d'autres moins bien. Cela tient à des questions de personnes ou de manières d'aborder les choses, mais aussi à des singularités locales.

Par exemple, dans le Pas-de-Calais, l'antenne de police judiciaire locale se situe sur le littoral - elle est implantée à Coquelles, à côté de Calais - et n'exerce donc pas ses compétences sur l'ensemble du département.

Par ailleurs, certains préfigurateurs ont parfois tenté de remplir des missions qui n'entraient pas dans le périmètre défini, ce qui a fait l'objet de rappels à l'ordre.

Ces pratiques ont montré que nous avions besoin d'une doctrine fixant très précisément à la fois les missions de chacun et les objectifs qu'on leur assigne. L'organisation doit être mise en place dans un second temps.

L'une des craintes le plus souvent mise en avant, c'est que la police judiciaire se dilue dans la masse des affaires traitées par la sécurité publique, avec toutes les contraintes que cela comporte. C'est la raison pour laquelle j'ai pris des engagements fermes, notamment pour ce qui relève du traitement des stocks de procédure.

Le but est d'éviter toute tentation de la part d'un cadre, qui n'aurait pas compris les objectifs fixés, de s'écarter des règles.

Je reviens à l'outre-mer, car j'ai oublié de mentionner un point très positif. Il a souvent été reproché à la police judiciaire de ne pas être présent à la Réunion et en Polynésie française. Si les parquets ou les juges d'instruction locaux avaient besoin d'un service spécialisé dans le domaine économique et financier, ils saisissaient de manière très exceptionnelle l'office central situé à Paris. Cet office central envoyait des enquêteurs faire les perquisitions, avant de revenir quelques semaines ou mois plus tard pour procéder aux gardes à vue.

Avec la mise en place de la réforme en outre-mer, nous avons créé un troisième niveau d'investigation à la Réunion, et bientôt en Polynésie, en envoyant sur place des enquêteurs économiques et financiers « brevetés » par la direction centrale de la police judiciaire. Cela nous a donc permis de créer des moyens d'investigation qui n'existaient pas auparavant.

Madame la rapporteure, vous avez posé une question à propos de la direction nationale de la police judiciaire. Actuellement, les directions centrales doivent gérer les ressources humaines pour les effectifs dont ils ont la charge. Cela a un effet très négatif : l'avancement, les mutations, les parcours de carrière ne sont considérés que sous le prisme de la direction à laquelle ils appartiennent.

Je cite souvent l'exemple - que les directeurs concernés me pardonnent, mais il est absolument révélateur du caractère parfois ubuesque de notre organisation - de trois commandants de police, chefs de brigade de recherche et d'intervention (BRI), qui quittaient la DCPJ. Ils exerçaient des responsabilités importantes, étaient très bien notés, et rejoignaient la direction de la coopération internationale de sécurité.

Ils étaient éligibles à un avancement. Le directeur central de la police judiciaire m'a dit : « Ils le méritent, ils sont compétents, mais ils s'en vont, donc je ne les propose pas. » Je suis donc allé voir la directrice centrale de la coopération internationale de sécurité qui m'a dit : « Ils sont sans doute très bons puisqu'on les a choisis, ils vont occuper des postes à responsabilité, mais moi je ne les propose pas parce qu'ils arrivent. »

C'est révélateur de l'aspect cloisonné de cette organisation. J'insiste, car il ne faut pas perdre de vue ce qui nous a amenés à envisager cette réforme, et la manière dont les diagnostics ont été posés par d'autres que nous. Ce cloisonnement, constaté par tous, nuit énormément à notre efficacité. Celui ou celle qui, demain, aura la responsabilité de la filière police judiciaire disposera de la capacité à définir une stratégie commune à l'ensemble de la filière.

Je l'ai dit tout à l'heure, et on vous remettra le document, le dernier protocole qui a été signé sur la coordination des investigations a dû être signé par deux directeurs, puis validé par le directeur général, pour indiquer à tous comment procéder, avec une liste de choses à faire. Ce n'est pas ma façon de concevoir le fonctionnement d'une direction comme celle de la police nationale.

Sur une mission identifiée, nous devons être capables de définir une stratégie et de s'assurer de sa mise en oeuvre en fournissant des objectifs clairs, des moyens adaptés, des formations et des outils de pilotage qui nous permettent d'y voir clair et ne diffèrent pas selon les directions.

Le futur directeur national de la police judiciaire sera le garant de la bonne cohérence et de l'efficacité de cet ensemble.

Madame la rapporteure, vous avez posé une question sur le choix de l'enquêteur ; je crois y avoir répondu : nous n'avions aucunement l'ambition de réécrire le code de procédure pénale. Peut-être, pour répondre à d'autres questions, mériterait-il de l'être, mais il est hors de propos d'imaginer qu'on puisse faire autrement concernant le libre choix des magistrats.

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué une levée de boucliers massive ; tout dépend de la définition qu'on donne de la masse... J'observe, il est vrai, qu'elle concerne une partie des enquêteurs de la police judiciaire. Ils ne sont pas très nombreux si on les rapporte au nombre de policiers de cette administration, ce qui ne veut évidemment pas dire que leur inquiétude ne doit pas être prise en compte.

C'est pour cette raison que j'ai essayé, dans un document que je partagerai bien sûr avec la mission d'information, de répondre à certaines des interrogations d'une manière la plus concrète et la plus directe possible.

Vous évoquez aussi le Conseil national des barreaux ; je m'étonne toujours de voir ce dernier s'intéresser au fonctionnement de la police. Je pense que cette instance n'a pas une bonne connaissance de ce que nous projetons de faire.

Pour ce qui est de la Conférence nationale des procureurs de la République, je précise que je me suis évidemment adressé à son bureau pour expliquer le sens de la réforme. C'était en visioconférence, car les échanges étaient alors compliqués, mais, grâce à la Chancellerie, j'ai pu m'adresser à l'ensemble des procureurs de la République et des procureurs généraux au tribunal judiciaire de Paris, ce qui regroupe toutes les juridictions.

Par ailleurs, nous avons proposé à la Chancellerie de déléguer un magistrat pour intégrer l'équipe projet afin de prendre en compte les attentes, les questions et les inquiétudes de la magistrature. Ils n'ont pas pu de le faire pour des raisons d'organisation interne. Pour autant, l'équipe projet de la DGPN a des contacts extrêmement réguliers avec un magistrat du bureau de la police judiciaire de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG). Moi-même, dans le cadre de mes déplacements dans les directions de la police judiciaire, je prends le soin d'aller voir les procureurs de la République du ressort et le président du tribunal.

La justice doit être associée à ce projet et en comprendre tous les enjeux, c'est incontournable.

La police judiciaire ne doit évidemment renoncer à rien et nous devons être attentifs aux défis de demain. Mais je regarde aussi tout le reste, et en premier lieu le quotidien de la population. Quand quelqu'un se fait arracher son sac ou son collier dans la rue, il ne se demande pas si c'est par un dealer du coin, un SDF, un voleur d'habitude ou un membre d'un groupe criminel organisé venant des Balkans ou d'ailleurs. Ce que veut cette victime, c'est d'être bien accueillie dans un commissariat, que sa plainte soit traitée, d'être informée de la manière dont l'enquête se déroule et, surtout, que l'auteur soit arrêté et d'obtenir réparation pour le préjudice qu'elle a subi.

C'est la direction centrale de la sécurité publique, si on se réfère aux agrégats de la statistique, qui traite l'essentiel des faits de criminalité organisée, dont on sait qu'elles tirent leurs profits de la multiplication de tout petits faits, et de manière itinérante. Nous devons donc être en mesure d'analyser de manière sérielle un ensemble de petits faits qui, pris de manière isolée, ne justifient pas qu'un parquet engage des poursuites, mais qui, réunis, vont nous permettre d'avoir un impact pénal beaucoup plus important.

Vous avez, monsieur le rapporteur, parlé du lien entre le préfet et les politiques. Mon intervention d'hier sur France 2 a été mal comprise. J'ai exercé ces fonctions pendant quatre ans, j'en retire une certaine fierté et je suis convaincu que les préfets sont de grands serviteurs de l'État et de la République. Le préjugé selon lequel les préfets se mêleraient d'enquêtes judiciaires, au regard des relations qu'ils entretiennent localement avec des élus, est injurieux.

Je ne dis pas ça pour vous, monsieur le rapporteur, mais cela ressort notamment d'observations formulées par des syndicats de magistrats. Le préfet est le représentant du Gouvernement dans le territoire. Il est à ce titre en relation avec des élus mais, sur le plan local, il n'est pas soumis à des pressions politiques, en tout cas certainement pas dans le cadre d'un suivi éventuel de procédures judiciaires.

Si je me réfère au fonctionnement de Paris, dont le préfet a sous son autorité la direction régionale de la police judiciaire de Paris, qui compte une brigade financière, je n'ai jamais entendu dire que les préfets de police se mêlaient des enquêtes judiciaires. Ce n'est ni ce qu'on leur demande ni leur intérêt et, dans le cadre du contrôle social qui est aujourd'hui en place, si un jour cela devait arriver cela se saurait immédiatement.

Par ailleurs, à mon niveau, je dépends directement de l'autorité du ministre de l'intérieur et j'ai à mes côtés un directeur central de la police judiciaire qui est placé sous mon autorité et s'occupe des services les plus spécialisés dans la lutte contre la délinquance économique et financière. Or, je ne me mêle pas de la manière dont les enquêtes sont conduites.

Dans la police et dans le corps préfectoral, tout le monde a bien en tête la répartition des compétences et des prérogatives. C'est la prérogative de l'autorité judiciaire que de diriger et contrôler la mission de police judiciaire. Pour cette raison, nous souhaitons d'ailleurs introduire dans le système d'évaluation des futurs directeurs départementaux de la police nationale la possibilité pour l'autorité judiciaire d'exprimer une appréciation circonstanciée sur la manière dont ces directeurs s'intéresseront à la mission de police judiciaire.

J'entends ce que dit M. le procureur général près la Cour de cassation. Je n'ai pas à discuter à distance avec lui. Je pense d'ailleurs que les extraits repris par les médias sont issus de propos plus construits. Je partage son exigence relative à la préservation des conditions dans lesquelles les services de la direction centrale de la police judiciaire exercent leurs compétences ; j'y suis tout autant attaché que lui.

Mais que fait-on pour le reste ? Je n'entends personne parler de la petite et moyenne délinquance, qui couvre l'essentiel des faits. Or, ne nous faisons pas d'illusions, si ça craque sur ces sujets, tout le reste suivra.

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