Je ne me suis pas caché, j'ai posé des constats que nous faisons au quotidien, et qui ont également été faits par les commissions du Sénat et de l'Assemblée nationale, par la Cour des comptes, et par d'autres qui s'intéressent au fonctionnement des services de sécurité intérieure.
En ma qualité de directeur général de la police nationale, je ne peux pas me contenter de garder ce qui fonctionne bien si c'est au détriment de tout le reste. J'attends de mon successeur qu'il s'occupe de traiter le problème. Notre objectif, c'est de protéger ce qui fonctionne bien, de nous appuyer sur les méthodes et les principes qui font l'efficacité de la police judiciaire pour les appliquer à l'ensemble de la chaîne. Ainsi, les cadres de la police judiciaire qui se sont investis dans ce métier par vocation et ont acquis des compétences et de l'expérience seront impliqués sur toute la chaîne.
Nos métiers ont changé, les protocoles des corps et des carrières ont changé. Jeune commissaire de police à la police judiciaire, je partais faire des perquisitions, des planques, je m'occupais des gardes à vue... C'était ça le travail d'un commissaire de police à l'époque, à la manière des enquêteurs de police chez les gardiens de la paix.
Une grande réforme des corps et carrières a ensuite fait diminuer le nombre de commissaires et d'officiers de police tout en augmentant le niveau de responsabilités du corps d'encadrement et d'application en redéfinissant les missions et le rôle de chacun. En conséquence, la fonction d'un commissaire ou d'un officier de police - sauf quelques situations très spécialisées - consiste désormais d'abord à encadrer, piloter, fixer des objectifs, servir d'interlocuteurs à l'autorité judiciaire et ne pas laisser les enquêteurs sous sa responsabilité se débrouiller avec les difficultés qu'ils rencontrent.
Vous m'avez interrogé, monsieur le rapporteur, sur la réduction de nos capacités à nous projeter. Non, nous ne réduisons pas ces capacités. D'abord parce que nous ne touchons pas aux offices centraux ni à leurs antennes un peu partout sur le territoire et, ensuite, parce que j'ai pris l'engagement de maintenir, partout où elles se trouvent, les implantations de la police judiciaire avec les mêmes compétences territoriales et judiciaires.
J'aimerais vous faire part d'une situation personnelle que j'ai connue - il y a quelques années, c'est vrai - lorsque j'étais chef de la division des stupéfiants et du proxénétisme à Marseille. Nous avions des groupes qui traitaient le trafic international. Mais, pour être efficace sur le trafic international, il faut savoir ce qui se passe sur le terrain ; c'est de là que proviennent nos renseignements. Nous avions donc - déjà à l'époque - des groupes « cités ».
La police judiciaire devait récupérer les mises à disposition, que nous appelions le ramassage, mais cela a pris de telles proportions que la Sécurité publique a récupéré cette prérogative. Or, comme le ramassage permet d'accumuler les renseignements, les services de la Sécurité publique se sont mis à traiter les mêmes dossiers sur les cités et se sont retrouvés en concurrence avec ceux de la police judiciaire. Nous nous trouvions au même endroit, à signer un protocole, à mettre en place des instances de coordination, et à nous disputer les objectifs et les renseignements.
Nous avons besoin de coordination, d'une répartition cohérente des tâches et des missions afin de ne pas nous retrouver à être plusieurs à traiter les mêmes sujets.
Monsieur Hervé, vous avez évoqué la Lopmi dont vous êtes co-rapporteur. En ce qui nous concerne, il s'agit de deux démarches très différentes. Nous attendons beaucoup de la Lopmi : sur l'aspect budgétaire, sur la dimension juridique, sur la simplification du code de procédure pénale, ou encore sur les renforts humains.
Madame Mercier, le cloisonnement des services est malheureusement une réalité de notre quotidien. Toutefois, pendant le confinement, grâce à une instruction du directeur général, les effectifs de la direction centrale de la police aux frontières (PAF) sont bien allés patrouiller sur le terrain aux côtés de ceux de la Sécurité publique puisque l'activité dans les aéroports, les ports et les centres de rétention administrative était quasi nulle.
Monsieur Mohamed Soilihi, à Mayotte, les enjeux ne relèvent pas vraiment de la police judiciaire. Il s'agit, d'une part, de faire face aux violences que vous avez évoquées, et, d'autre part, de traiter le flot de migrants irréguliers qui arrivent quotidiennement dans l'île en provenance des Comores. Ces sujets sont donc du ressort de la sécurité publique et de la police aux frontières.
Toutefois, la réforme permet dorénavant au DDPN, en fonction des situations auxquelles il est confronté, de faire appel à la PAF pour renforcer les services en charge de l'ordre public, ou, réciproquement, de faire appel aux services en charge de l'ordre public pour renforcer les services de la PAF afin d'effectuer les retours aux frontières dans les meilleures conditions possibles.
Monsieur Bonnecarrère, vous semblez douter de l'augmentation du nombre d'enquêteurs ; je vous assure qu'il n'y a pas de chiffres maquillés. Je m'en suis moi aussi inquiété : lorsque l'on s'exprime devant le Sénat ou l'Assemblée nationale, on aime bien être certain de ses chiffres. Nous faisons la différence entre des chiffres budgétaires et la réalité, car il arrive qu'une mission de police judiciaire soit donnée à des agents qui n'exercent pas véritablement une fonction d'enquête. Nous nous sommes concentrés sur les agents qui traitaient des procédures et qui pourront se consacrer à la mission d'investigation. Ces chiffres peuvent être discutés, mais ils nous ont été communiqués par les directions centrales concernées.
Parallèlement, vous noterez que nous nous inscrivons dans une démarche d'augmentation du nombre d'officiers de police judiciaire. Une question m'a été posée à propos des assistants d'enquête. Il s'agit selon moi d'une excellente idée - d'autant plus que, je dois vous l'avouer, j'en suis un peu à l'initiative.
Lorsqu'on fait des réformes pour simplifier la procédure, les enquêteurs ont bien souvent le sentiment qu'on ressort avec encore davantage de contraintes. L'idée était donc de dégager du temps aux enquêteurs en les libérant des actes purement formels de la procédure. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur le modèle des juges d'instruction, qui disposent de greffiers de justice. Leur tâche sera d'appeler les avocats, le médecin ou la famille, de rédiger des réquisitions -- autant d'actes qui occupent actuellement près d'un tiers du temps de la procédure. Je peux vous dire que cette mesure est très favorablement accueillie dans l'ensemble des services concernés.
Est-ce raisonnable de faire la réforme maintenant ? Il y a toujours de bonnes raisons pour ne pas faire de réforme : des échéances électorales, des événements... Lorsqu'on pose un diagnostic sur des difficultés quotidiennes, il faut avoir le courage de ne pas se contenter de petites mesures ponctuelles si l'on veut redonner une dynamique et du sens au travail policier. Nous n'avons pas vraiment le choix ; à mon sens, soit on fait cette réforme en 2023, soit on ne la fera jamais.
Monsieur Mohamed Soilihi, je vous remercie d'avoir souligné les effets positifs en Guyane et à Mayotte, pour des raisons et des problèmes différents. À Mayotte, nous sommes confrontés à des flambées de violences, plutôt d'ordre public, tandis qu'en Guyane ce sont plutôt des questions de délinquance. Le ministre de l'intérieur se rendra en Guyane le week-end prochain - je suppose qu'il fera des annonces.
Je vous confirme par ailleurs que la CDI est mise en place à Mayotte et qu'elle fonctionne. J'ai bien conscience que permettre à des territoires de devenir des circonscriptions de police est une attente forte des élus locaux, notamment à Koungou. Toutefois, c'est une décision qui n'appartient évidemment pas au directeur général de la police nationale, mais au Gouvernement.
Monsieur Marc, vous nous dites que la présence de policiers sur le terrain est nécessaire pour la prévention. C'est tout le sens des instructions que nous donne, de manière répétée, le ministre de l'intérieur. La réforme des cycles horaires, dont la création d'un cycle binaire, en cours de généralisation, nous permet d'avoir plus de policiers sur le terrain.
Des renforts permanents ou des compagnies de CRS et de gendarmerie mobile sont également envoyés dans certaines métropoles. Demain, nous l'espérons, la présence importante de réservistes de la police nationale apportera un concours décisif aux missions de police. Nous continuerons, j'en suis sûr, à renforcer le lien police-population.
Sur la cybercriminalité, nous allons dévoiler un plan cyber dans les semaines qui viennent. Nous vous en communiquerons les éléments.
Les escroqueries en ligne sont un fléau qui a tendance à se répandre et à se généraliser. Nous avons mis en place, depuis le mois de mars dernier, la possibilité de porter plainte en ligne, ce qui présente plusieurs avantages.
D'abord, elle facilite le dépôt de plainte des victimes.
Ensuite, la multiplication des escroqueries sur internet provoque des dépôts de plainte dispersés, ce qui conduit à une multiplication des enquêtes sans grande cohérence. Nous pouvons désormais faire des rapprochements et lancer une seule enquête là où on en faisait auparavant vingt-cinq ou trente. Le dispositif de traitement harmonisé des enquêtes et signalements pour les e-escroqueries (Thesee) est la démonstration de ce que nous devons mettre en place à l'avenir.
Monsieur Sueur, je vous remercie des compliments que vous m'avez adressés au sujet de la conclusion de mon propos liminaire.