Intervention de Jean-Pierre Farandou

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 14 septembre 2022 à 9h00
Audition de M. Jean-Pierre Farandou président-directeur général de la sncf

Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF :

Il faut bien admettre que la desserte Paris-Amiens n'est pas très satisfaisante. Cette situation a des causes intrinsèques : la ligne en question compte parmi les plus denses de France. Les trains peuvent y regrouper 2 000 voyageurs, car un très grand nombre de personnes vivant dans la Somme ou dans l'Oise vient chaque jour travailler à Paris. En outre, la gare du Nord est saturée, si bien que le moindre aléa y provoque un effet boule de neige.

Avec la région, autorité organisatrice de ces trains, nous devons traiter quatre sujets principaux.

Le premier, c'est la nature des dessertes, que nous souhaitons rendre plus régulières grâce au cadencement. La simplification du schéma de desserte permettrait d'en améliorer la robustesse technique.

Le deuxième, c'est le matériel roulant, qui commence à vieillir. Il est composé de locomotives tractées et de voitures qui ont plus de quarante ans. Or le parc relève de la région, comme la politique industrielle de maintenance. Aujourd'hui, on constate un certain nombre d'actes forts et d'investissements, mais les retards pris sur le parc pour telle ou telle raison peinent à être rattrapés, qu'il s'agisse de sa quantité, de sa nature ou de sa fiabilité.

Le troisième, c'est le recrutement des conducteurs, qui relève de nous. Or nous n'avons pas fait les bons choix par le passé. Désormais, nous embauchons à tour de bras pour retrouver le nombre de conducteurs nécessaire, mais en attendant nous sommes face à un problème, car le temps de recrutement et de formation est incompressible. Ce délai avoisine les deux ans.

Le quatrième et dernier, c'est l'aspect financier. La région a pris une initiative unilatérale pour apporter une réponse financière aux difficultés de la SNCF à réaliser ce service. Nous en discutons ; pour notre part, nous trouvons cette réponse un peu excessive. En tout cas, une forme de régulation est à l'oeuvre.

Il y a quelques semaines, j'ai fait l'ouverture de la gare d'Amiens, à 5 heures 30, pour être « à portée de baffe », comme disent certains. Cela n'a pas manqué, car, ce matin-là, un train a été supprimé. Il n'y a rien de tel pour entendre le mécontentement des usagers.

Face à cette situation difficile, la SNCF n'est pas dans le déni. Elle admet ses responsabilités et elle est prête à accepter les critiques. À présent, nous devons être solidaires pour apporter, ensemble, les meilleures solutions aux usagers dans tous les territoires.

Il n'y aura pas de suppression de train au nom du plan de sobriété énergétique : le ministre des transports l'a dit très clairement. Il a ainsi coupé court à la polémique.

J'en viens aux incivilités, qui, comme vous, me préoccupent. À cet égard, les contrôleurs ne disposent que de moyens limités. Il y a quelques années, l'un d'entre eux a été attaqué à coups de barre de fer sur la ligne Paris-Beauvais.

La flambée des incivilités n'est pas propre à la SNCF. C'est un mal qui gangrène notre société. Par exemple, de plus en plus de personnes se déplacent en portant sur elles des couteaux aux lames parfois longues de trente centimètres.

Notre service de la surveillance générale (SUGE) est fort de 3 000 cheminots très bien formés et, tant que je serai président-directeur général, l'on ne touchera pas à cet effectif. Vient ensuite la collaboration avec la police. À ce titre, nous travaillons avec le ministère de l'intérieur et les préfectures. Soyons vigilants : les incivilités pourraient nuire à l'attractivité du ferroviaire.

Certaines régions sont très engagées sur ces sujets. Les régions peuvent aussi nous aider, ne serait-ce qu'en nous accordant des moyens. En particulier, elles peuvent passer commande d'heures de surveillance générale, ce qui nous permet de recruter davantage de personnels, déployés dans les trains comme dans les gares.

Monsieur le sénateur Rojouan, comme le Paris-Limoges, le Bordeaux-Marseille et les trains de nuit, le Paris-Montluçon a l'État pour autorité organisatrice. Constatant que plusieurs dessertes nationales étaient structurellement déficitaires, le président Gallois s'était en son temps tourné vers l'État, déclarant en substance : si nous concluons un contrat de service public, je pourrai assurer ces liaisons ; dans le cas contraire, je serai contraint de réduire la desserte. Dans un premier temps, l'État n'a pas répondu à sa demande : il a donc réduit le nombre de trains. Face au tollé politique provoqué, l'État a fini par accepter la solution proposée. Je suis bien placé pour le savoir, ayant été l'une des chevilles ouvrières du premier contrat des trains d'équilibre du territoire (TET), lequel a été récemment renouvelé.

En tant qu'autorité organisatrice, l'État détermine la desserte. Dès lors, c'est lui qui décide si le Paris-Montluçon sera direct ou non. La SNCF n'a pas de pouvoir d'initiative à cet égard. Il en est de même pour le matériel roulant.

Votre position est légitime, car les habitants de Montluçon ont droit à une desserte de qualité. Pour sa part, la SNCF peut être force de proposition. Peut-être une réunion avec nous vous aiderait-elle à travailler et à préciser les propositions que vous pourriez soumettre au ministère des transports ?

Monsieur le sénateur Gillé, je sais très bien que, si je commence à classer les priorités, je n'obtiendrai rien pour ce qui concerne la fin de la liste. À chacun son travail : mon rôle, c'est de dire ce que je pense être nécessaire au système ferroviaire français. Ensuite, la décision de faire ou de ne pas faire, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, ne m'appartient pas. Elle appartient à la puissance publique.

J'aime tous les enfants du ferroviaire. Certes, Rome ne s'est pas faite en un jour, mais je suis l'homme du ferroviaire et, en conscience, j'estime que le réseau doit être régénéré et modernisé. Je pense qu'il faut une réponse pour les déplacements de la vie quotidienne. Je pense qu'il ne faut pas abandonner le fret et qu'il faut défendre les LGV. Quant au choix des priorités, il ne m'appartient pas : je ne le ferai pas. Chacun doit prendre ses responsabilités.

Monsieur le sénateur Marchand, si surprenant que cela puisse paraître, le cadastre des friches n'existait pas jusqu'à présent. Ce travail est en cours et nous donnera une idée beaucoup plus précise de la nature de notre foncier. Viendra ensuite la question des usages. Le déploiement des panneaux solaires a toute son importance, mais il ne concerne pas tous ces terrains.

Dans les grandes villes, la cession des friches aux collectivités territoriales nous assure des rentrées financières. Cette valorisation, qui n'est pas une ressource mineure, vient financer les infrastructures.

Reste une partie intermédiaire, qui doit faire l'objet de discussions avec les collectivités territoriales. Dès mon arrivée, j'ai demandé à notre direction de l'immobilier de se montrer disponible pour discuter de leurs projets avec elles. C'est d'ores et déjà le cas à Auxerre ou encore à Bayonne.

C'est l'État qui est propriétaire du réseau ferroviaire français, patrimoine de notre pays. La régénération et la modernisation du réseau relèvent donc de l'État, la SNCF contribuant à la marge, notamment via le fonds de concours : grâce à ce mécanisme de solidarité financière, 60 % des bénéfices dégagés par le TGV et par Geodis sont fléchés vers le réseau. Peut-on accentuer cet effort ? Peut-être, si la SNCF se porte bien, mais cela ne suffira pas. Je plaide pour un portage budgétaire plus substantiel et plus long sur la partie régalienne du réseau.

En parallèle, les régions et les métropoles semblent prêtes à accompagner les différents projets individuels, comme les réseaux express métropolitains. Dès lors, l'État n'en financera qu'une partie, dans une logique de cofinancement. À cet égard, on pourrait s'inspirer de la société du Grand Paris (SGP) en créant, dans les grandes métropoles françaises, des taxes sur le foncier de bureau.

Au sujet du fret, on a pu parler de 10 milliards d'euros. Ce dont nous avons absolument besoin, c'est de 3 milliards d'euros. À ce titre au moins, j'exprime une forme de priorité. Je pourrai détailler les enjeux dont il s'agit - triages, décongestion des ports, mise au gabarit de certains tunnels, etc. Ce noyau dur de 3 milliards d'euros est indispensable pour lancer le développement du fret. Viennent ensuite les grands contournements, qui sont nécessaires, mais forcément très coûteux, comme les lignes à grande vitesse.

Enfin, pour certaines LGV, il n'est pas interdit de penser qu'une partie du financement soit d'origine privée, dès lors que la puissance publique exerce son contrôle. En revanche, un financement 100 % privé entraîne des péages d'un montant excessif. On l'observe avec la société Lisea, et ce constat n'est pas complètement étranger à ce que vous dites au sujet du Paris-Bordeaux.

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