La genèse du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), que Loïc Hervé et moi-même vous présentons, a été longue : le Gouvernement avait déposé, le 16 mars dernier, un premier projet de loi, que nous appellerons Lopmi 1, comprenant 32 articles. Ce texte devait être examiné après les élections législatives de juin et éventuellement complété par des mesures plus substantielles ; des dispositions relatives à l'immigration avaient un moment été évoquées. C'est finalement un projet plus resserré qui a été déposé par le Gouvernement sur le Bureau du Sénat le 7 septembre dernier. Le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui comprend seize articles des 32 articles de la Lopmi 1 : deux d'entre eux sont programmatiques et quatorze normatifs, relatifs pour leur grande majorité à la procédure pénale.
Je me suis plus particulièrement intéressé aux articles 1er et 2, relatifs à la programmation budgétaire du ministère de l'intérieur, et aux articles 3, 4 et 6.
En matière de programmation budgétaire, le projet de loi prévoit, dans son article 2, une progression, chaque année, du montant des crédits de paiement et des plafonds des taxes affectées au ministère de l'intérieur. Au total, sur cinq ans, on prévoirait 15 milliards d'euros supplémentaires par rapport aux crédits affectés au ministère de l'intérieur en 2022 ; l'augmentation est donc substantielle.
Ces crédits supplémentaires permettraient de financer les mesures de modernisation du ministère de l'intérieur présentées dans le rapport annexé au projet de loi, que l'article 1er vise à approuver ; nous réserverons donc l'examen de cet article jusqu'à la fin de notre discussion, de manière à pouvoir tenir compte dans le rapport annexé des amendements qui auront été adoptés sur les autres articles du projet de loi.
Les mesures présentées dans le rapport annexé, destinées à être mises en oeuvre entre 2023 et 2027, visent à atteindre trois objectifs principaux : augmenter la présence des forces de sécurité intérieure sur la voie publique, faire face aux nouvelles frontières, notamment numériques, et mieux prévenir les menaces et crises futures.
Je vous proposerai d'adopter plusieurs amendements déposés sur le rapport annexé à l'article 1er. Je pense notamment aux amendements de Philippe Paul et Gisèle Jourda, rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui visent à réaffirmer l'importance des réserves opérationnelles de la police et de la gendarmerie, à adapter la répartition territoriale entre ces deux forces et à associer les élus à cette répartition et à l'implantation des nouvelles brigades, car ils me paraissent aller dans le bon sens.
Je soutiendrai également l'amendement COM-1 de Nadine Bellurot et Jérôme Durain, que notre commission a chargés d'une mission d'information sur l'organisation de la police judiciaire, amendement qui tend à préciser dans le rapport annexé que la réforme de la police nationale devra prendre en compte les spécificités de la police judiciaire. Dans le cadre de ses enquêtes, celle-ci doit rester sous l'autorité fonctionnelle du procureur. Elle doit aussi continuer à traiter seule des affaires sensibles. Enfin, au vu du développement exponentiel d'une délinquance organisée qui dépasse les frontières départementales, il pourrait être utile de prévoir des structures zonales permettant d'assurer les coordinations nécessaires. Il reviendra à notre mission d'information de s'assurer que ces spécificités sont maintenues et, le cas échéant, de proposer les garanties nécessaires.
Nos collègues socialistes entendent par ailleurs rappeler dans le rapport annexé l'importance de l'accessibilité des démarches dématérialisées pour les personnes en situation de handicap, ce qui me paraît aussi une bonne idée ; nous serons donc favorables à ces amendements.
Les articles 3 et 4 du projet de loi adaptent les prérogatives dont disposent les forces de sécurité intérieures dans la lutte contre les nouvelles menaces, en particulier les cybermenaces. Le ministère de l'intérieur entend tout d'abord investir dans des technologies nouvelles, former et recruter des agents pour disposer de compétences pointues, et mettre l'accent sur la prévention, en lien avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), afin qu'entreprises et institutions soient sensibilisées à ces risques.
Le projet de loi comporte par ailleurs deux mesures ponctuelles destinées à faciliter le travail des services enquêteurs. D'une part, la saisie de cryptoactifs dans le cadre d'une procédure pénale sera facilitée ; ces actifs immatériels peuvent être aisément transférés, ce qui appelle une action presque immédiate de la part des officiers de police judiciaire. D'autre part, en cas d'attaque au rançongiciel, la victime qui accepte de payer une rançon ne pourra être indemnisée par son assureur, si elle a souscrit cette garantie, qu'après avoir déposé plainte ; cette exigence nouvelle vise à aider les policiers et les gendarmes à avoir une connaissance plus précise de ces infractions et à favoriser ainsi le déroulement de leurs investigations et la poursuite des auteurs.
Je vous proposerai par ailleurs d'adopter un amendement portant article additionnel visant à étoffer les moyens mis à la disposition des enquêteurs qui mènent une enquête sous pseudonyme. Cet amendement, qui reprend un article de la Lopmi 1, tend à compléter la liste des actes que les enquêteurs seraient autorisés à accomplir, avec l'autorisation du procureur de la République ou du juge d'instruction. Cette disposition compléterait utilement la palette des outils à la disposition des enquêteurs et renforcerait l'efficacité de leurs investigations.
Jérôme Durain, Arnaud de Belenet et moi-même aurions souhaité pouvoir avancer sur les questions relatives aux images et à la reconnaissance faciale ; le ministre de l'intérieur nous a répondu que cela serait traité dans un autre texte, l'année prochaine ; nous serons vigilants sur ce point.
L'article 6 autorise, quant à lui, le recours à la visioconférence pour la prise de plainte et la déposition. Il s'inscrit dans le développement du recours à de tels dispositifs en matière de procédure pénale depuis le début des années 2000. Ces nouvelles modalités de dépôt de plainte peuvent faciliter les démarches des victimes, pour lesquelles elles seront une simple faculté et non une obligation. Je vous proposerai cependant de prévoir explicitement que l'on ne pourra y avoir recours qu'en matière d'atteintes aux biens : les plaintes et dépositions relatives aux atteintes aux personnes doivent faire l'objet d'un accueil adapté au sein des locaux de police et de gendarmerie.
Enfin, il me faut vous dire quelques mots de l'amendement COM-99. Nos auditions ont montré l'urgence et l'importance d'améliorer la réponse pénale sur trois enjeux essentiels : les violences faites aux élus, qui ont augmenté de 47 % en un an, les refus d'obtempérer, qui ont également augmenté de 28 %, et les rodéos urbains. Je vous proposerai donc un renforcement des sanctions encourues pour ces comportements, qui me paraissent primordiales pour assurer la bonne exécution des missions de tous ceux qui se mettent au service de la société.