Intervention de Loïc Hervé

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 5 octobre 2022 à 9h30
Projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Loïc HervéLoïc Hervé, rapporteur :

Je me suis pour ma part plus particulièrement intéressé à l'article 5, relatif au projet de Réseau radio du futur (RRF), ainsi qu'aux articles 7 à 16 de ce projet de loi.

Le projet RRF vise à doter nos forces de sécurité intérieure et nos services de secours d'un nouveau réseau de communications électroniques, plus moderne et plus résilient, qui permettrait d'éviter les difficultés rencontrées récemment, notamment en Corse et dans les Alpes-Maritimes. Le Gouvernement envisageait initialement de prendre par ordonnance les mesures nécessaires à la mise en oeuvre de ce projet, notamment pour préciser les conditions d'accès au réseau, ainsi que le rôle et les missions des opérateurs. Nous vous proposerons un amendement de suppression de cette habilitation, le Gouvernement nous ayant assuré que les avancées du projet permettent l'inscription dans la loi des dispositions nécessaires à sa mise en oeuvre. Il pourrait déposer un amendement à cet effet en séance publique.

L'article 7 porte sur un sujet tout à fait différent : il vise à renforcer la répression de l'outrage sexiste. La contravention d'outrage sexiste a été introduite dans le code pénal en 2018 afin de lutter contre le phénomène dit du « harcèlement de rue ». Le présent projet de loi réprime plus sévèrement cette infraction : l'outrage sexiste simple serait puni d'une contravention de la cinquième classe, au lieu de la quatrième, tandis que l'outrage sexiste aggravé deviendrait un délit puni d'une amende de 3 750 euros. Juridiquement, la rédaction qui nous est proposée est plus satisfaisante que celle de 2018, dans la mesure où la contravention figurerait dans la partie réglementaire du code et le délit dans sa partie législative, conformément au partage voulu par notre Constitution. Les peines envisagées se veulent plus dissuasives, tout en demeurant cohérentes avec l'échelle des peines prévues pour des infractions comparables.

Nous vous proposerons donc d'approuver cette mesure, sous réserve de l'adoption d'un amendement de coordination, tout en rappelant que la constatation de l'infraction sur le terrain demeure difficile. Seulement 2 000 verbalisations ont été enregistrées en 2021, ce qui paraît peu au regard des faits de harcèlement ou d'intimidation qui peuvent se produire dans l'espace public, notamment dans les transports en commun.

Plusieurs articles visent ensuite à améliorer l'efficacité des investigations ou à simplifier, à la marge, la procédure pénale afin de faciliter le travail des enquêteurs.

L'article 8 élargit ainsi les possibilités de recourir aux techniques spéciales d'enquête et à la garde à vue prolongée pour les affaires de viols sériels et d'homicides sériels, ainsi qu'à l'abus d'ignorance et à l'abus de faiblesse commis en bande organisée, ce qui permettrait notamment de mieux lutter contre les phénomènes sectaires. La notion de « techniques spéciales d'enquête » renvoie à des techniques de sonorisation, de fixation d'images, ou encore de captation de données informatiques potentiellement très attentatoires à la vie privée et donc réservées à des infractions graves.

Trois mesures traduisent ensuite une volonté d'alléger le travail des enquêteurs, qui se plaignent régulièrement de la complexité de la procédure pénale, en diminuant le nombre de réquisitions et en allégeant le formalisme imposé aux policiers et aux gendarmes pour la consultation de certains fichiers.

Dans le prolongement de ces mesures de simplification, deux articles visent à renforcer la filière en charge de l'investigation, objectif que nous ne pouvons que partager au vu de la désaffection dont souffre la police judiciaire.

Ainsi, les policiers et gendarmes seraient autorisés à passer l'examen pour devenir officier de police judiciaire (OPJ) dès la fin de leur formation initiale, alors qu'ils doivent aujourd'hui attendre au moins trois ans après leur prise de fonction. La formation à l'examen d'OPJ a en conséquence été intégrée depuis septembre dernier au programme des écoles de police et de gendarmerie. Même si nous n'attendons pas d'effet massif de cette mesure sur les recrutements d'OPJ, elle pourrait être porteuse d'un enrichissement de la formation initiale ; nous vous proposerons donc de l'approuver.

Il est également proposé de créer une nouvelle catégorie de personnel, les assistants d'enquête, qui seraient chargés de veiller au respect de la procédure : recrutés parmi les fonctionnaires de catégorie B, ils deviendraient, en quelque sorte, les greffiers de la police et de la gendarmerie. Il est prévu de créer à terme 5 500 postes d'assistants d'enquête. Sans méconnaître l'intérêt de cette mesure, qui pourrait permettre aux enquêteurs de se concentrer sur le coeur de leurs missions, nous vous proposerons de procéder, dans trois ans, à une évaluation de la plus-value apportée par ce nouveau cadre d'emploi.

Nous vous proposerons également d'adopter deux amendements visant à inscrire dans le projet de loi des articles présents dans la Lopmi 1. Le premier vise, par parallélisme avec ce qui se pratique pour les élèves officiers de la police et les élèves commissaires, à attribuer la qualité d'agent de police judiciaire (APJ) aux élèves officiers de la gendarmerie nationale pendant leur formation initiale, afin qu'ils puissent être en posture active durant leurs stages en unité territoriale. Le second vise à étendre les prérogatives des APJ, tout en maintenant le contrôle qu'exercent sur eux en permanence les officiers de police judiciaire.

Si les mesures que je vous ai présentées jusqu'à présent recueillent globalement notre assentiment, il en va différemment de l'article 14, qui généralise la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle à tous les délits punis de moins d'un an d'emprisonnement, soit un total de 3 400 infractions !

Créée en 2016, la procédure de l'amende forfaitaire en matière délictuelle permet de sanctionner rapidement certaines infractions : la personne en faute doit s'acquitter sur le champ, ou dans un délai maximal de 45 jours, d'une amende forfaitaire dont le montant est fixé par la loi. Le paiement de l'amende forfaitaire éteint l'action publique, étant précisé que le ministère public conserve la possibilité de poursuivre l'infraction devant le tribunal correctionnel.

Actuellement, la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle concerne une dizaine d'infractions, par exemple l'usage de stupéfiants, la vente d'alcool à des mineurs, la vente à la sauvette, ou encore l'occupation des halls d'immeuble. Elle s'est révélée un outil efficace pour renforcer la répression de certaines infractions qui peuvent être aisément constatées par les policiers, notamment à la consommation de stupéfiants, mais il nous paraît peu raisonnable d'étendre cette procédure à un si grand nombre d'infractions : toutes ne se prêtent pas à une verbalisation immédiate et nous ne voulons pas donner l'impression d'un affaissement général de la réponse pénale en remplaçant une peine pouvant atteindre un an de prison par une simple amende.

C'est pourquoi nous vous proposerons tout à l'heure un amendement visant plutôt à étendre le champ de l'amende forfaitaire délictuelle à un petit nombre d'infractions pour lesquelles le recours à cette procédure nous paraît adapté.

Le Gouvernement s'estime tenu d'honorer la promesse de généralisation de cette procédure faite par le Président de la République - ou par le candidat à l'élection présidentielle - lors d'un déplacement à Nice le 10 janvier 2022. Mais notre analyse rejoint celle de notre collègue Alain Richard, qui a déposé un amendement aux mêmes fins. Cette position équilibrée nous paraît pouvoir emporter la conviction de notre commission.

Enfin, l'article 15 accroît les prérogatives des préfets de département en cas de crise d'une particulière gravité, de manière à ce qu'ils puissent exercer pleinement dans ces circonstances leur autorité sur tous les services déconcentrés et sur tous les établissements publics de l'État. Le projet de loi fait cependant un sort particulier aux agences régionales de santé (ARS), qui resteraient à l'écart de cette unité de commandement en cas de crise sanitaire grave. À la lumière des situations que nous avons tous vécues pendant la crise de la covid-19, cette exception ne nous paraît pas justifiée ; nous vous proposerons donc de la supprimer. À nos yeux, l'État doit parler d'une seule voix et avoir les moyens de mener une action cohérente dans les territoires, y compris avec les ARS.

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