Vous avez été légitimement très curieux de ces situations qui nous inquiètent infiniment. Monsieur Wattebled, les délais de jugement sont une question difficile : certaines situations sont très simples et donneront lieu à une réponse simple : instruction rapide, phase de jugement rapide. Au contraire, d'autres procédures durent plus longtemps, parce que les situations sont complexes ou mettent en cause de nombreux mis en examen. Dans l'audiencement de l'affaire, il faut prendre en considération le nombre d'accusés si c'est une affaire criminelle. Je ne peux donc pas répondre de manière évidente à votre question : c'est du cas par cas. Pour les attentats de 2015, il a fallu une très longue instruction, puis un procès-fleuve, le « V13 ». Selon que les accusés reconnaissent ou non les faits, en fonction de la présence ou non d'éléments probatoires, de la complexité des investigations nécessaires, la durée de la procédure diffère.
La prise en charge de la déradicalisation rejoint la dernière question : peut-on avoir des certitudes ? Non, pas plus en matière terroriste qu'en droit commun. Certaines personnes ont été remises en liberté, ont été suivies, avec des expertises laissant penser qu'il n'y aura pas de récidive ; et puis malheureusement, celle-ci arrive. Certains en veulent aux juges qui ont pris la décision ; d'autres, plus sages, estiment que le juge, malgré toutes ses qualités, n'a pas le don de médiumnité. Des accidents peuvent survenir.
Il existe des quartiers d'évaluation de la radicalisation, avec une évaluation approfondie de quinze semaines. C'est long, afin d'observer, d'appréhender, d'échanger, d'évaluer le niveau d'engagement dans la radicalisation. Les personnels pénitentiaires mais aussi les psychologues, psychiatres, éducateurs, conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) s'en chargent. C'est nécessairement pluridisciplinaire.
À l'issue de cette évaluation, il y a trois options possibles : soit une détention ordinaire si le risque de prosélytisme est faible, soit une orientation en quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR), soit un placement en quartier d'isolement pour les personnes les plus dangereuses, inaccessibles à la déradicalisation. Nous avons ouvert récemment un QPR pour femmes à Rennes - cela n'existait pas auparavant. Nous sommes en présence de personnes qui présentent un risque de prosélytisme ou de passage à l'acte identifié.
La déradicalisation est quelque chose d'infiniment complexe. J'évoquerai rapidement les médiateurs du fait religieux. Si vous allez voir un terroriste en lui disant qu'il s'est fourvoyé et que le Coran n'est pas ce qu'il en dit, que sa vision de la religion n'est pas la bonne, c'est fini : c'est le blocage absolu. Il faut pouvoir introduire le doute. Il faut que l'interlocuteur en face ait une connaissance théologique bien plus importante que le terroriste. C'est assez souvent le cas, parce que beaucoup d'entre eux ne connaissent pas la religion. Je me suis rendu au Maroc, où a été mis en place un processus de cette nature. Les Marocains ont choisi, pour intervenir en prison, des théologiens extrêmement pointus dans leur domaine ; ils instillent un doute, petit à petit, presque subrepticement, qui amène l'intéressé à se poser un certain nombre de questions. C'est comme cela qu'on y arrive naturellement. J'ai souhaité que nous ayons recours à des chercheurs en théologie du plus haut niveau possible. Mais à l'impossible, nul n'est tenu. Nous avons choisi les médiateurs du fait religieux en fonction de la capacité qu'ils ont à retourner une situation. Et s'y ajoutent les psychologues, psychiatres, CPIP... Petit à petit, on analyse le désengagement - quand il intervient. Telles sont les stratégies mises en place. À vrai dire, nous n'avons pas tellement d'autres choix. N'oublions pas la possibilité de mettre en place un suivi judiciaire sous le contrôle du juge de l'application des peines - qui n'existait pas autrefois -, ni les Micas, le jour où l'on envisage une fin de peine proche.
Le renseignement pénitentiaire - sans pouvoir en dire trop sur ce sujet - nous donne aussi une vision très objective du maintien dans l'engagement ou du désengagement du détenu.
Madame Carrère, les mineurs de retour de zones d'opérations font l'objet d'un suivi individualisé systématique. La PJJ y est évidemment très attentive, de même que les juges, qui sont formés spécialement à cet effet. Un certain nombre de psychologues, et pas des moindres, ont affirmé que ces enfants étaient des bombes à retardement, parce qu'ils ont vu des scènes traumatiques qui pourraient ressurgir. Nous devons être très attentifs à leur évolution et mettre les moyens humains et matériels suffisants, sachant bien évidemment que le risque zéro, promis par les populistes, n'existe pas.
Le Pnat effectue un suivi. On peut s'interroger, mais certains enfants ont une responsabilité pénale engagée très clairement. Certes, on prendra leur âge en considération, mais sans faire l'économie du reste. Dès leur descente d'avion, les mineurs rapatriés sont pris en charge par la justice et le juge des enfants ordonne un dispositif de suivi spécifique avec le prononcé d'une double mesure : un placement dans une structure ou une famille d'accueil de l'ASE et une mesure éducative, confiée à la PJJ.
Il est évidemment primordial de préserver les liens au sein de la fratrie et ne pas séparer les frères et soeurs. Le droit des grands-parents reste naturellement intact, car la filiation n'est pas touchée. Les grands-parents sont heureux, pour beaucoup d'entre eux, de pouvoir enfin tenter de sortir leurs petits-enfants de l'endroit où ils sont partis, à leur grand désespoir, emmenés par leurs propres enfants, souvent sans qu'ils le sachent. Oui, il faut être modeste. Mais dans les familles, voyez le désespoir lorsque des enfants qu'on croyait loin de toutes ces choses sont partis faire le djihad. Imaginez la déconvenue - le mot est faible - des grands-parents.
Madame Eustache-Brinio, les femmes sont systématiquement judiciarisées et détenues. Je ne dispose pas de tous les chiffres parce que plusieurs procédures sont en cours. À ma connaissance, il y a une femme hospitalisée, les autres sont détenues. J'essaierai de vous donner des chiffres plus précis, mais le Pnat ne me transmet pas ces chiffres au jour le jour.
Faut-il les juger sur place, monsieur Le Rudulier ? Les victimes sont là-bas et il n'y a rien d'anormal à ce que des ressortissants français soient jugés sur place. Dans le droit commun, si un Français commet une infraction à l'étranger et est appréhendé, il est naturellement jugé à l'étranger. Les adultes qui ont choisi de rejoindre les rangs d'une organisation terroriste doivent être jugés au plus proche des lieux où ils ont commis les faits, là où se trouvent les victimes. La ligne rouge que l'on ne veut pas franchir, c'est évidemment l'exécution d'une condamnation à mort, car il s'agit, qu'on le veuille ou non, d'un ressortissant français. Notre doctrine, c'est de ne rapatrier que ceux qui le veulent. Personne n'oublie que ces gens sont allés nous combattre, et qu'ils ont généré le malheur des enfants dont nous venons de parler. Mais il est difficile d'interdire à un ressortissant français de revenir sur le sol français s'il le souhaite. Encore faut-il que cela soit possible - je pense à la sécurité de nos soldats. C'est la raison pour laquelle l'arrêt rendu par la CEDH ne nous demande pas de changer de doctrine ; il nous demande simplement de mieux informer et de permettre un recours. Nous allons nous y adapter parce que nous sommes respectueux de l'État de droit et des décisions rendues par la Cour.
Beaucoup d'entre vous demandent des chiffres, mais je ne peux pas vous donner de chiffres très précis. Il y aurait environ 200 personnes concernées. C'est encore plus compliqué pour les enfants, car certains sont nés sur place et n'ont pas d'état civil ; ils ne sont pas répertoriés chez nous.
Monsieur Bonnecarrère, les cellules départementales de suivi pour la prévention de la radicalisation et l'accompagnement des familles sont le maillon essentiel du suivi dans les départements. Naturellement, il y a une interaction très proche à la fois des CPIP, de la PJJ, des juges des enfants. Il est indispensable d'intervenir avec humanité pour ces enfants, mais ceux-ci peuvent aussi constituer un danger - nous devons les suivre de près. Il n'y a pas d'angélisme. Nous devons être très vigilants et nous ne sommes pas dans un processus de placement classique - je vous rassure sur ce point.