– Concernant les questions financières et budgétaires, nous estimons qu’en 2022 la revalorisation du point d’indice représentera un coût de 250 millions d’euros. Les budgets sont en cours de préparation, et nous affinons cette estimation. Elle implique de faire appel aux trésoreries et aux fonds de roulement au cas par cas, car les situations des universités sont très différentes.
Trois composantes constituent le fonds de roulement des universités. Tout d’abord, une réserve de précaution de quinze jours de fonctionnement – cela peut représenter plus de 1,3 million d’euros pour une grosse université, contre quelques centaines de milliers d’euros pour une petite. Ensuite, une partie du fonds de roulement est déjà fléchée et engagée dans certaines directions. L’argent des programmes d’investissements d’avenir (PIA) figure dans la trésorerie, mais il s’agit d’un emprunt national extrabudgétaire : on ne va pas payer les factures de gaz sur ces fonds fléchés pour le développement des universités. Enfin, la troisième composante recouvre ce que l’université peut investir, une fois que le budget est à l’équilibre. Une fois réalisée, une marge rejoint le fonds de roulement, et au bout de plusieurs années, ces fonds peuvent permettre d’amorcer des actions.
Nous en avons discuté avec la ministre : toutes les universités sont prêtes à se remonter les manches pour faire face à cette situation d’exception. L’effort est national, et les universités sont des opérateurs de l’État. Mais il faut réfléchir et rester prudent : certains projets de développement ont trait à des économies d’énergie, comme des investissements sur la sobriété, les panneaux solaires ou la rénovation thermique, par exemple. Il ne faut pas que le serpent se morde la queue ou que les bons élèves soient punis. Il faut regarder les situations au cas par cas, mais cela est compliqué.
Le surcoût pour 2023 est difficilement estimable, car tous les établissements ne sont pas passés par la direction des achats de l’État. Les estimations varient entre 50 % et 500 % d’augmentation, à rapporter aux 100 millions de surcoûts de 2022. Il faut rester prudents sur les chiffres. Les discussions avec la ministre doivent partir d’une estimation socle. Avec la direction des achats, nous regardons comment les établissements se sont engagés vis-à-vis de leurs fournisseurs d’énergie, et nous voyons comment nous projeter. Mais l’estimation reste cependant difficile, comme pour tous les acteurs du pays.
Les universités comprennent l’élaboration de plans de sobriété, mais celles qui connaissent le plus de difficultés ressentent une forme d’angoisse en vue de la finalisation des budgets, et redoutent une forme de fongibilité entre les surcoûts énergétiques et les enseignements ou les recrutements.
France Universités est favorable aux COMP, qui ne vont pas à l’encontre de l’autonomie, mais clarifient les engagements de part et d’autre, à la condition qu’ils soient pluriannuels et que l’évaluation change. Aujourd’hui, le dialogue stratégique ne porte que sur une petite partie du budget des universités. J’ai été président de l’université de Bordeaux, et le dialogue stratégique portait sur 300 000 euros, alors que le budget est de 610 millions d’euros.
Disposer d’un plan pluriannuel dans lequel l’université s’engage par des actions concernant le tissu de recherche et l’ancrage dans le territoire, c’est en définitive disposer d’une autonomie dans de bonnes conditions. Il faut cependant avoir une visibilité pluriannuelle, car la temporalité annuelle est insuffisante pour une feuille de route stratégique. Il faut aussi une évaluation adaptée : une fois l’objectif défini a priori, il faut voir a posteriori s’il a été atteint pour convenir de la suite de la stratégie et de l’adéquation des moyens. C’est à cela que correspond la performance.
Chaque université a son projet stratégique, tout en restant un opérateur de l’État, qui regarde l’accès à l’enseignement supérieur, le tissu économique, l’innovation et la relation avec les entreprises, ou les ambitions de la recherche. Les universités voudraient que des dialogues constructifs mettent en place ces feuilles de route.
Les universités sont capables d’assumer ces différences, à condition que les choses soient transparentes. Nous n’avons pas aujourd’hui de système valable d’allocation des moyens – il ressemble plutôt à des vases communicants. Ces stratégies doivent être transparentes : il semble sain de savoir qui est financé, comment, et selon quels objectifs.
Vous avez également évoqué le sujet des bourses. Une concertation sur la vie étudiante aura lieu très prochainement. Il faut revoir l’ensemble du système au niveau national. France Universités avait proposé d’aller plus loin pour les étudiants qui cohabitent et se retrouvent en difficulté. Une grande partie des bourses est de faible valeur : prenez ces chiffres avec précaution, mais sur les 700 000 ou 800 000 boursiers, entre 300 000 et 400 000 touchent une bourse inférieure à 200 euros. En ouvrant ce dossier, on aborde celui de la fiscalité des parents et du foyer fiscal. Cela représente un coût indéniable, et il est difficile de passer d’un système à un autre, mais il faut une réflexion responsable sur ce point, comme elle est menée dans de nombreux pays.
Vous avez également évoqué la dimension locale de ces bourses. Les universités ont un ancrage territorial important. La vie étudiante se fait dans les universités, et doit être pensée dans les territoires. La construction doit être adaptée au cas par cas. Certains sujets majeurs, comme le logement, ne sont pas des données homogènes nationalement. Des régions se sont déjà engagées : en Nouvelle-Aquitaine, des engagements très forts pour le logement ont été pris par le président Alain Rousset. Il faut considérer cette différence territoriale, et peut-être l’étendre au-delà des bourses à l’accompagnement de la vie étudiante, de la santé, du sport, du partage des infrastructures, en travaillant avec l’ensemble des mairies et des services qui agissent en direction des étudiants. La dimension territoriale est majeure pour la vie étudiante.
Concernant la simplification de la LPR, notre pays a du mal avec l’autonomie des universités, car on peine à comprendre qu’un opérateur de l’État puisse être autonome. Lorsqu’on décline une loi, on indique comment arriver à l’autonomie. Mais déterminer les modalités de création des chaires de professeur junior, ce n’est pas l’autonomie ! Comme pour les COMP, il faut établir un plan pluriannuel, attribuer une dotation pour la création de chaires de professeur junior, puis laisser les universités les mettre en œuvre, avant de revenir trois ans plus tard pour évaluer. Il faut une simplification, une approche pluriannuelle concernant les chaires de professeur junior ou le recrutement de professeurs de première classe. Si l’on veut attirer d’autres Alain Aspect, si je puis dire, il faut changer le système... Cela concerne également la question des indemnités des personnels enseignants et chercheurs : des restrictions très fortes existaient, et il n’était pas possible de cumuler différents types d’indemnités. Mais si l’on demande à un ancien chercheur, vice-président d’une université, de continuer à faire 190 heures de cours - car on ne peut créer une décharge -, on ne pourra recruter personne dans les équipes dirigeantes ! Ces différents points sont pris en compte par l’équipe de Sylvie Retailleau. Nos derniers échanges avec la direction générale des ressources humaines du ministère montrent que cela avance dans le sens d’une simplification, pour davantage d’autonomie des universités.
La ministre a dit qu’il fallait clarifier le rôle de chacun. Notre pays a l’ambition d’être une grande nation scientifique et démocratique, et se trouve dans un environnement extrêmement concurrentiel. Les missions stratégiques doivent être communes et définies par l’État. La crise du Covid, le vieillissement, les problèmes énergétiques : si demain un nouveau problème survient, le Gouvernement et les parlementaires s’appuieront sur les compétences scientifiques ; cela relève de la stratégie. Une autre mission est celle des moyens et de la programmation : les universités organisent le financement de la recherche au regard des besoins stratégiques définis nationalement. Une troisième mission est remplie par les laboratoires et les opérateurs.
Aujourd’hui, ces trois missions sont mélangées, et le système est trop complexe. On parle toujours du CNRS, mais il y a des dizaines d’organismes de recherche, comme l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar) devenu université Gustave Eiffel, qui ne peuvent pas être abordés de la même manière : une solution unilatérale est difficile.
Les universités sont des opérateurs de recherche, qui mènent leurs projets indissociablement des organismes et de leurs chercheurs. Les organismes de recherche sont déjà des agences de moyens. Les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) sont pilotés par eux. L’Inserm suit toujours les recommandations d’un rapport de 2007, privilégiant le financement de recherches sur le cancer, le sida ou les hépatites. Il faut améliorer cela.
Pour répondre de manière pragmatique, il est important que l’État ne mette pas en compétition les organismes de recherche et les universités, comme vous l’avez indiqué dans votre rapport. Il est désastreux de devoir passer son temps à être en compétition, concernant, par exemple, la propriété intellectuelle, et le pays ne peut pas se le permettre. Il y a aussi un problème de gestion, comme vous l’avez évoqué à propos des UMR : il y a une sorte de mutualisation, au sein des universités, des fonctions supports. Lorsque j’en étais président, l’université de Bordeaux comportait, dans sa direction de la recherche, diverses délégations, du CNRS, de l’Inserm, de l’Inrae... On pourrait nous dire que, certes, c’est coûteux, mais que tout fonctionne du point de vue scientifique dans notre pays, que nous rayonnons, et que nous pouvons nous le permettre... Mais ce n’est pas vrai : la position de la France décline, la compétition est plus forte, et nous ne pouvons pas nous le permettre du point de vue financier. Il est essentiel, pour le quinquennat à venir, de mener un travail de hiérarchisation, de mutualisation et de clarification, permettant de déterminer qui fait quoi.
Vous avez parlé des alliances européennes. Ce sont de très bons projets. On a souvent regretté que les universités françaises soient en retrait par rapport aux politiques européennes. Mais la donne est en train de changer, en particulier avec les alliances universitaires.
Les sujets évoqués, concernant l’autonomie des universités, le rôle des organismes de recherche, la vie étudiante, nous permettent d’atteindre les standards européens. Ces dossiers doivent être soutenus et promus. Mais les réseaux européens peuvent aussi être utilisés pour permettre aux universités françaises de se caler sur les meilleures pratiques.
La pression exercée par la communauté des étudiants européens est aussi très importante, par exemple dans le domaine des transitions. La question du diplôme européen se pose également, et nous devons composer avec les équilibres politiques : le Brexit est un facteur de déstabilisation. Le trio Royaume-Uni/France/Allemagne, qui emportait un certain nombre de décisions, est devenu un simple duo France/Allemagne, moins puissant. L’Allemagne investit beaucoup plus que nous dans la recherche. Le Royaume-Uni se tourne maintenant vers les États-Unis et l’Australie. L’Association des universités européennes (EUA), qui compte 800 établissements membres, joue un rôle très important.
Le refinancement de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et la reventilation des crédits sur le préciput sont très positifs.
M. Jean Hingray. – Vous disiez en introduction qu’il fallait repenser les formations d’aujourd’hui pour envisager l’avenir, que l’apprentissage permettait aux étudiants de trouver quatre ou cinq fois plus facilement du travail et que les effectifs à l’université continueraient à augmenter.
Pour réduire l’ensemble des coûts nouveaux, humains et immobiliers par exemple, que pensez-vous de la sélection à l’entrée de l’université ?
M. Yan Chantrel. – De très nombreux étudiants n’ont pas de place en master : ils voient leurs aspirations s’effondrer et ils perdent leur statut étudiant. Ils en viennent à s’inscrire à Pôle emploi ; et pour ceux qui obtiennent une place in extremis, c’est la panique pour trouver un logement et faire les démarches administratives. Or poursuivre ses études est un droit.
Depuis la réforme qui instaure la sélection à l’entrée en master, des milliers d’étudiants doivent arrêter leurs études, ce qu’ils vivent comme une profonde injustice, à juste titre. La ministre a annoncé la création d’une énième plateforme, censée régler les problèmes. Avez-vous été associé à cette démarche, et comment cette plateforme pourra-t-elle régler la question sans création de places en master 1 ? Quels sont les moyens nécessaires pour créer de nouvelles places ? Pouvez-vous garantir que ce sont les commissions pédagogiques qui vont gérer les admissions, et non des algorithmes ?
On propose une réforme en médecine, pour envoyer des étudiants en médecine générale, lors de la quatrième année d’études, dans les territoires ruraux : que pensez-vous de cette idée, alors que se pose la question des maîtres de stage mobilisables. Des négociations ont été annoncées. La concertation est-elle réelle ?
M. Pierre Ouzoulias. – Les organismes de recherche sont très divers. Le prix Nobel de médecine 2022 a été attribué au suédois Svante Pääbo : il est issu de l’institut Max-Planck, association à but non lucratif qui regroupe 80 instituts.
Je tiens moi aussi à féliciter Alain Aspect pour son prix Nobel de physique. Il est originaire de Gascogne. Aujourd’hui, un lycéen de l’établissement Bernard Palissy d’Agen - comme celui qu’il fut - pourrait-il accéder aussi facilement à ce niveau d’excellence ? Je n’en suis pas si sûr.
Alain Aspect est ancien élève de l’École normale supérieure de Cachan, il a enseigné à l’École polytechnique et au Collège de France et a exercé au CNRS : il est possible de passer d’un organisme à l’autre et de mener des recherches à long terme. Son parcours est emblématique de l’excellence française et de la possibilité de passer d’une institution à l’autre.
Il a dit : « J’avais plein de temps ! », du temps pour mener une recherche risquée, sans passer son temps à évaluer et rendre des avis ; le temps des enseignants-chercheurs est complètement phagocyté par une administration bureaucratique. L’administration de l’URSS des années 1950 semble bien légère en comparaison. Il faut enfin faire confiance aux chercheurs, et surtout ne pas gaspiller leur temps.
Nous nous sommes interrogés sur le sens de l’évaluation. Un grand chantier de simplification réglementaire doit être mené, sans quoi nous perdrons nos chercheurs, qui restent en France – vous le savez – non pour les rémunérations, mais pour l’environnement de recherche.
M. Max Brisson. – La région d’Île-de-France a annoncé, le 26 septembre dernier, qu’elle souhaitait prendre la compétence « Vie étudiante ». Ne faudrait-il pas au minimum optimiser les services des centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) et des universités pour la gestion du parc immobilier et la restauration ? Ce transfert de la compétence « Vie étudiante » vers les régions est-il envisageable ?
Les nouveaux instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé), qui dépendent des universités, doivent jouer un rôle essentiel dans la formation des enseignants ; ils proposent une formation initiale plus approfondie et une professionnalisation plus précoce. Comment expliquez-vous que, trois ans après le vote de la loi, nous en soyons là ? Les concours de l’enseignement ont lieu en master 2 : est-ce une raison de la baisse du nombre de candidats aux concours ? Le phénomène est-il conjoncturel ou structurel ? Les étudiants ne sont-ils pas tentés de passer par la voie contractuelle, au détriment de leur formation au sein des Inspé ? Les orientations initiales ne sont-elles pas malmenées par les faits ?
Mme Monique de Marco. – En dix ans, la France a perdu 10 000 inscrits en doctorat. Un quart des doctorants n’a pas accès à des financements dès la première année. Les conditions de vie et de recherche se dégradent. La Fédération des associations générales étudiantes (Fage) fait des propositions : il faudrait une revalorisation des salaires, y compris pour les heures supplémentaires d’enseignement, payées en dessous du Smic, un contrat doctoral automatique pour tous les doctorants et un accès efficace aux aides sociales. Que pensez-vous de ces propositions ?
M. Bernard Fialaire. – Les centres hospitaliers universitaires (CHU) rassemblent enseignement, soin et recherche. La Cour des comptes a publié un rapport sur leur situation. Que pensez-vous de l’avenir de ces structures ?
Je souhaite revenir sur les officines privées qui accompagnent les étudiants en première année de médecine. Cette année, malgré l’ouverture du numerus clausus, elles sont toujours aussi florissantes. Parallèlement, des universités, comme celle de Lyon par exemple, essaie d’accompagner les étudiants en interne, sous forme de tutorat.
En ce qui concerne les classes préparatoires aux grandes écoles, 9 des 10 meilleures khâgnes sont publiques, tandis que sur les 10 écoles de commerce en tête du classement, 7 sont privées. Qu’en pensez-vous ?
M. Julien Bargeton. – L’ANR doit consacrer 1 % de son budget à la culture scientifique, pour la diffuser et la faire connaître au plus grand nombre. Comment cet argent est-il utilisé ? Sur le changement climatique, par exemple, il est nécessaire d’approfondir cette culture générale scientifique. Quelles sont les perspectives en la matière ?
Mme Céline Brulin. – La fin du numerus clausus n’est pas allée de pair avec l’augmentation des capacités de formation en médecine et en santé. De plus, la réforme des études en santé a été gérée de manière un peu chaotique. Des jeunes qui voulaient devenir médecins ont été empêchés, alors que les déserts médicaux avancent de manière très inquiétante.
France Universités a-t-elle des exigences en la matière ? Conduisez-vous un travail avec les agences régionales de santé (ARS) pour définir les besoins du terrain, afin de former des médecins là où ils manquent ?
Mme Annick Billon. – Vous nous dites que les effectifs d’étudiants augmentent de 20 % dans les universités : quelle est la répartition sur le territoire ?
La jeunesse a été malmenée par la pandémie. Renoncements et abandons sont nombreux. La fermeture de certaines universités cet hiver mettrait encore à mal les étudiants, en les isolant. La crise du logement étudiant est très importante. La détresse est grande. Il faut un plan d’urgence. Les étudiants se retrouvent dans des situations de très grande précarité.
Que pensez-vous de la réforme du lycée, quatre ans après ?
Enfin, concernant les études de médecine, avez-vous des propositions à nous faire pour former des médecins généralistes, et pas seulement des techniciens qui ne connaissent que l’hôpital public et se désintéressent de la médecine générale ?
Mme Alexandra Borchio Fontimp. – J’ai interrogé les ministres de l’enseignement supérieur successifs sur les masters, je n’ai obtenu aucune réponse concrète. La réforme des masters a généré un imbroglio délétère – voyez le hashtag @Sans_Master_. Comment expliquer qu’aucune solution ne soit proposée à des étudiants qui postulent à des dizaines de masters, sans succès ?
En Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA), 10 000 postes étaient toujours vacants dans le secteur du tourisme au début de l’été. Pourtant, l’Université de Nice développe des formations transdisciplinaires. Faut-il développer des licences professionnelles et l’apprentissage ? Dans tous les cas, l’image du secteur doit être redorée, car l’on constate un tassement des inscriptions aux formations.
M. Jacques Grosperrin. – Je vous interpelle sur votre propos liminaire sur la position de la France dans le domaine de la recherche : la communauté d’universités et établissements (Comue) de Bourgogne-Franche-Comté a explosé, avec l’université de Bourgogne, qui fête ses 300 ans, et celle de Franche-Comté, qui en sera à son 600e anniversaire en 2023. Comment ferez-vous pour que ces universités travaillent ensemble, alors qu’avec les volontés de regroupement et de mises en commun certains financements risquent de disparaître ?
Ensuite, vous avez mentionné les passoires énergétiques. Y aura-t-il une accélération de la dévolution des universités afin de résoudre leurs difficultés ?
Enfin, quelle est la place du sport à l’université ? La fédération du sport universitaire n’a que peu de moyens et supprime parfois ses antennes dans certaines régions.
Mme Laurence Garnier. – J’ai trouvé sur votre site internet un guide de la laïcité élaboré par la CPU datant de 2015. Alors que le sujet prend de l’importance dans la société, les outils, notamment législatifs, dont vous disposez sont-ils suffisants ?
M. Olivier Paccaud. – Sur la liberté académique, l’an dernier a eu lieu une polémique autour de la notion d’islamogauchisme. L’ancienne ministre avait alors diligenté une enquête via le CNRS. En réaction, France Universités avait publié un communiqué de presse acide déplorant la confusion entre liberté académique et militantisme.
Afin de prévenir de nouvelles polémiques, l’institution universitaire ne devrait-elle pas être plus exigeante sur les atteintes politiques à l’intégrité scientifique et ne faudrait-il pas clarifier la notion de liberté académique, qui relève principalement de la tolérance ? Sa confusion avec la liberté d’expression n’expose-t-elle pas l’enseignement et la recherche à des dérives idéologiques ?
Mme Sylvie Robert. – Je voudrais revenir sur Parcoursup. Lors de son audition, la ministre ne s’est pas dite opposée à son évolution. Quel est votre point de vue ?
Mme Marie-Pierre Monier. – Les études de médecine sont une préoccupation en ruralité, comme le montre le rapport d’information récent sur les femmes et les ruralités que j’ai présenté avec Annick Billon.
Le nombre d’étudiants étrangers en France a bondi de 8 % cette année, mais la hausse se concentre sur les écoles de commerce, qui ont vu les effectifs croître de 18 %, plutôt que sur les universités, à +6 %. Ce décalage est-il lié à la hausse des frais pour les étudiants extra-européens actée en 2019 ?
– Ces questions démontrent votre intérêt pour ces sujets et je vous en remercie.
La sélection ne réduira pas les coûts, davantage dus à la recherche qu’à l’accueil des étudiants. Une université a en effet trois secteurs d’intervention : l’accueil du public, le tertiaire et les laboratoires, ces derniers captant l’essentiel des charges même pour une université multidisciplinaire de taille moyenne. Ce qui guide la sélection, parce que sélection il y a, c’est la réussite des étudiants.
Monsieur Chantrel, quant à la place des masters et à leur réforme, il y a une hypocrisie à proposer de poursuivre les études tout en opérant une sélection en master. Je rappelle toutefois que le sujet ne se pose pas partout, car le nombre total de places en master est supérieur à celui des étudiants en troisième année de licence. En revanche, il faut un calendrier unique pour l’ensemble des universités pour éviter le télescopage des candidatures, entre des étudiants refusés en master et des universités avec des places vides. Notre plateforme a pour seul objectif de fluidifier les vœux et de faciliter les candidatures. France Universités a été associée et est attentive à ce que cette plateforme ne s’enchevêtre pas avec l’offre de formation des universités. Ce n’est pas un deuxième Parcoursup pour le master.
Au sein de notre architecture « licence-master-doctorat », il n’est pas cohérent que tous les étudiants de licence aillent en master. Ainsi, il faut une vraie sortie post-licence, mais aussi une possibilité de retour en master, avec par exemple une validation des acquis, plutôt qu’une formation trop tubulaire jusqu’au doctorat.
Une commission est en place concernant la quatrième année de médecine générale. Distinguons bien les modifications tendant à hisser la médecine générale au niveau des autres spécialités, et sortons de l’idée selon laquelle la formation médicale, c’est l’hôpital. Le sujet de la désertification est différent : c’est dans les campagnes qu’on a le moins de maîtres de stage et le moins d’encadrants. Par conséquent, agir sur la formation ne mettra pas fin à la désertification, comme le montre la délocalisation de la première année commune aux études de santé (Paces). Nous sommes en train d’examiner le sujet avec les doyens des universités de médecine : si cette quatrième année est mise en œuvre, c’est bien pour que la médecine générale soit un pivot de la santé des Français.
Monsieur Ouzoulias, nous ne voulons pas démanteler les organismes de recherche, dont nous avons évidemment besoin. Notre problème est d’optimiser leur travail combiné à celui des universités pour sortir de la situation que vous dénoncez. Vous posez la question du temps, mais je vous la retourne : les chercheurs français en université se distinguent de leurs collègues étrangers par le manque de temps et d’encadrement en ingénierie. Si nous apportons nos compétences en ingénierie aux organismes de recherche, nous avons plus de chances de leur libérer du temps. Recréons les conditions ayant permis à nos chercheurs comme Alain Aspect d’avoir accompli de grands travaux. Vous avez cité l’institut Max Planck : celui-ci n’a pas l’équivalent d’une UMR ou une gestion partagée avec le Helmholz et l’université de Berlin.
Avec tout le respect que je lui dois, je suis en désaccord avec notre ancienne ministre : non, la vie étudiante ne doit pas être transférée aux seules régions. Celles-ci ont néanmoins un rôle à jouer car il y a fort à faire, particulièrement en Île-de-France. En tant que président d’université, j’ai connu une relation nouvelle avec les élus de la région et des communes via le partage d’un plan stratégique. Ainsi, la dévolution se fait main dans la main avec eux. La vie étudiante et la vie de campus, plutôt que d’être confiées à un acteur unique, appellent chacun à jouer son rôle.
Vous avez évoqué la formation des enseignants : nous en sommes là, car les lois n’ont pas eu les effets attendus. Sur la professionnalisation des professeurs des écoles, pour des raisons financières, les stages ne sont pas au rendez-vous. Le rapport de Bernard Saint-Girons et Monique Ronzeau soulève la question : finalement, France Universités est devenu le seul acteur à appuyer la réforme, car tout le monde s’est défaussé. Des vocations existent : il faut les saisir, même si les listes d’attente à Créteil ou à Versailles ne sont pas les mêmes qu’à Bordeaux… Une nouvelle réforme n’est pas nécessaire, mais il faut articuler des projets adaptés dès la première année de licence.
Un rôle majeur de l’école est d’ailleurs de remettre la science au cœur de l’éducation des jeunes : cela passe par la formation, et où le faire sinon à l’université ? Il faut aussi corriger les orientations : on a un problème de mixité, avec peu de filles en mathématiques par exemple. Beaucoup est déterminé dès l’école.
Madame de Marco, oui, valorisons et finançons mieux le doctorat. La LPR le prévoit, mais n’y suffit pas. Nous devrions être un pays de doctorats, car nous avons de bonnes universités et des organismes excellents. Je regrette d’ailleurs que ceux-ci ne fassent que de la recherche : nous ne pouvons investir dans le vaisseau amiral de la recherche en France qu’est le CNRS sans transferts vers la formation. Beaucoup de Français vont chercher des doctorats à l’étranger… À ce sujet, je précise que, en lien avec les conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre) et les conventions de formation par la recherche en administration (Cofra), il existe un projet de financement de 100 doctorats en lien avec l’Institut national du service public (INSP) – nous en avons parlé avec sa directrice, Maryvonne Le Brignonen. Or, il pourrait finalement n’y en avoir plus que 10. Il serait dramatique que, à peine démarrées, les bourses doctorales pour la fonction publique disparaissent…
Vous avez évoqué les CHU, monsieur Fialaire. À mon sens, il va dans le mur et son « U » se détériore du fait de la grande tension exercée sur le système. Il a été créé en 1958 avec une triple mission, qui a été une réussite française, de formation, de clinique et de recherche, mais il est aujourd’hui primordial de repenser son modèle économique. On ne finance pas la recherche et la formation sur une tarification à l’acte déficitaire. Ensuite, les hospitalo-universitaires sont noyés sous des tâches cliniques. Entre 50 et 60 professeurs de médecine ont démissionné depuis 2018 : c’est une perte d’attractivité inquiétante.
Ensuite, il faut ouvrir les professions de médecine et de santé à la ville et à la société, y compris sur le plan des disciplines : l’avenir de la médecine, c’est aussi le numérique, la physique, etc. Il faut réformer les CHU en ciblant mieux ceux qui se spécialisent dans la recherche et dans l’innovation. Il y a aussi un problème de gouvernance, avec un carcan administratif délétère tel qu’il a été prévu par la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite HPST. Même préoccupation pour les organismes privés : à Bordeaux, la réussite de la première année de médecine était liée au tutorat, gratuit et assuré par les étudiants. La multiplication des officines privées, dont l’efficacité reste à prouver, nous préoccupe.
Oui, les déports vers les établissements privés nous inquiètent. Il conviendrait de clarifier le rôle de ces derniers.
J’en arrive à la culture scientifique, monsieur Bargeton. Le 1 % de l’ANR est une bonne chose. Labelliser les établissements « science avec et pour la société », avec des vice-présidents consacrés à ce sujet, a aussi bien fonctionné. France Universités a un groupe de travail sur ce sujet, anciennement animé par Virginie Dupont et Sylvie Retailleau : je pense que cette dernière aura à cœur de poursuivre dans cette voie. Au-delà des labels, j’attire cependant votre attention sur la culture scientifique à l’école. Des dispositifs comme la main à la pâte, les maisons des sciences…
Mme Laure Darcos. – Et la fête de la science !
– En effet, madame, Darcos, ces dispositifs ont fait preuve de leur efficacité. La science doit revenir au cœur de la formation, assez tôt. France Universités y est attentive et nous allons dresser le bilan de ces actions. Des appels à projets ont aussi eu lieu.
Madame Brulin, sur les déserts médicaux, l’objectif de la réforme était de mettre fin au gâchis humain de la Paces, de diversifier les profils et de ne pas pénaliser ceux issus d’autres disciplines comme les sciences humaines ou le droit. Nous l’avons soutenue en précisant toutefois que cela prendrait plus d’un an, en raison du chevauchement avec l’ancien système et du besoin de collecter les retours d’expérience. De plus, il ne faut pas négliger le corpus commun de santé, qui n’est pas entré dans les usages. Une licence de droit est déjà exigeante, il faut l’adapter si on veut qu’elle débouche sur des études de médecine. On a un sujet similaire avec la pharmacie. On a aussi fait croire que la fin du numerus clausus permettrait à tous d’aller en médecine : c’est faux.
Il y aura toujours une forme de sélection pour devenir médecin. Cela n’a rien à voir avec l’adaptation du numerus clausus en fonction des situations des régions, à propos de laquelle nous travaillons avec les doyens de médecine.
Il est important que les étudiants puissent se projeter lors de leurs études. Ils sont structurés par les services où ils se rendent : s’ils sont tout le temps à l’hôpital, s’ils ne voient que des services de cardiologie ou de réanimation, il y a peu de chance qu’ils veuillent devenir médecins de campagne. Lors de mes études de médecine, les étudiants voulaient revenir dans leurs régions et leurs villages d’origine, et à la fin de leur cursus, beaucoup retournaient effectivement dans leurs régions. Cela se constate de moins en moins, notamment en raison d’exigences sociales tout à fait légitimes. Nous pouvons comprendre les causes de la désertification médicale, mais cette désertification touche aussi l’éducation nationale, les transports, ou d’autres services de l’État. Dans les conditions actuelles, il n’est pas possible d’être attractif pour les jeunes générations. Un travail spécifique doit être mené.
J’en reviens à ma réflexion sur la quatrième année d’internat : ce n’est pas uniquement en transformant la formation que nous arriverons à sortir des déserts médicaux. Il faut travailler avec les ARS, à condition que ces dernières partagent le même état d’esprit. Ce problème des zones désertifiées, qui comportent moins de moyens, moins d’encadrement et moins de professeurs en faculté de médecine, doit être traité au niveau national.
Madame Billon, l’augmentation du nombre d’étudiants et leur répartition ne sont pas uniformes. Certaines universités peuvent accepter davantage d’étudiants. Mais j’attire votre attention sur le fait que les tensions existent dans certaines filières, et non dans toutes : les étudiants veulent s’inscrire en santé, en droit, en psychologie ou en sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps), et ces filières sont en tension. Mais si vous voulez faire des études de mathématiques ou de physique, vous pouvez les faire partout en France.
Nous ne reviendrons pas sur les conclusions tirées à la suite de la Covid. Au début, nous avons répondu avec des formations à distance, ce qui nous a avant tout prouvé que la présence est essentielle. De nombreuses transformations pédagogiques ont eu lieu, mais elles ne vont pas dans le sens d’une dématérialisation des enseignements. Par ailleurs, il faut un plan de logement étudiant en accord avec les régions : la dévolution du patrimoine immobilier n’est pas la seule solution.
Il est peut-être trop tôt pour comprendre les impacts de Parcoursup sur les études au lycée. Il faut suivre, en transparence, l’évolution des spécialités et l’attribution des places. S’il y a 4 000 demandes pour 180 postes en psychologie, tout le monde ne peut avoir de place. En revanche, tout le monde a le droit de savoir sur quelles bases et selon quels critères les étudiants sont choisis.
Madame Borchio Fontimp, vous avez évoqué la crise des masters. Si certains étudiants n’ont pas de place pour aller en master, c’est parce qu’ils veulent tous le même. Je rappelle qu’il y a plus de places en master qu’en licence. Par exemple, on ne peut pas ouvrir de nouvelles places dans les masters de droit international jusqu’à saturer la demande.
Le sujet est lié à votre deuxième question, où vous abordez le sujet des formations en tourisme, en prescrivant un besoin aux étudiants. Mais vous faites correspondre les besoins de l’économie et de la société aux vœux des étudiants. Par ailleurs, cette demande concerne un bac+3, et non un master.
Je prêche pour le plus de transparence possible : les étudiants doivent connaître les critères de sélection.
Les étudiants veulent tous le même master ; or les masters doivent rester sélectifs. Nous ne pouvons pas prendre toutes les candidatures ; il faut aussi prendre en compte les besoins du monde du travail.
La situation en Bourgogne-Franche-Comté nous chagrine, nous souhaiterions une meilleure collaboration. Il faudrait s’appuyer sur l’évaluation, de manière objective, en faisant fi des postures politiques.
En matière énergétique, la dévolution peut être un moyen pour l’État de se décharger sur les établissements de ses obligations de rénovation. Il faut optimiser notre surface immobilière. Des plans d’économie sont possibles, même sans dévolution.
Le sport à l’université est très important, sous trois formes : le sport dans les études avec la reconnaissance d’unités de valeur, le sport en pratique libre et le sport de compétition universitaire. Les universités sont un vivier de très grands sportifs et de champions olympiques. Certaines universités mutualisent des équipements collectifs. Une approche régionale pourrait être vertueuse.
Madame Garnier, nous avons produit un guide de la laïcité, qui, il est vrai, n’avait pas été réédité depuis 2015, mais qui reparaît cet automne. La réglementation n’est pas la même, vous l’avez dit, dans le secondaire et dans le supérieur, mais il ne faut pas balayer le sujet, même s’il ne concerne que très peu d’établissements. Il faut accompagner les présidents d’université face à cette question.
Monsieur Paccaud, vous avez évoqué l’islamo-gauchisme. La polémique à ce sujet était une mauvaise polémique ; nous avons réagi à l’époque et, si nous devions le faire aujourd’hui, nous réécririons, je crois, le même communiqué.
En revanche, je vous rejoins sur la notion de liberté académique, qui devrait, d’après nous, être inscrite dans la Constitution, comme cela existe dans d’autres pays.
M. Pierre Ouzoulias. – Excellente idée !
– L’université est le reflet de ce qui se passe dans le pays. Les questions que vous évoquez sont au cœur de la recherche et des discussions actuelles. Dans les universités françaises, aujourd’hui, on parle de l’Iran et des femmes qui déchirent leur voile ! Simplement, fondons-nous sur des principes sains, notamment sur la liberté académique. J’évoquais récemment, lors d’un colloque à Sciences Po, des indicateurs de liberté académique et il se trouve que les universités anglo-saxonnes en la matière ne sont pas bien classées, elles sont plutôt dans les quarante premières que dans les dix premières. Or la France devrait défendre ce principe et en faire un fer de lance.
Madame Robert, je serai bref sur Parcoursup. Il faut avant tout être transparent, afin que les usagers comprennent comment les choix sont faits. Surtout, au-delà de Parcoursup, il faut faire un effort en matière d’orientation, car nous avons un véritable problème en la matière dans le secondaire.
Mme Sylvie Robert. – Je suis d’accord.
– Lorsque j’étais élève de première au lycée Louis-Barthou de Pau, on avait convoqué mes parents pour leur dire que je ne pourrais jamais faire médecine. Les choses ont changé, sans doute, mais on est encore loin de ce qu’il faudrait faire, car, à l’université, il est déjà trop tard pour poser la question de l’orientation. C’est pourquoi je ne sépare pas la question de Parcoursup de celle de l’orientation.
Enfin, vous évoquez, madame Monier, la question du montant des droits et de l’accueil des étudiants étrangers. Presque toutes les universités ont adopté des exonérations, car nombre d’étudiants venant de pays pauvres ne peuvent s’acquitter des droits de scolarité. La génération de ces droits est donc modeste et ce n’est pas cela qui explique la différence avec l’accueil dans les écoles.
Cette différence procède plutôt du type d’accueil. Quand une université accueille un étudiant étranger, Campus France s’en fait l’écho, de même que les ambassades concernées, et l’enjeu est celui de l’attractivité du pays : quelles sont les conditions d’accueil et de logement, notamment ? Ces paramètres conditionnent l’attractivité de la France pour les étudiants étrangers. L’autre type de mobilité consiste, pour un étudiant étranger, à suivre en France une formation précise après un premier diplôme ou dans le cadre d’un parcours international. Cela ressemble plus au fonctionnement des écoles de commerce ou d’ingénieurs, mais cela exige un travail important. L’impact en volume n’est pas le même, mais c’est bien vers cela qu’il faut tendre.