Madame le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre groupe a souhaité inscrire ce débat à l’ordre du jour afin de permettre au Sénat de connaître les intentions du Gouvernement en matière de politique de santé, plus particulièrement celle concernant les urgences, maillon clé de notre système de soins.
Un chiffre peu connu, dont je veux souligner l’importance, concerne la saturation des urgences. Elle est concentrée sur un nombre relativement faible de patients qui vont en moyenne cinq fois par an aux urgences, avec un délai médian entre deux passages de quarante jours. C’est énorme.
Ces quelque trois millions de patients réguliers des urgences sont surtout des personnes âgées, polypathologiques, des usagers qui n’ont pas d’autre recours médical à proximité, ainsi que des personnes exclues socialement, parmi bien d’autres cas.
Par ailleurs, n’oublions pas qu’en 2019 une grève massive des urgences a alerté les pouvoirs publics sur l’état dégradé des services.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Au fil du temps, des décisions ont été prises qui peuvent être lourdes de conséquences – il faut le reconnaître.
Pour certains, cela a été la mise en œuvre des trente-cinq heures. Il est vrai qu’on a demandé aux gens de compter leur temps, ce qui a entraîné une désorganisation au niveau de l’hôpital.
Pour d’autres, cela a été la tarification à l’activité (T2A). Il faut reconnaître également que cette mesure s’est traduite par une course à l’acte de sorte que la tarification, initialement instaurée pour compenser les difficultés de la dotation globale, a parfois eu un effet inflationniste.
Du côté de l’hôpital, la difficulté majeure tient à la prise en charge en aval des urgences, qui implique de tenir compte du manque de lits dans les services spécialisés et de la pénurie de places dans les structures extrahospitalières. Lors des auditions organisées en 2017 par notre commission, un chef de service indiquait très justement que l’enjeu était moins d’empêcher les patients de venir aux urgences que de réussir à les en faire sortir.
La prise en charge en aval des urgences répond à un double objectif : il s’agit non seulement d’assurer le désengorgement de ces services, mais également de garantir le bon aiguillage des patients vers la structure spécialisée adéquate, de manière à éviter un retour aux urgences ou des hospitalisations multiples.
Les établissements de santé privés et les médecins de ville ne participent pas tous également à la prise en charge de ces soins non programmés. Selon le chirurgien Bernard Kron, auteur du livre Blouses blanches, colère noire, les contraintes liées à une tarification insuffisante les en ont détournés, car celle-ci est en moyenne quatre fois inférieure à celle pratiquée à l’hôpital, pour les actes non programmés.
Le défaut de formation participe également à cette crise – nous aurons l’occasion d’en reparler.
Par ailleurs, peu de cabinets médicaux restent ouverts le soir pour accueillir les urgences, sans doute à cause d’une rémunération insuffisante et de la nécessité d’adapter les contraintes de la vie professionnelle à celles de la vie familiale – nous devons en tenir compte, désormais, dans notre réflexion.
On constate toutefois des points positifs. Certaines communes ont mis en place des services d’accueil médical initial (Sami) qui sont ouverts en soirée et le week-end. Des médecins généralistes s’y relayent volontairement et traitent les urgences en dehors des heures d’ouverture des cabinets médicaux.
Je veux également évoquer la situation post-covid, qui est révélatrice du malaise de l’hôpital, mais pas uniquement. En mars 2020, la pandémie de covid-19 a provoqué une vague importante de recours aux soins, qui a mis le secteur hospitalier sous tension. Les hôpitaux ont dû s’adapter pour gérer l’afflux de patients, notamment dans les services d’urgence, en recourant à des transferts vers d’autres établissements et à la mobilisation de la réserve sanitaire. L’hôpital a tenu le coup.
Après plus de deux ans de crise sanitaire, le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France a pointé une aggravation du malaise hospitalier. Malgré une revalorisation des salaires pour les personnels soignants, selon les accords de Ségur, la dégradation des conditions de travail de l’ensemble des personnels a généré une désaffection à l’égard de l’hôpital, qui reste préoccupante. Les milliards d’euros injectés n’ont pas produit les résultats escomptés. L’hôpital, ce n’est pas qu’une question d’argent.
La médecine libérale, également très engagée dans la crise sanitaire, est elle-même en crise. Les Français ont de plus en plus de mal à trouver des médecins traitants – on le sait.
Dans l’immédiat, ce n’est pas l’annonce de la fin du numerus clausus qui remédiera à cette crise, pas plus que la suppression de la quatrième année d’internat de médecine envisagée pour 2026.
En ce qui concerne le bilan des mesures prises avant l’été, nous noterons que les propositions de la mission flash sur les urgences et soins non programmés portent principalement sur la régulation. Elles ne traitent pas bien sûr les racines du mal, mais nous avions déjà eu l’occasion de souligner l’importance de redonner du corps au métier d’assistant de régulation médicale.
Madame la ministre, il y a des rendez-vous à ne pas manquer, comme celui de la convention médicale, qui doit permettre aux médecins de ville de prendre en charge davantage de patients en libérant du temps médical et en revalorisant l’activité libérale.
C’est aussi le cas de la conférence des parties prenantes, qui doit associer l’ensemble des corps intermédiaires, les syndicats de professionnels de santé, les associations d’usagers et de patients et les représentants des collectivités, qui n’ont pas souvent été entendus ni considérés durant ces dernières années. Elle reposera sur une « approche globale de la santé et de la restauration de l’éthique », dixit le ministre de la santé. Derrière ces termes bien génériques, il est difficile de cerner l’ambition réformatrice du Gouvernement.
Deux sujets restent majeurs pour l’avenir de notre système de santé, à savoir son financement et sa gouvernance.
En conclusion, tous ces constats nous conduisent à considérer qu’il est nécessaire de réformer structurellement et profondément notre système de santé. La situation tendue aux urgences n’est que l’une des facettes d’un mal plus profond. Désormais, la problématique n’est plus celle d’un accès aux soins à plusieurs vitesses, mais de l’accès aux soins tout court.
Les manifestations s’enchaînent pour inciter le Gouvernement à proposer ou à trouver des solutions garantissant l’accès aux soins urgents de la population. C’est à l’échelle des territoires, en concertation avec les acteurs du soin et de la prévention, avec les patients et avec les élus que doivent être élaborées des réponses concrètes et pérennes : telle est notre conviction.
Voilà ce que je souhaitais vous dire en préambule, au nom de mon groupe. Madame la ministre, vous qui vous déplacez dans les territoires – nous avons eu l’honneur de vous recevoir –, vous qui êtes spécifiquement chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, entendez notre message et n’hésitez pas à nous exposer vos ambitions pour cette mandature.