Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis honorée de m’exprimer devant le Sénat sur un sujet qui nous tient tout particulièrement à cœur et qui est au centre des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens, à l’occasion de ce débat sur les urgences hospitalières et soins non programmés.
Les difficultés que cristallisent les urgences sont le symptôme aigu d’une crise plus large qui touche l’ensemble de notre système de santé, celle de l’accès aux soins. Les urgences sont ainsi le point de convergence des fragilités structurelles qui parcourent notre système de santé – démographie médicale inadaptée, difficultés d’articulation entre la médecine de ville et l’hôpital, perte d’attractivité et de sens de certains métiers, désertification médicale.
Ce système de santé doit pourtant, à bien des égards, faire notre fierté. En effet, nous pouvons être fiers des valeurs d’égalité et d’universalité sur lesquelles il est fondé.
Nous pouvons aussi être fiers d’un système qui a fait preuve d’une remarquable résilience pendant les vagues successives de covid qui ont ébranlé notre pays. À ce titre, je considère qu’il n’est pas excessif de saluer une fois encore la mobilisation exemplaire de nos soignants.
La crise des soins non programmés et les difficultés d’accès mettent en péril l’essence même de ce système de santé, qui est notre héritage commun. Nous nous devons d’entreprendre les réformes nécessaires pour le préserver, autant pour faire face aux défis du présent que pour les générations à venir.
Dans cette perspective, la première urgence consiste assurément à repenser l’organisation de la prise en charge des soins non programmés. Les attentes des professionnels de santé, comme de nos concitoyens, sont fortes et légitimes en la matière.
Le Gouvernement a répondu présent dès son installation. Les quarante et une mesures opérationnelles de la mission flash menée par le médecin urgentiste François Braun, avant sa nomination comme ministre, ont permis de mobiliser des leviers nouveaux pour répondre aux défis immédiats des urgences durant la période cruciale de l’été. Je le dis sans triomphalisme et avec la gravité qui sied à ce sujet : la catastrophe annoncée n’a pas eu lieu et notre système de santé a globalement tenu.
Certes, cela ne fut pas sans effort et nous devons avant tout saluer la mobilisation des professionnels et des administrations impliqués dans la mise en œuvre de ces mesures transitoires, dont certaines pourraient être rapidement pérennisées.
En effet, l’inspection générale des affaires sociales (Igas) vient de remettre un rapport d’évaluation de ces solutions. Nous sommes en train d’en instruire les données et nous réunirons une nouvelle fois le comité de suivi, dans une dizaine de jours, pour travailler sur les dispositions à conserver.
Nous pouvons cependant déjà tirer un bilan positif de ces mesures. Elles ont permis de mobiliser les professionnels dans une logique de responsabilité collective, partagée entre la ville et l’hôpital. Elles ont aussi contribué à sensibiliser nos concitoyens à la fragilité du système de santé, en général, et des soins non programmés, en particulier, générant de premiers changements notables de comportement chez les Français, notamment dans le recours aux urgences et l’appel préalable au 15.
Une idée forte de cette mission, sur laquelle je tiens à insister, est de retrouver le sens de ce que signifie le mot « urgence ». Une urgence médicale se définit en des termes précis, qui la distinguent par nature d’un soin non programmé. C’est une « situation requérant une intervention médicale immédiate afin de secourir une personne dont le pronostic vital ou fonctionnel est susceptible d’être engagé ».
L’urgence relève ainsi nécessairement d’une décision médicale et répond à des critères stricts et limitatifs. Or, au cours des vingt dernières années, le nombre de passage aux urgences a plus que doublé. Nous le savons, les patients qui se présentent aux urgences sont en partie – et même souvent – ceux qui ne pourraient pas avoir accès autrement à notre système de santé, parce qu’ils n’ont pas de médecin traitant ou parce qu’ils ne parviennent pas à obtenir un rendez-vous dans un délai rassurant. C’est en cela que les urgences sont, comme je le disais, un symptôme du malaise que nous connaissons.
Elles sont en quelque sorte victimes de leur succès et cela pèse sur la sécurité des patients. L’inflation du recours crée des situations d’engorgement et le temps de passage dans les services a de ce fait beaucoup augmenté.
Il n’est pas question de limiter ou de restreindre de quelque manière que ce soit l’accès aux soins et encore moins de filtrer ou de trier les malades, comme certains ont pu le laisser entendre, parfois sous l’effet d’une inquiétude légitime, parfois guidés par des raisons politiques.
Il s’agit donc de replacer chacun dans son rôle, le long de la chaîne de prise en charge, afin d’être en mesure de proposer à chaque patient le parcours de soins le mieux adapté à sa condition. Concentrer les urgences sur leur cœur de mission et leur plus-value nécessite de mettre en place, comme nous l’avons fait, un travail de régulation pluridimensionnel.
Garantir une meilleure orientation dans le système de santé, tel a été l’objet d’une campagne de sensibilisation sur le bon usage des services d’urgence.
Il est en effet important de faire évoluer les mentalités, d’où cette campagne menée depuis plusieurs mois pour inciter nos concitoyens à contacter d’abord le 15 pour être orientés vers la solution la mieux adaptée à leur problématique de santé. Pour reprendre un slogan de l’assurance maladie que nous avons tous encore à l’esprit : « Les urgences, c’est comme les antibiotiques, ce n’est pas automatique. »