Je vous remercie, au nom de la DMAT, et en particulier de la sous-direction de l'administration territoriale de la DMAT, de nous avoir invités à nous exprimer et à échanger avec les membres de la délégation.
Devant vous se trouve la totalité de l'équipe du droit de dérogation reconnue au préfet. Je suis accompagné de Madame Astrid Jeffrault, qui est cheffe du bureau de l'organisation et des missions d'administration territoriale, qui héberge le guichet « droit de dérogation » ; et de l'agent qui incarne le droit de dérogation du préfet, Monsieur Vaïk Laborde.
Le droit de dérogation du préfet a été expérimenté de 2018 à 2020, et généralisé en avril 2020, dans un contexte particulier. Il autorise le préfet à déroger à des normes arrêtées par l'administration de l'État pour prendre des décisions relevant de sa compétence. Ce dispositif est extrêmement encadré. Il est possible d'en faire usage dans un nombre limité de matières :
- les subventions aux concours financiers et dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques, des associations et des collectivités ;
- l'aménagement du territoire et la politique de la Ville ;
- l'environnement, l'agriculture et les forêts ;
- la construction, le logement et l'urbanisme ;
- l'emploi et l'activité économique ;
- la protection et la mise en valeur du patrimoine culturel ;
- les activités sportives, socioéducatives et associatives.
Par ailleurs, il est possible d'en faire usage dans des conditions précises, énumérées par le décret du 8 avril 2020. Les conditions, qui reprennent des critères énoncés par le Conseil d'État, sont les suivantes :
- la dérogation doit être justifiée par un motif d'intérêt général et l'existence de circonstances locales ;
- elle doit avoir pour effet d'alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure et/ou de favoriser l'accès aux aides publiques ;
- cette dérogation doit être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France ;
- elle ne doit pas porter atteinte aux intérêts de la défense nationale ou à la sécurité des personnes et des biens, ni être une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé.
Le Conseil d'État a fortement contribué à l'encadrement du dispositif au moment de l'élaboration des décrets, afin que les arrêtés préfectoraux dérogeant soient rédigés de façon à garantir le principe constitutionnel d'égalité. Le Conseil d'État a également dû se prononcer sur la légalité des décrets attaqués par des associations spécialisées dans la défense de l'environnement.
La circulaire du Premier ministre du 6 août 2020 énonce le cadre de mise en oeuvre du droit de dérogation. Les préfets sont tenus de respecter nos procédures. Le niveau de signature de cette instruction souligne la volonté de développer un dispositif interministériel et rappelle le rôle éminent des services du secrétariat général du gouvernement.
En juillet 2021, en marge du comité interministériel de la transformation publique de Vesoul, un guide a été établi sous l'égide de la Direction interministérielle de la transformation publique. Le titre du guide est « En action : le guide du préfet et des services déconcentrés ». Une fiche pratique y a été introduite sur le recours au droit de dérogation.
La circulaire de 2020 prévoit, pour chaque projet, une information du niveau régional et une saisine préalable obligatoire de l'administration centrale par le préfet souhaitant déroger. Je précise qu'un tel régime ne prévalait pas au moment de l'expérimentation. L'information régionale et la saisine préalable de l'échelon central relevaient d'une faculté, et non d'une obligation. Le caractère obligatoire date donc de la circulaire de 2020. Plusieurs ministères et administrations centrales ont souhaité l'obligation de la saisine pour garantir la sécurité juridique des décisions dérogatoires. Lorsque viendra le moment de faire évoluer le dispositif, cet élément sera un des grands points sur lesquels nous mènerons une réflexion. De fait, les préfets demandent une plus grande simplification du dispositif et davantage de confiance laissée aux échelons déconcentrés et aux préfets.
Le préfet, après avoir informé l'échelon régional, saisit la DMAT et lui transmet un projet d'arrêté accompagné d'une analyse justifiant le recours au droit de dérogation. La DMAT le transmet alors à la Direction métier du ministère concerné, qui doit rendre un avis simple sous quinze jours. À l'issue, le préfet décide ou non de signer l'arrêté, quelle que soit la teneur de l'avis rendu par les administrations centrales concernées.
Les chiffres que je vous présenterai maintenant ont été actualisés le 12 juillet 2022. Après plus de quatre années de mise en oeuvre du dispositif, expérimentation incluse, nous avons eu connaissance de 576 dossiers relatifs au droit de dérogation, dans l'expérimentation et dans la généralisation. Ces dossiers concernent :
- 76 préfectures de département ;
- 10 préfectures de région.
- 393 arrêtés préfectoraux de dérogation ont été dûment signés et communiqués à mes services. 299 d'entre eux ont été pris par l'échelon départemental, 21 ont été pris par des préfets ultramarins, et 73 ont été pris par des préfets de région.
Les préfets qui ont le plus recouru au droit de dérogation depuis la période de l'expérimentation sont les suivants :
- le préfet de la Sarthe, avec 16 arrêtés de dérogation ;
- le préfet de la région Centre-Val de Loire, avec 15 arrêtés ;
- le préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes, avec 13 arrêtés ;
- le préfet de la Vendée, avec 10 arrêtés.
Ces chiffres correspondent aux arrêtés dont nous avons connaissance. Or, un plus grand nombre d'arrêtés dérogeant sont pris, sans être communiqués à la DMAT.
Les sondages nous amènent à penser que les chiffres réels représentent le double de ceux que j'ai présentés, soit environ 800 arrêtés.
La simplification du dispositif passera certainement par une plus grande marge pour les préfets et par l'abrogation de l'obligation de saisine des administrations centrales. Il conviendra toutefois de rappeler fermement la nécessité de communiquer à la DMAT l'entièreté des arrêtés. Cet élément est absolument fondamental pour procéder à des analyses et pour en rendre compte.
La grande majorité des 400 arrêtés dont nous avons connaissance (291) concerne le domaine des subventions, des concours financiers et des dispositifs de soutien.
Avec 64 arrêtés, les domaines de l'environnement, de la culture et de la forêt se placent en deuxième position.
La construction, le logement et l'urbanisme sont concernés par 21 arrêtés.
L'emploi et l'activité économique sont concernés par 9 arrêtés.
La prévalence des subventions et des dotations s'explique par le fait qu'il s'agit d'un des domaines dans lesquels le pouvoir réglementaire est le moins encadré et qu'il est plus aisé pour le préfet de déroger aux normes.
Les collectivités territoriales et leurs groupements sont les principaux bénéficiaires des dérogations, avec 75 % du total.
Nous observons plusieurs problématiques. Tout d'abord, la connaissance du dispositif est encore trop faible, même si les évolutions sont favorables depuis 2021.
D'autre part, la moitié des préfectures ont pris au moins un arrêté de dérogation depuis 2020. La répartition reste donc inégale.
J'ai mentionné plus tôt le contexte particulier d'avril 2020. De fait, nous connaissions alors le premier confinement ; et nos possibilités de communication sur le dispositif du droit de dérogation ont été limitées.
Néanmoins, lorsque nous recevons les nouveaux préfets et les nouveaux secrétaires généraux, nous leur présentons le guide et la circulaire de 2020. Nous disposons également d'un espace collaboratif numérique de travail pour les préfectures, dans lequel plusieurs types de documentations sont consultables.
Le sujet de l'information des élus reste un enjeu majeur. L'administration centrale ne s'en est pas préoccupée jusqu'à présent.
Le respect de la procédure mise en place en 2020 est un deuxième point de difficulté. L'information du niveau régional est peu réalisée et la saisine préalable de la centrale n'est pas toujours effectuée. Cela nous pose des difficultés, mais la réponse ne passe pas forcément par une obligation de saisine. Nous pouvons au contraire réfléchir à un assouplissement du dispositif.
L'obligation de motivation des arrêtés n'est pas non plus systématiquement respectée.
Enfin, les arrêtés ne sont pas toujours publiés au recueil des actes administratifs des préfectures.
Dans certains cas, la préfecture ne juge pas utile de saisir à nouveau la DMAT pour un même objet.
La mise en oeuvre de la dérogation et son champ sont un autre point de difficulté. En dehors du champ des aides publiques, le Conseil d'État a rappelé que le droit de dérogation n'est possible que pour déroger à des normes de forme et de procédure. Il est vrai que la préfecture et ses services peuvent éprouver des difficultés à interpréter certaines normes, notamment dans des domaines où la frontière entre règle de forme et règle de fond est parfois ténue. Les préfectures s'interrogent souvent sur des sujets de régime d'autorisation ou de régime de déclaration dans le domaine environnemental. Les analyses divergent. La première circulaire de 2018 a fourni des exemples de recours au droit de dérogation, afin de mieux expliquer aux préfets en quoi consistait ce nouveau droit. Par la suite, il a été nécessaire de revenir en arrière, particulièrement à la suite de la décision du Conseil d'État de 2019, qui a rappelé la frontière entre la forme et le fond. Certains exemples fournis en 2018 se sont trouvés dans une sorte de zone grise en la matière.
Nous devons donc réfléchir à la pertinence de séparer les sujets de procédure et de forme et les sujets de fond. Le pouvoir réglementaire a mis en place un droit de dérogation pour le Directeur général de l'agence régionale de santé. Il se passe de consultation obligatoire de l'échelon central et peut valablement concerner des sujets de fond.
Nous sommes conscients de nos axes d'amélioration. Nous recevons des suggestions qui concernent le rôle même de DMAT.
Nous gérons deux programmes : le programme 354 « administration territoriale de l'État » et le programme 162 « intervention territoriale de l'État ». Nous aidons les préfectures et les sous-préfectures, les secrétariats généraux communs et nous soutenons le fonctionnement des Directions départementales interministérielles et des Directions régionales.
Notre deuxième grand champ de compétence est l'animation des réseaux (secrétaires généraux des préfectures, directeurs de cabinet, sous-préfets d'arrondissements, DDI, SGAR, secrétariats généraux communs).
Nous traitons également le sujet de la performance, en accompagnement du suivi du programme 354. Nous suivons des indicateurs de performance.
Notre quatrième champ de compétence concerne les pouvoirs des préfets. Nous sommes les gardiens vigilants du décret de 2004 sur les pouvoirs du préfet, qui n'évoluent pas sans que nous n'y soyons associés.
Nous avons décidé de confier à la SDAT et au BOMAT la mise en place du guichet « droit de dérogation du préfet ». Néanmoins, nous sommes conscients que nous devons passer d'une logique de gare de triage à une action plus proactive et plus pilotée, y compris pour établir un dialogue avec les directions et les ministères concernés. Lorsque plusieurs dizaines d'arrêtés dérogent sur un sujet précis, nous devons nous interroger sur le besoin d'évolution de la réglementation.
Certaines directions ont anticipé ces évolutions. La Direction générale des collectivités locales réfléchit aux sujets de dotation et de subvention.
Le dispositif et notre rôle ont été très novateurs lors de la phase de l'expérimentation, car la dérogation n'était plus permise par le pouvoir législatif ou par le pouvoir réglementaire.
Nous avons mené une réflexion sur l'extension du domaine du droit de dérogation. Nous avons sollicité les préfets à l'automne 2019, lors de l'étape d'évaluation. Les préfets se sont alors montrés extrêmement prudents et n'ont pas été favorables à une modification du droit de dérogation. Ils ont considéré que le dispositif était encore trop récent et ont déclaré que requestionner le champ du droit de dérogation était prématuré.
Désormais, ils font part de leurs interrogations sur certains champs, et en particulier sur le sujet de l'urbanisme et du transport.
L'organisation des services publics et de la comitologie afférente est un autre sujet de questionnements.
Nous nous trouvons encore aux prémices de ces éventuelles évolutions, mais je pense que vos travaux apporteront des éléments intéressants à nos réflexions.