Merci de m'accueillir. Nous nous connaissons désormais : j'étais hier en séance publique pour débattre de la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale, sur laquelle vous avez rédigé un excellent rapport. J'ai pris l'engagement - et je le tiens - de recevoir un par un tous les parlementaires de l'outre-mer.
Je présente mes excuses à ceux qui m'ont déjà entendu, mais il est toujours bon de faire résonner le message auquel je crois. Celui-ci doit ricocher dans les moindres recoins de nos institutions, afin qu'il devienne aussi commun que le son des cloches de l'église au milieu du village. Ce message est le suivant : les outre-mer sont non pas une charge, mais une chance pour la France. Et la France est non pas une contrainte, mais une chance absolue pour l'outre-mer. Il s'agit d'être fusionnel. Pour que cette réalité soit visible dans le quotidien de nos compatriotes de ce que j'appelle désormais « l'Archipel France », de Maripasoula à Tahiti, de Mamoudzou à Saint-Pierre, de Fort-de-France à Nouméa, de Pointe-à-Pitre à Wallis, il nous faut créer de la valeur économique, culturelle - c'est l'un des moteurs de l'action -, sociale, sortir des immobilismes, renouer le dialogue, co-construire les solutions concrètes. Tel sera mon leitmotiv. De grands rapports peuvent situer les enjeux, mais derrière, il faut des actions concrètes au quotidien.
Pour ce faire, le Président de la République et la Première ministre ont choisi de rattacher les outre-mer au ministère de l'intérieur. J'ai entendu dire à l'Assemblée nationale que c'était une catastrophe. Il ne s'agit pourtant ni d'une punition ni d'une relégation ; il est question, au contraire, de remettre les outre-mer au troisième rang protocolaire dans le Gouvernement, de démultiplier l'action, de gagner les arbitrages, de rétablir les départements et régions d'outre-mer (Drom) et les collectivités d'outre-mer (COM) dans le périmètre ministériel des collectivités, de la citoyenneté, de l'ordre public, de la sécurité intérieure, des libertés publiques, de l'administration territoriale de l'État, de l'immigration, de l'asile et de l'intégration.
L'objectif est bien de remettre les outre-mer sur un pied d'égalité avec les autres régions de l'Hexagone. Cet attelage me semble efficace, mes réunions interministérielles avec Gérald Darmanin se résumant à un coup de fil. Nous sommes forts de l'appui d'un ministère comptant 300 000 agents ! Néanmoins, les outre-mer ont des enjeux spécifiques, que ne connaît pas la France continentale : insularité, éloignement, plus grande précarité d'une partie de la population, vulnérabilité climatique plus forte que sur les côtes hexagonales. C'est pourquoi je veux y dédier ma force, mon énergie et mon expérience.
Pour ce faire, Gérald Darmanin m'a assigné une feuille de route, que je viens de remettre au président Artano. Je pourrai la détailler lors de nos échanges.
Premièrement, nous devons répondre concrètement aux préoccupations quotidiennes des citoyens. Sans cela, c'est la cohésion sociétale qui risque de vaciller. Je pense à la vie chère, à l'eau, au chlordécone, au logement, à la santé, etc. Au-delà des philosophies globales, sur lesquelles des désaccords peuvent apparaître, il nous faut sans attendre mener un certain nombre d'actions concrètes avec les services du ministère et en lien avec les administrations des autres ministères.
Deuxièmement, il faut renforcer l'ambition républicaine pour les habitants des territoires ultramarins, par eux et grâce à eux. Cela passera par un effort sur la sécurité, l'immigration, la formation et l'éducation.
Troisièmement, il est nécessaire de favoriser la création de valeur, afin de donner un avenir à la jeunesse ultramarine. Cela passera par la culture, mais aussi par la transformation des modèles économiques outre-mer, le renforcement de la production agricole locale, la transition énergétique, les nouveaux contrats de plan et la planification des investissements requis, à hauteur de 30 milliards d'euros.
Quatrièmement, il est indispensable d'agir pour l'adaptation, la différenciation, la responsabilisation des acteurs, ainsi que sur les normes françaises et européennes.
À tout cela s'ajoute le réflexe législatif outre-mer. Cela relève de votre compétence, et non de celle de l'exécutif, même si je m'efforcerai d'inclure des propositions dans les projets de loi. Chaque texte doit contenir une possibilité d'adaptation pour les outre-mer. C'est ainsi que nous progresserons.
Enfin, il convient de favoriser l'insertion et le rayonnement européen et international des territoires dans leur bassin géographique. Les outre-mer sont une chance pour la France, mais également pour l'Europe. Depuis le départ de nos voisins d'outre-Manche, nous sommes les seuls à avoir cette capacité avec notamment les Pays-Bas.
Cette feuille de route s'inscrit dans la démarche que le Président de la République a résumée et annoncée lors de la réunion de travail avec les élus ultramarins le 7 septembre dernier à l'Élysée. Il s'agit de trouver les voies d'une action publique plus efficace face aux problèmes du quotidien de nos compatriotes ultramarins. La Première ministre, vous l'avez rappelé, tiendra un comité interministériel sur les outre-mer d'ici à six mois pour acter une première série de décisions. À l'issue de ce travail, il sera possible d'évaluer les besoins d'évolution institutionnelle. Ceux-ci devront s'appuyer sur les principes déjà évoqués - l'adaptation, la différenciation et la responsabilisation -, pour permettre un développement économique plus ambitieux et un rayonnement plus efficace de chaque outre-mer.
Dans cette optique, le travail avec les élus, en particulier avec les parlementaires, sera essentiel. Personnellement, je ne me sens pas soumis à l'opinion publique. Je ne crois pas aux indignations numériques et je ne me fie pas aux débats des chaînes d'information. Je crois en la démocratie représentative, c'est-à-dire au dialogue entre le Gouvernement et les parlementaires.
Je sais que votre délégation entamera la semaine prochaine une étude sur l'évolution institutionnelle des outre-mer. Dans l'esprit du Gouvernement - je pense que vous en êtes d'accord -, cela ne peut être que la résultante de travaux sur une plus grande efficacité de l'action publique. Une autre étude est en cours sur les déchets ; nous y répondrons. Chacun de vos rapports sert à enrichir la réflexion de mes conseillers et à tracer les voies de la réflexion, puis de l'action. Je souhaite y contribuer et m'en inspirer. De votre côté, vous pouvez toujours interroger les services de la direction générale des outre-mer (DGOM).
Dans notre démocratie représentative, le Sénat sera au coeur du renouveau des outre-mer, tant sur la compétence que sur la simplification. Oui, je compte sur votre aide et votre soutien. Adolphe Thiers disait : « La République est le gouvernement qui nous divise le moins. » Faire vivre la République dans tous les territoires, dans toutes les îles de « l'Archipel France », c'est bien l'ambition républicaine que nous devons avoir pour nos outre-mer. Rassembler et passer à l'action, c'est ce que je veux faire avec vous.