Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 16 septembre, pour avoir « mal porté son voile » dans les rues de Téhéran, une jeune femme, Mahsa Amini, est morte aux mains de la police des mœurs : pour avoir « mal porté son voile » ! La futilité confondante des raisons ayant mené à son décès ne rend celui-ci que plus révoltant, plus avilissant pour ceux qui s’en sont rendus coupables.
Ce drame vient rappeler au monde, s’il en était besoin, la réalité de ces millions d’Iraniennes qui vivent sous le joug de la révolution islamique. Il expose aux yeux de tous la brutalité des sbires de ce régime anachronique, qui considère – littéralement ! –, au travers de la diyya, que la vie d’une femme ne vaut que la moitié de celle d’un homme. Il souligne également le profond mépris des mollahs pour les minorités du pays, dont les cultures n’ont, depuis longtemps, plus droit de cité en Iran.
Car Mahsa Amini, en plus d’être une femme, avait un autre tort : celui d’être kurde. Sa mort aura été l’étincelle qui a embrasé la contestation qui couvait, d’abord, dans sa région natale du Kurdistan, puis presque immédiatement, à Téhéran, à Mechhed, deuxième ville du pays, et, comme une traînée de poudre, dans tout l’Iran.
La mobilisation n’a cessé depuis. Cette « révolution des femmes », comme certains n’hésitent pas à la nommer, provoque des scènes que nous aurions tous crues impensables voilà encore quelques semaines : des Iraniennes descendant en masse dans la rue, tête nue, sous les acclamations de la foule ; d’autres se coupant les cheveux ou brûlant ce voile ayant coûté la vie à l’une des leurs et illustrant, plus que tout autre symbole, le statut d’infériorité dans lequel a voulu les enfermer un islam rigoriste et théocratique. Ces femmes iraniennes sont – il est fondamental de le rappeler – soutenues et accompagnées par les hommes iraniens.
Leur appel, qui s’exprime au cri de « Femmes, vie, libertés ! » est plus qu’un cri de colère. C’est évidemment un rejet, mais c’est aussi un projet, car il est porteur de valeurs, ces valeurs qu’elles incarnent là-bas, avec un courage étourdissant, et que nous défendons ici, parfois bien timidement face aux coups de boutoir qu’elles ne cessent de subir depuis ces dernières années !
Quelle peut être l’issue de ce mouvement ? Nous nous souvenons des grandes manifestations de 2017, puis de 2019, qui, déjà, avaient violemment remis en cause le pouvoir en place.
Les émeutes actuelles, d’une ampleur plus importante et d’une nature plus profonde, préfigurent le vacillement d’un régime contesté dans son essence et les prémices de son effondrement.
Une certitude s’est rapidement imposée : la réponse des autorités sera féroce, et ne fera, pour reprendre les mots du chef du système judiciaire iranien, « preuve d’aucune indulgence ». Elle s’est déjà traduite par des milliers d’arrestations, des dizaines de morts et des centaines de blessés. Pour ajouter à l’intolérable, elle menace désormais la stabilité régionale en projetant la violence au-delà du territoire iranien. Téhéran, prétextant la crise, a frappé à coups d’artillerie, de drones et de missiles balistiques les locaux des partis d’opposition kurdes réfugiés de l’autre côté de la frontière avec l’Irak, accusés de souffler sur les braises de la contestation contre le régime.
Le gouvernement iranien vient en outre de lancer un avertissement sans équivoque à ceux qui, dans les médias, ont pris fait et cause pour le mouvement, qu’il s’agisse de journalistes, d’acteurs, de musiciens ou de sportifs. On pense notamment à ces joueurs de l’équipe nationale de football qui ont assené publiquement cette phrase lourde de sens : « Les cheveux de nos filles sont recouverts d’un linceul. »
Cette répression est avant tout une meurtrissure faite au peuple iranien et une nouvelle insulte aux valeurs de liberté et de dignité, que nous avons en partage avec les manifestantes et manifestants d’Iran.
Nous ne pouvons donc pas rester sans réaction et nous tenir à l’écart de ce qui est plus qu’un soubresaut de l’Histoire, même si nos moyens d’action sont – il faut bien le reconnaître – très limités.
Il est probable que l’Union européenne adopte des sanctions, comme elle le fait à chaque nouvelle violation grave des droits de l’homme en Iran. Malgré leur absence prévisible d’effets concrets, il est indispensable que de telles mesures soient prises, car nous ne pouvons plus nous contenter des nécessaires condamnations de principe émises jusqu’à présent.
La France, madame la ministre, devra jouer un rôle majeur dans ce processus européen, mais aussi dans la mobilisation internationale, en œuvrant à ce que toutes les instances compétentes des Nations unies se saisissent d’urgence de la situation iranienne.
Cela ne suffira sans doute pas à infléchir le cours des événements, et encore moins la nature profonde du régime iranien, mais il est essentiel que ce dernier, mis sous pression de l’intérieur, le soit également de l’extérieur.
Surtout, il est fondamental que les Iraniennes sentent qu’elles ne sont pas seules, qu’elles sachent que le monde les regarde et est à leurs côtés. Il faut, en d’autres termes, faire nôtre le précepte du philosophe Ali Shariati, cité par Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix iranienne, dans son ouvrage La cage dorée : « Si vous ne pouvez éliminer l’injustice, au moins, racontez-la à tous. »