Monsieur le président, mes chers collègues, je me permets de commencer par quelques mots qui ne sont pas de moi :
« Pour danser dans la rue
« Pour toutes les fois où nous avons peur de nous embrasser
« Pour ne plus avoir honte d’être pauvres
« Pour l’enfant qui, jusque dans ses rêves, doit fouiller dans les poubelles
« Pour respirer un air pur
« Pour les arbres qui meurent […]
« Pour ces larmes qui ne cessent de couler
« Pour les étudiants, pour leur avenir
« Pour les enfants afghans
« Pour cette petite fille qui rêve d’être un garçon
« Pour femmes, vie, liberté ! »
Ces paroles sont celles d’une chanson de Shervin Hajipour, emprisonné après l’avoir publiée. Il ne l’a pas composée, puisqu’elle est formée à partir de tweets postés courageusement par celles et ceux qui se dressent en Iran contre l’oppression. Ces paroles démontrent une chose qui est insupportable pour le pouvoir en place : ce qui se passe en Iran est profondément différent de ce qui a pu se passer lors des dernières révoltes.
Car, précisément, il ne s’agit pas d’une révolte. On avait déjà vu, dans le passé, une partie de la société iranienne, plutôt la jeunesse des villes, courageuse, engagée, réprimée, se mobiliser.
Nous assistons à quelque chose d’une tout autre dimension. Un mouvement de masse, guidé par des femmes, est en train d’agréger tout ce que la société iranienne compte de personnes qui veulent être libres et vivre dignement : les femmes, d’abord ; les hommes aussi ; les minorités ethniques, politiques, religieuses, sexuelles, de genre ; les jeunes, qui ne voient pas d’avenir ; les pauvres, qui ne peuvent pas survivre, dans un pays où l’inflation est de plus de 40 % ; les universitaires, qui ne peuvent pas enseigner ; les paysans, qui ne peuvent pas cultiver leurs champs à cause de la gestion désastreuse de l’eau ; toutes celles et tous ceux qui, au fond, veulent simplement respirer, vivre, aimer.
Le féminisme – la lutte féministe – déploie en ce moment même en Iran, et je pèse mes mots, sa puissance révolutionnaire !
Ce qui est en train de se passer en Iran n’est pas une révolte. C’est une révolution : une révolution pour la démocratie, pour la justice, contre la tyrannie religieuse ; une révolution pour les femmes, pour la vie et pour la liberté. Or une révolution ne se calme pas, elle ne passe pas ; elle se fait.
Ce sont donc les femmes qui entraînent et entraîneront, un jour ou l’autre – je ne sais pas quand –, la chute de ce régime.
Ce sont les femmes qui, en luttant pour leurs droits, pour leurs libertés, tracent en ce moment même le chemin des droits et des libertés tout court.
Ce sont les femmes qui, en réclamant l’égalité pour elles, peuvent conquérir l’égalité tout court.
En France, comme ailleurs dans le monde, on entend souvent dire que les féministes mènent des combats marginaux, que les luttes des femmes sont secondaires, qu’il y a plus urgent et mieux à faire, que la vraie, la grande et la sérieuse politique, c’est autre chose.
Les Iraniennes, qui, au prix et au péril de leur vie, brûlent leur foulard, dansent dans la rue et crient à la fin de la dictature font en ce moment même la démonstration puissante, bouleversante et irréfutable que, dans notre monde, les combats des femmes sont l’avant-garde des combats pour toutes et tous. Les valeurs pour lesquelles se battent les Iraniennes et les Iraniens, réprimés dans le sang, ne sont pas des valeurs occidentales, importées des États-Unis ou d’Israël. Ce sont des valeurs universelles, bien ancrées en Iran. Ce sont leurs valeurs, et nous les partageons.
Aussi, face à cette révolution, face à sa répression dans le sang, face à ces morts pour la liberté, nous devons, bien sûr, relayer leurs voix, mais nous devons aussi agir.
Lorsque Vladimir Poutine a envahi l’Ukraine le 24 février 2022, le soir même, les dirigeants européens se réunissaient pour s’accorder sur un premier train de sanctions, entré en vigueur dès le lendemain, le 25 février. Or, nous sommes au dix-neuvième jour de la révolution ; cela fait dix-neuf jours qu’un régime massacre son peuple ! Jusqu’à présent, pas grand-chose n’a été fait. §Les négociations relatives au nucléaire iranien continuent comme si de rien n’était. Il n’y a pas à l’échelon européen de nouvelles sanctions. On entend dire qu’il s’en préparerait pour la réunion du Conseil des ministres des affaires étrangères le 17 octobre prochain, soit un mois après le début de la révolution… Ce n’est pas possible ! Il faut agir !
(L ’ oratrice diffuse, à l ’ aide de son téléphone portable, un extrait sonore de la chanson qu ’ elle a citée au début de son intervention.) Je vous remercie.